04 avril 2015

SOYONS AMBITIEUX POUR L'UNIVERSITÉ

Tous les pays qui croient en leur avenir ont en commun d’avoir su faire le choix de porter une attention toute particulière à leur système d’enseignement supérieur. Cela tient aux trois défis fondamentaux que doivent relever aux yeux des nations modernes les futurs diplômés du supérieur : (1) renouveler les élites (2) être des professionnels de bon niveau nantis de fortes compétences opérationnelles (3) devenir des citoyens dotés d’une solide culture ouverte sur le monde et généreuse dans le partage. plutôt que construire des institutions en charge de relever ces trois défis simultanément comme l’ont fait la plupart des pays civilisés, pour des raisons, toujours avancées comme historiquement rationnelles au regard des besoins de notre société à un moment donné, la France, a préféré sciemment séparer sa jeunesse pensant sans doute qu’il était impossible de former ensemble en un seul et même lieu des élites, des techniciens, des ingénieurs, des artistes, des enseignants, des dirigeants, des politiques et des chercheurs. Le résultat peut donner le tournis à la sortie du bac : Universités et IUT, Classes prépas, BTS, Grandes Écoles, Écoles d’ingénieurs, Écoles privées, Universités catholiques, Conservatoires, Écoles d’art, filières sélectives, filières sans sélection, filières non habilitées… On peut avoir tantôt une lecture optimiste d’un système dense et riche qui fait la fortune des grands raouts dévolus à l’orientation, tantôt une lecture pessimiste d’une jungle labyrinthique et concurrentielle où les meilleures places seraient depuis toujours réservées aux « meilleurs ».

Depuis la récente loi sur l’enseignement supérieur, il est prévu, au titre de l’égalité des chances, de réserver pour 10% de lycéens qui obtiennent les meilleurs résultats au bac un accès à une filière sélective (prépas, BTS, DUT). Au reste, le fait que cette mesure sous-tende en creux une représentation peu valorisante de nos universités est moins grave que les véritables questions qu’elle fait ressurgir : combien de familles possèdent les outils pour accompagner dans leurs choix leurs enfants lorsque ces derniers n’ont pas obtenu la plus haute mention au baccalauréat ? Pourquoi résumer d’ailleurs un individu à une mention qui ne donne qu’une vision à un temps t de sa personnalité alors qu’on sait qu’il va précisément s’autonomiser entre 18 et 25 ans et faire preuve de tant de nouvelles aptitudes « non prévues au programme » ? Comment se fait-il que malgré toutes les réformes qu’il l’ont transformé, notre système d’enseignement supérieur demeure un tel appareil à reproduire une société du toujours pareil ? Comment est-il possible enfin d’aboutir à cet étrange constat que l’université serait un lieu dévolu à tous ceux qui n’ont pas trouvé leur place dans les filières à sélection ? L’université est le lieu où l’enseignement par la recherche est pensé dès la première année de licence et devrait, par conséquent, être « le lieu » qui accueille ceux qui se caractérisent par leurs qualités d’autonomie personnelle, de mobilité géographique, de curiosité culturelle, scientifique et intellectuelle. Pourtant, cette dernière ne bénéficie toujours pas de l’image de marque qui devrait être la sienne alors même que ses diplômés sont aussi bien, et parfois mieux, insérés dans le monde professionnel que ceux des autres institutions. Curieux de constater dans le même sillon qu’incidemment ce sont nos seules universités qui, dans les médias, portent l’actualité de « question du voile » alors même que ladite question devrait se poser à l’ensemble des filières de l’enseignement supérieur, qu’elles soient ou non sélectives. Comment, de fait, nous représentons-nous l’idée même de « sélection » où le culturel des acquis semble in fine si proche et ce, d’où que l’on vienne, d’un naturel hérité qui paraît aller de soi ?

Si l’on veut saisir comment un pays conçoit son organisation sociale, il suffit d’observer celle de son système d’enseignement supérieur, ainsi que l’inventivité et l’agilité qui le caractérisent dans sa capacité à renouveler ses élites, à former ses futurs professionnels et à porter sa recherche et son innovation. Alors qu’il s’agirait plutôt de reposer à nouveaux frais la question d’une sélection repensée depuis les projets individuels de nos étudiants plutôt que leur seul niveau de réussite scolaire, alors que cette sélection reconsidérée mériterait d’être généralisée positivement à l’enseignement supérieur dans son ensemble, ne pourrions-nous pas aujourd’hui imaginer enfin une université en charge de relever en un seul et même lieu les trois défis fondamentaux consistant à former côte à côte élites, bons professionnels et esprits critiques ? Les universités et les écoles ne se vivent plus elles-mêmes depuis longtemps comme concurrentes mais se copient et s’empruntent le meilleur de ce qu’elles ont su inventer. Les lois sur l’autonomie et sur l’enseignement supérieur qui se sont succédées ont construit un cadre où tout semble permis désormais pour construire cette université du XXIe siècle et traduire positivement tous les espoirs de progrès pour notre jeunesse et nos concitoyens tout au long de leur vie, une université républicaine, attentive et responsable de l’éclosion de tous les talents de notre pays. Celle-ci ne saurait se rapporter  à des questions de quotas ou de pourcentage qui ne seraient qu’une entrée par la petite porte vers un « petit » projet de société propre à séparer de nouveau sa jeunesse étudiante au moment même où elle mériterait d’être rassemblée. Si la réussite de tous nos diplômés est une des clés cardinales pour instruire notre avenir, alors la manière dont on se représente et dont on investit notre « université du XXIe siècle » doit être conçue comme un enjeu majeur car elle bien est la stricte équivalence de l’ambition et de la confiance que nous plaçons dans nos générations futures.

Ce texte a été publié dans le quotidien Libération en date du 3 avril 2015. On peut retrouver sa version publié en [cliquant ici].