26 février 2011

UN CESAR DU MEILLEUR FILM FRANÇAIS DE CAMPUS ? L'Université, grande absente de notre imaginaire social

Alors que l’on tente de mettre en œuvre une dynamique de modernisation des universités françaises, alors que l’on s’apprête à récompenser durant la cérémonie des César la fine fleur du cinéma français, force est de constater que le film de Campus est le genre absent depuis toujours de notre cinéma.
Il ne s’agit pas là de le déplorer ou de créer demain artificiellement une catégorie dédiée à ce qui est un style à part entière du cinéma américain, mais plutôt de mettre en évidence ici le fait que l’imaginaire de notre pays – s’il existe – ne possède aucune représentation sociale de l’université en France sur laquelle s’appuyer.
En d’autres mots, on peut affirmer que nos réalisateurs et nos scénaristes - hormis très récemment Emmanuel Bourdieu et ses Amitiés maléfiques ou l’Auberge espagnole de Cédric Klapisch – ne parviennent pas à penser l’université en tant que source d’inspiration assez captivante pour produire - comme c’est le cas chaque année outre-atlantique - quantité foisonnante d’œuvres qui vont du teen movie le plus potache au chef d’œuvre magistral.

Si l’on considère, comme le font généralement les sociologues, que les sujets sur lesquels sont bâties les fictions cinématographiques et télévisuelles d’une société donnée disent beaucoup des préoccupations dominantes de ladite société, alors on peut commencer à penser, en creux, la considération que tel ou tel pays a symboliquement pour son enseignement supérieur, ses enseignants-chercheurs, ses étudiants, ses campus et les moments de vie qui sont attachés à cette période cruciale pour la formation des individus dans le pays considéré en regardant les oeuvres audiovisuelles qui y sont produites.
Du Lauréat au Sourire de Mona Lisa, d’Indiana Jones aux Lois de l’attraction, d’À la rencontre de Forrester à Benjamin Gates, de Docteur Jerry et Mister Love à Will Hunting, la valorisation de l’université est omniprésente dans les fictions américaines en tant que décor et trame et ce avec des récurrences bien connues : ainsi, le fait même d’accéder à une université de renom constitue souvent en soi un enjeu social que l’on scénarise ; la bibliothèque universitaire y apparaît toujours comme le lieu de savoir par excellence ; l’enseignant-chercheur, enfin, y jouit d’une reconnaissance sociale qui le place régulièrement comme l’un des derniers recours dans une société qui perd la mémoire ou qui cherche encore le potentiel que recèle une équation irrésolue ou la signification d’une langue morte…


Au moment même où l’on entreprend de réformer l’enseignement supérieur de notre pays, sans doute faut-il s’inquiéter du fait que le principal réservoir symbolique que l’on dispose pour penser sa modernisation nous vient majoritairement des États-Unis. Le cinéma est l’art de l’édification par excellence. Il nous aide à penser nos vies et à partager collectivement nos rêves et nos inquiétudes. Si en France, peu de nos cinéastes sont « passés » à proprement parler par l’université – la voie royale de formation demeurant l’excellente FEMIS -, ne peut-on espérer demain des scénaristes inspirés par l’université dont ils seraient originaires pour nous aider à imaginer une Université qui nous ressemble ?

S’il est devenu trivial d’énoncer que nos politiques, lorsqu’ils sont issus des Grandes Écoles, ont souvent certaines difficultés à penser le monde social qui est le leur, précisément parce qu’ils n’ont pas été formés dans les universités avec la majorité de la population étudiante de France, alors on peut fonder l’espoir que le cinéma français continue, lui, à s’inventer, comme il a su souvent si bien le faire, près de la vie, près de nos vies, ce qui nous permettrait de décerner – on peut former ce souhait – d’ici quelques années, le César du meilleur film français de Campus. Cette proposition paraîtra sans doute absurde ou dérangeante à plus d’un. C’est normal. Mais prenons un instant pour comprendre tout ce qui nous dérange lorsqu’on la pose réellement et l’on appréhendera presque dans le même mouvement le chemin qui reste à parcourir pour que l’Université devienne une représentation « naturelle » de notre imaginaire social.

10 février 2011

LA CULTURE À L’UNIVERSITÉ par Philippe Poirrier

Compte-rendu de lecture de ETHIS Emmanuel, De la culture à l’université, Paris, Armand Colin, 2010, 128 pages, 9,60 Euros.

S’interroger sur la place de la culture à l’université pourrait sembler étonnant : et pourtant force est de constater que les politiques publiques de la culture, et les universités, n’ont pas toujours accordé la place qu’elle mérite à cette question. Ce livre, publié dans la collection de poche " 128 " d’Armand Colin, est la version éditée d’un rapport remis en octobre 2010 à Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, sous la direction d’Emmanuel Ethis, sociologue de la culture et président de l’université d’Avignon et des pays de Vaucluse.

Ce dernier a mobilisé une large bibliographie, et surtout a rencontré, en tant qu’animateur de la Commission Culture et Université, de nombreux acteurs des mondes de la culture et de la communauté universitaire. La forme de la restitution est originale : 128 propositions visent à examiner et à conforter la place de la culture au sein des universités ; 128 propositions qui dessinent, loin de toute théorie, des perspectives d’actions à mettre en œuvre. Elles sont ici rassemblées sous sept chapitres thématiques : pratiques et productions artistiques et culturelles à l’université ; patrimoines numérisés, cultures numériques et culture du numérique ; diversités culturelles, sociabilités et socialisations à l’université ; culture générale et mobilités sociales des étudiants ; ancrages et ouvertures des universités au cœur de leur territoire ; information, diffusion et valorisation des événements et production culturels des universités ; présences et affirmations de l’université dans les mondes de l’art, de la culture et des médias.

L’objectif affiché vise à renforcer la place de la culture dans les universités françaises et à installer durablement celle de l’université dans les mondes de la culture. L’idée n’est pas neuve, et avait connu quelques concrétisations à la suite d’une politique volontariste impulsée au milieu des années 1980. Il reste, encore et toujours, à convaincre les communautés universitaires et les acteurs des mondes de la culture, alors même que la précarité (sociale et culturelle) des étudiants progresse et que la culture du divertissement s’impose, à l’heure d’une culture de masse qui bénéficie de la révolution numérique, comme la nouvelle culture commune. Ce livre, facilement accessible, contribuera sans aucun doute à alimenter un débat d’importance pour notre vie culturelle (1).

(1) Voir aussi, librement téléchargeable, La culture à l’université, U-Culture(s), 2006. http://mshdijon.u-bourgogne.fr/msh%... Philippe Poirrier Université de Bourgogne

01 février 2011

IL FAUT SAUVER LE CINÉMA D'AUTEUR !

Les Français ne sont jamais autant allés au cinéma qu’en 2010. Pourtant, beaucoup de "petits" films formidables, défendus par la critique, sont boudés par le public. Problème de distribution ? À lire l'enquête de Juliette Bénabent publiée dans le n° 3184 du magazine Télérama en cliquant ici, enquête dans laquelle je tente d'apporter quelques éléments de sociologie susceptibles d'enrichir le débat sachant que «la démarche d'aller voir un film en salle est paradoxale. Il s'agit à la fois de faire l'expérience collective d'une oeuvre, et de se distinguer dans la manière de la recevoir. En ce moment, l'émotion par tagée l'emporte très nettement sur le besoin de distinction.»