02 août 2011

SUPER 8 de J. J. Abrams, quand ne rien n’avoir à dire permet de tout raconter…

Premières images, premiers plans, premiers sons, premières notes de musique et le climat est posé. La dernière production Spielberg réalisée par J.J. Abrams – Super 8 – nous replonge instantanément dans le cinéma populaire américain de la deuxième moitié des années 1970 et du début des années 1980. Rencontres du troisième type, Star Wars, les Goonies,… l’imagerie d'une nouvelle cinéphilie s'installe, une cinéphilie qui elle-même s’appuyait sur ce cinéma d’anticipation des années 1950 dont les films de Jack Arnold apparaissaient comme la référence incontournable. Mais ce qu'a de singulier cette jeune cinéphilie, c'est qu'à l’époque, on s’essaie à faire soi-même du cinéma grâce à l’incursion de la caméra Super 8 dans un grand nombre de foyers aux États-Unis. C'est, de fait, une toute nouvelle génération qui va aborder le cinéma en tant que spectateur, mais également en tant que cinéastes amateurs puisque nombre de publicités ne vont avoir de cesse de lui dire «toi aussi tu peux faire du cinéma!». C’est pourquoi les héros de cette histoire qui, comme dans E.T. ou Stand By Me, sont des adolescents originaires d'une province plutôt rurale habités par cet univers cinématographique de référence, vont tenter précisément de reproduire ledit univers en Super 8. Ils en possèdent les codes. Lorsque, par hasard, ils filment le déraillement d’un véritable train – une "valeur ajoutée" et documentaire incontestable pour leur tournage amateur -, se posera très vite la question des plans manquants pour restituer l’action d’ensemble. Il s’agira alors pour ces derniers de mettre en scène l’explosion d'un train miniature, maquette fabriquée avec une rare passion du détail par l’un des jeunes protagonistes. Super 8, c’est l’apologie de l’anti-film suédé. On se souvient en effet comment dans le film de Michel Gondry, Soyez sympa, rembobinez, un vidéoclub retrouve un succès de fréquentation publique en proposant à la location les grandes productions cinématographiques revisitées par des parodies dont le ressort tient au décalage même avec le film original. Dans Super 8, au contraire, les codes maîtrisés fondent la quête de nos cinéastes en herbe. Au demeurant, lorsqu’au delà des effets spéciaux qu’ils tentent de reproduire, une adolescente du lycée propre à inspirer tous les émois de l'adolescence déboule dans leur casting et porte une interprétation magistrale de son personnage, ils seront bouleversés et, là encore, y verront une valeur ajoutée indéniable dixit, Charles Kaznyk, le jeune réalisateur à la super 8. Il faut dire que leur but ultime est de participer à un concours de films amateurs qu'ils espèrent sérieusement gagner.

De valeur ajoutée en valeur ajoutée, d’effets spéciaux réussis en performance d’acteur, Charles, qui ne doit pas avoir plus de 16 ans, va se retrouver très vite face à quelques interrogations existentielles d'importance – preuve d’une incroyable maturité et d’une parfaite réussite en termes de mise en abyme du film Super 8 - : «à quoi bon toutes ces images - déclare-t-il - puisque je n’ai aucune histoire, rien à raconter… Ok mes morts-vivants sont incroyablement convaincants, les scènes où mes héros se séparent sont émouvantes, mais qu’ai-je à dire vraiment, au fond ?». Dans cette petite ville de l’Ohio que les touristes traversent en en ignorant même le nom, où il faut attendre plus de trois jours pour recevoir le film super 8 que l’on a donné à développer à condition que le responsable du magasin ait pris soin d'écrire «Urgent» sur l’enveloppe d’expédition de la pellicule, il est particulièrement touchant de se demander encore et encore à quoi sert de prendre une caméra ou un stylo si l’on a rien à raconter. Au reste, même a 17 ans, nos jeunes réalisateurs nous apprennent que tout n’est pas bon à raconter. Ni la disparation de la mère de l’un d’eux, ni l’alcoolisme du père d’un autre, ni les secrets de famille dont chacun a conscience, mais dont tous savent que cela doit être conserver au creux d'une pudeur sans faille. Hors, dire ce qui ne doit pas l’être, c’est évidemment commencer à raconter beaucoup, c’est aussi renvoyer au sens de cette caméra-vérité qui fit le premier succès des frères Lumière. Et, lorsque par inadvertance la petite super 8 des gamins va filmer des images qui vont devenir la clef de l’histoire, nous réalisons, nous spectateurs, l’importance qu’il y a à se laisser surprendre par une image qui est toujours porteuse d’espoirs et de secrets. "Quand on ne voit pas ce qu’on ne voit pas, on ne voit même pas qu’on ne le voit pas" écrit l’historien Paul Veyne, l'auteur des Grecs ont-ils cru à leurs mythes?. Une citation qu'il serait bienvenue de faire figurer en introduction ou en conclusion de Super 8 car, d'évidence, ce film évoque, voire questionne, une petite part de nos mythes contemporains, ceux auxquels on aimerait encore croire un peu et ceux auxquels - ce n'est pas tout à fait la même chose -, adolescents, l'on sait avoir espéré ou aimé croire. À voir donc et à revoir.

[PS : Super 8 de J.J. Abrams sort sur tous les écrans le 3 août 2011. Pour prolonger le plaisir et l'intérêt, lire sans attendre le numéro 669 des Cahiers du Cinéma consacré à J.J. Abrams, à Super 8 et à la série TV Fringe.]