09 avril 2015

INVENTER UN SERVICE CIVIQUE… civique, obligatoire et tout au long de la vie

"Au lieu des haines nationales qu'on nous inspire sous le couvert du patriotisme, il faut enseigner aux enfants l'horreur et le mépris de la carrière militaire, qui sert à diviser les hommes, il faut leur enseigner à considérer comme un signe de sauvagerie la division des hommes en États, la diversité des lois et des frontières ; que massacrer des étrangers inconnus sans le moindre prétexte est le plus horrible des forfaits dont est capable l'homme tombé au dernier degré de la bête"(Léon Tolstoï)

Dans un article signé Léonor Lumineau paru dans le quotidien Le Monde du 3 avril 2015 et intitulé « Le service civique, une main-d’œuvre qualifiée bon marché », on s’inquiète de la manière dont risque d’être dévoyée la « belle idée » du service civique qui est sensée diffuser via un engagement volontaire de notre jeunesse au service de l’intérêt général les valeurs qui fondent notre République. Le dispositif en lui-même a été instauré par la loi du 10 mars 2010, il offre l’occasion aux 16-25 ans d’effectuer des missions d’intérêt général : appui aux familles et développement du lien social au sein des quartiers, animation d’actions autour du livre en prison, par exemple. Il est réalisé dans des collectivités publiques ou des associations agréées par l’Etat sur la base du volontariat durant six à douze mois. L’Etat verse entre 467 euros net d’indemnité par mois pour 24 à 48 heures hebdomadaires, auxquels s’additionnent 106 euros versés par la structure d’accueil agréée. En 2014, ce sont 35000 jeunes qui ont fait le choix de s’inscrire dans cette démarche, mais l’ambition annoncée par le Président de la République d’atteindre un chiffre de 150000 à 170000 jeunes par an fait craindre que les missions de service civique ne se transforment in fine qu’en une nouvelle forme d’emploi sous-payé. Il est évident que cette crainte persistera et ce, malgré la volonté de contrôle engagée par l’Agence du service civique. « Pour limiter les risques lors de la montée en charge et pour que les emplois déguisés disparaissent totalement, [cette dernière] propose que « les jeunes ne soient jamais seuls sur une mission pour marquer la différence avec l’emploi et qu’il y ait au moins un jour de formation civique et citoyenne par mois », une mesure rendue obligatoire par la loi, mais sans pour autant détailler le nombre de jours ». Piètre pis-aller que celui qui trouve de telles remédiations pour différencier le service civique de l’emploi et qui traduit en réalité les impensés du service civique, à commencer par le sens que nous souhaitons donner collectivement au civisme lui-même.

À cette fin, il faut commencer par se poser la bonne question dans laquelle s’origine l’idée même de service civique : qu’est-ce qu’un service civique apporte à l’individu qui s’y engage et à la société qui lui propose puisque précisément ce service vise dans son projet fondateur à favoriser le «faire société» ? Dans presque chaque débat dont l’objet est de réfléchir aux attendus et à l’organisation du service civique, il est immanquablement fait référence au service militaire, tantôt pour exprimer en quoi il doit s’en différencier, tantôt pour en rappeler les avantages organisationnels et fédérateurs pour les générations qui l’ont vécu. Il est certain que ceux qui ont fait leur service militaire s’en souviennent et en parlent comme un moment de vie singulier qui va de l’épuisement physique des premières semaines de « classes », intenses, jusqu’à l’ennui consommé des derniers mois perçus souvent comme inutiles. On y apprenait à enfiler l’uniforme, à reconnaître les grades d’une hiérarchie organisée, à comprendre toutes ces situations sociales où la fonction doit primer le grade, à saluer le drapeau français au son du clairon, à échanger avec d’autres jeunes adultes que l’on n’aurait jamais rencontré dans une telle promiscuité si le service n’avait pas été obligatoire. Et puis, l’on se souvient aussi de ceux de nos camarades qui parvenaient à se faire réformer ou exempter de service militaire. Le service civique n’étant pas obligatoire, ces notions de réforme et d’exemption n’ont de fait apparemment pas lieu d’être. Pourtant elles mériteraient de ressurgir logiquement pour distinguer ceux qui auront fait leur service civique et ceux qui ne l’auront pas connu : existera-t-il d’une part des français dotés d’un civisme reconnu par la nation – ceux qui auront fait le service – et d’autre part des français exemptés de civisme – ceux qui auront choisi de ne pas le faire - ? Voilà le hic. Si l’on considère qu’il faut réinventer un service civique moderne adapté à la vie et aux attendus du XXIe siècle, il est nécessaire de se doter d’une ambition à la hauteur pour construire un civisme qui implique toute la nation et donc un service obligatoire et enthousiasmant dans sa mise en œuvre comme dans les objectifs sociétaux qu’il se doit de remplir.

Si l’on part du principe que chaque français pourrait consacrer une année de sa vie à la nation, alors pourquoi ne pas penser à la manière de la formation tout au long de la vie, un service civique obligatoire qui s’organiserait, lui aussi, tout au long de la vie. L’idée originale serait alors de découper ce service en période de vie, deux mois répartis durant les années d’école primaire, trois mois durant les années collège, quatre mois à consacrer librement à la fin de sa formation professionnelle initiale et trois mois à choisir, quand on veut, au moment où l’on prend sa retraite. Car la citoyenneté tout comme les comportements de civisme ne sauraient être les mêmes tout au long de la vie, ce découpage en moments de vie civique et citoyenne seraient sans doute l’un des moyens les plus efficaces pour construire une société intégrée, une société du partage, une société apaisée et libre où l’on apprend d’abord les valeurs de la nation en primaire et au collège, où l’on donne ensuite de son temps au service des autres avant d’entrer dans la vie active, où l’on transmet enfin une part de ce que l’on a appris au moment de prendre sa retraite. Plutôt que d’être vécu comme une contrainte, il s’agit dés lors de responsabiliser dès l’enfance les citoyens à une nouvelle idée de l’engagement civique où il s’agit de valider librement ces moments de vie et d’échange d’expérience pour bâtir un pacte social renforcé par la participation de chacun. Utopique ou difficilement réalisable ? Sans doute. Mais ce type d’idée a l’avantage de questionner notre appétence à porter un idéal de société solidaire qui ne soit pas construit en réaction à des faits dramatiques, stricts constats d’un lien social en délitement, mais dans la volonté  de porter l’ambition d’un « être ensemble » responsable et intéressant afin de fonder les nouvelles bases d’une culture réellement commune.