07 septembre 2008

LA PRISONNIÈRE D'UN DESERT... culturel

Orléans, mars 2002. Dans les rues de la ville, quiconque croise Marie-Candy, pour peu qu’il s’attarde à discuter avec elle, ressort systématiquement de la conversation saisi par un trouble plus ou moins fort, un trouble qui ébranle tout son petit ordre social intérieur. Marie-Candy est une sorte de boîte à paroles où tout se précipite dans la plus parfaite anarchie pour créer des tornades de mots insensés : trois minutes lui suffisent pour expliquer à la fois son truc pour épiler les jambes avec de la pellicule de films fondue, pourquoi elle arbore en guise de “ pin’s ” au revers de sa veste l’appareil dentaire de Jean-Éric, son ancien petit copain, ou bien comment elle a trouvé un “ super job ” de manutentionnaire dans l’usine “ top moderne ” du coin qui fabrique “ des poupées dans le même latex que les capotes et des capotes dans le même latex que les poupées ”. Si Marie-Candy nous avait donné la possibilité de choisir le ton de notre rencontre avec elle comme l’on sélectionne la cuisson des viandes, on l’aurait à tous coups réclamée “ bleue ” ; mais, quand cela ne sent pas le faisandé, tout semble toujours servi bien trop cuit avec Marie-Candy. On aimerait avoir sous la main la bonne excuse pour abréger, mais Marie-Candy entreprend la description sa collection de poupées majorettes habillées comme Scarlett O’Hara ou la fameuse marquise des Anges, Angélique, et l’on sombre peu à peu sous l’emprise glutineuse de l’hypnose “ marie-candienne ”. Car Marie-Candy n’a pas sa pareille pour vous encelluler dans son univers à elle, un univers où tout se confond, réalité et fiction, concret et chimère. Pour dire les choses autrement Marie-Candy ne sait pas et n’a jamais su ce que signifie le fait “ d’être spectatrice ”. À dix-sept ans, elle était fan de Patrick Bruel et connaît encore par cœur les paroles de "Qui a le droit ?". Patrick faisait partie de son monde, comme elle pensait faire partie du sien. Marie-Candy pensait que quand elle serait grande, elle se marierait avec lui, sans difficultés. Pas de coupure, pas de rupture. Marie-Candy n'envisage les vedettes de son petit écran que comme des êtres qui donnent du sens à son quotidien, par imprégnation ; un peu comme l'air qu’elle respire ou la pluie qui la rafraîchit. Et, Marie-Candy n’est pas mythomane lorsqu’elle vous parle de sa rencontre avec John Wayne, d’ailleurs elle vous conseille sérieusement sur l’utilité de porter des gilets pare-balles pour regarder ces westerns et ces policiers où il peut toujours y avoir une balle perdue.

C'est avec cette folie monstrueusement infantile que Marie-Candy s’est heurtée au comédien Olivier Py, "un beau type pas con" qui "ressemble à son cousin Bernard". Avant-hier, elle l'a entendu dire qu'"entre une nuit avec Tom Cruise et écrire un beau texte, il n'hésitait pas une seconde" ; de fait, elle non plus. Elle s'est toujours dit que "prisonnière dans ce désert culturel" dont il parle si souvent, seule avec lui, serait sans doute une situation enviable. Depuis deux ans, le trouble de Marie-Candy n’a cessé de s’accroître, car Olivier Py a été nommé directeur du Centre Dramatique National de sa ville, ce qui l’amène à le croiser quelquefois dans la rue, en plus de l’avoir vu au ciné dans Nos Vies Heureuses de Jacques Maillot, ou sur Arte dans les Yeux fermés. Marie-Candy pense que “ tout ça, c’est des signes positifs, que quelque chose doit se passer entre eux ”. Marie-Candy veut rencontrer Olivier Py pour lui dire combien elle est émue quand ce dernier se produit dans son costume de travesti et fait ses petits numéros de cabaret en “ changeant de voix” . Marie-Candy “ tentera le coup demain ”, car elle a trouvé un prétexte pour l’aborder : “ une fameuse idée marketing, un filon en or pour Olivier et moi : une petite Barbie travelote en latex comme la Miss Knife de son spectacle, avec "buste" et "organes génitaux" amovibles". Marie-Candy frétille déjà car elle sait qu'"Olivier" aimera cette idée, même si elle se demande encore, non sans afficher un imperceptible mépris, pourquoi les marchands de jouets n'y avaient jamais songé avant elle : "pour les enfants, les poupées travesties, c'est vachement plus marrant, vous pensez, elles ont tellement d'accessoires".