«Rendez-vous au Paradis, si l'idée a son charme, à quoi pense-t'elle quand elle me dit, d'venir avec mon arme, oh elle est d'une beauté extrême, dans ses bras je n'suis plus le même, je préfère nier que je l'aime et pourtant je la suivrait sans faire de problème, rendez-vous elle me dit rendez-vous, d'accord je me rends»
La mise en place des premiers « rendez-vous » cinématographiques : le cinéma en salles
En 1903, dans la première édition du catalogue qu’il distribue aux passants pour les inciter à venir voir ses films, le cinéaste Georges Méliès écrit en guise d’auto-présentation : « Georges Méliès a été le premier à faire des films cinématographiques composés de scènes artificiellement arrangées, et cette création a donné une nouvelle vie à un commerce agonisant ». Le cinéma n’est pas encore une industrie, juste une invention, et ses charmes étaient surtout documentaires. Il s’est réinventé en insufflant des histoires, des narrations, de la fiction et ce sont ces fictions qui vont redéfinir un nouveau public. On se donne « rendez-vous » aux projections pour être le premier à voir le voyage dans la lune et son obus astronomique qui tombe dans l’œil du satellite ! À la sortie de ses projections, on se met à raconter à ceux qui ne l’ont pas vu l’Homme à la tête de caoutchouc, les Quatre cents farces du diable : le cinématographe ne se contente plus de montrer, il s’installe dans la narration de ces étranges fables enregistrées sur pellicule, et l’on trouve là une belle occasion de multiplier les conversations pour raconter à d’autres ce que l’on a vu sur l’écran. Et c’est aussi parce que les mots des histoires que l’on rapporte ne parviennent pas à épuiser la magie de ces actualités mystérieuses qu’il faut se rendre au cinéma. Les curieux occasionnels deviennent des spectateurs, et ces spectateurs qui reviennent au cinéma et qui convainquent d’autres d’y aller vont peu à peu former une audience. Aussi, c’est à destination d’un public élargi, où les bourgeois commencent à côtoyer le peuple, que les frères Lafitte vont créer la société du Film d’Art et inventer en 1908 l’ensemble des éléments qui encadrent la projection d’un film : l’information, la promotion, les annonces, les reportages sur les lieux de tournage et la critique cinématographique. On ignore souvent ce fait : c’est bien la volonté de quelques-uns qui ont fait le pari sur l’avenir d’un public de cinéma qui les a obligés à inventer d’un coup, en une fois, quasiment tout le dispositif promotionnel de base pour faire de la projection, de la programmation et de la salle de cinéma un moment de rendez-vous social. Cela ne s’appelle pas encore « marketing », mais tout est là en germe pour faire exister dans un espace et dans un calendrier sociaux le rendez-vous cinématographique. À la fin des années cinquante, en France, tout le monde se rend à la salle de cinéma, c’est devenu le « rendez-vous » culturel le plus populaire et l’on atteint en 1957, un niveau de fréquentation historique avec 440 millions d’entrées (à titre de comparaison, depuis le début du XXIe siècle, nous oscillons entre 175 et 200 millions d’entrées). À l’aune de ce grand écart historique, on comprend d’autant mieux pourquoi à partir des années 1970, face à la soi-disant concurrence de la télévision, le problème du cinéma s’est pensé comme le problème de l’avenir de la salle. Là encore, le sociologue peut rétrospectivement s’étonner que se contente encore de parler de fréquentations, mais que l’industrie cinématographique et son appareil marketing réfléchissent peu sur la notion même de public et de spectateurs comme on peut le faire dans d’autres pratiques culturelles. Pour le dire autrement, on semble plus réagir à l’époque à des effets de fréquentations, qu’anticiper sur une réflexion quant à l’évolution des pratiques. Pour enfoncer définitivement le clou et insister sur les mots, je pourrais dire que le cinéma quel que soit son mode de diffusion repose sur le devenir d’un public participant et non d’une audience faite d’individus rassemblés en un lieu et un moment précis. C’est pourquoi « la salle » aujourd’hui encore permet de mettre à plat, ou du moins d’objectiver, le sens du rendez-vous cinématographique. Comme le souligne le cinéaste iranien Abbas Kiarostami : « Assis dans une salle de cinéma, nous sommes livrés au seul endroit où nous sommes à ce point liés et séparés l’un de l’autre. C’est le miracle du rendez-vous cinématographique ». La salle est devenue à tous les sens du mot le lieu des possibles, le rendez-vous des logiques culturelles, économiques, urbaines et sociales. La salle de cinéma, en tant qu’espace public, est traversée par ces logiques qui viennent la singulariser profondément. Et, c’est là un des paradoxes du cinéma : s’il se pense comme doté d’une vocation universelle quant à sa diffusion, cette diffusion demeure irrémédiablement une diffusion située, territorialement appropriée par des spectateurs qui vont voir un film dans « leur » cinéma. Et c’est une des raisons pour lesquelles, le mot « cinéma » a pris très vite plusieurs sens métonymiques désignant à la fois la production cinématographique et « la salle où l’on projette des films ». C’est aussi une des raisons pour laquelle la salle demeure une référence qui définit la pratique de la salle comme une pratique où s’ancre la valeur de l’objet « film » auquel on a affaire. En tant qu’espace public virtuel, internet est traversé, d’une manière assez stricte, par les mêmes questions relatives aux logiques économiques, culturelles et sociales qui sont apportées par les publics qui le fréquentent et qui s’y donnent, là encore souvent « rendez-vous » et sont susceptibles de créer par ce biais des habitudes, un attachement qui va singulariser leur pratique et surtout – j’insiste sur ce point – qui va fabriquer leurs émotions et leur mémoire de spectateurs. Attachement, émotion et mémoire sont indéfectiblement liés à la pratique du cinéma qui a beaucoup à voir avec la pratique amoureuse et qui pose les mêmes problèmes quant aux notions de fidélité et d’assiduité, fidélité et assiduité qui ne sont pas de purs synonymes. Là encore, la métaphore amoureuse aide à comprendre cette distinction sociologique de comportement : en amour, on peut être fidèle sans être assidu et inversement être assidu sans être fidèle. De même on peut être fidèle à tel ou tel cinéma sans être assidu, et être assidu à telle ou telle pratique cinématographique sans y être fidèle. Les chiffres de fréquentation du cinéma ou de la consommation de cinéma ne nous donnent une idée que de ce que représente l’assiduité des publics, mais pas leur fidélité pourtant beaucoup plus intéressante car beaucoup plus structurante d’une pratique, là encore vécue comme un rendez-vous avec le cinéma. Au reste, une partie du cinéma commercial a interprété très étroitement la nécessité de fidéliser un public en démultipliant les opus, les suites mais surtout, contrairement à ce qui se faisait dans les années quatre-vingt, en proposant des suites qui sont un rendez-vous qui s’engage sur le plan de la surenchère et sur l’invention plus que sur les retrouvailles. Un deuxième rendez-vous est toujours plus compliqué que le premier car il ne repose plus sur l’idée de surprise, mais sur le jeu possible face à ce qu’on connaît, un jeu où le capital de familiarité doit être intégré au plaisir que l’on est censé trouver. Les produits dérivés ancrés sur le prestige de certaines productions cinématographiques participent à la construction de cette familiarité : jeux vidéo en tête, objets en résine, affiches de cinéma, bandes originales de films qui sont devenus des prolongements à part entière de l’œuvre dans notre quotidien. Si la plupart des films sont en mesure de toucher un large spectre générationnel aujourd’hui, les produits dérivés quand ils existent, ciblent particulièrement les 15-35 ans. La cible est juste, et pour cause. La formation et l’éducation au rendez-vous cinématographique se forment dans cet espace générationnel. D’où l’immense responsabilité pour l’avenir de(s) cinéma(s) pensés dans leur diversité culturelle du mode de sensibilisation qui se fera auprès des adolescents et des jeunes adultes, c’est-à-dire, des spectateurs qui sont en train de prendre leur autonomie en tant que public, en tant que critique également car c’est à ce moment précis que se raffinent leurs goûts et donc leurs pratiques. L’histoire des publics de cinéma a longtemps été marquée par un arrière-plan d’initiation, de partage, voire d’éducation : Là encore un clin d’œil historique nous permet de nous souvenir qu’au moment de son histoire dans les années 1910-1930 où le cinéma devient de plus en plus ambitieux pour raconter des histoires, notamment en adaptant des grandes œuvres littéraires ou théâtrales, il fallait élargir ses publics, inventer de nouveaux spectateurs et accueillir une frange populaire non habituée à la salle. C’est pourquoi, pour garantir le succès de ces nouveaux films que l’on qualifie à l’époque de « films d’arts », ce sont les directeurs des nouvelles scènes cinématographiques vont se lancer, eux-mêmes, dans ce qu’on appellerait aujourd’hui une « politique d’éducation » de leurs publics. L’idée en est fort simple : pour que chacun puisse jouir du spectacle de la salle de cinéma, il ne suffit pas de promouvoir le fait que le public a tous les droits, mais que s’imposent à lui un certain nombre de devoirs. À titre d’exemple, les cinémas Gaumont vont imprimer sur leurs programmes et projeter en guise d’ouverture de leurs séances, les dix commandements du « Bon spectateur » qui font, certes sourire aujourd’hui, par leur candeur :
-Chaque semaine au Cinéma, tu chercheras ton agrément,
-De bons fauteuils tu retiendras pour toi, ta femme et tes enfants,
-Bien à l’heure tu arriveras pour voir les films entièrement,
-Au vestiaire tu remettras ce qui te semble embarrassant,
-Sous tes pieds point n’écraseras les pieds des voisins de ton rang,
-Les titres tout bas tu liras car tout haut c’est plutôt gênant ,
-Comme au théâtre à la fin tu applaudiras pour montrer ton contentement,
-Ton plaisir tu ne trouveras qu’en un bon établissement,
-Celui-ci tu le connaîtras, il est de Gaumont le client,
-Et très fidèle tu lui seras, il t’en donnera pour ton argent.
Rétrospectivement, on peut dire que la « politique d’éducation » mise en place par les exploitants de salles de cinéma va permettre à un public issu des classes sociales populaires et moyennes d’acquérir les codes sociaux minimaux nécessaires à vivre dans de bonnes conditions la projection cinématographique et encore une fois de prendre au sérieux le rendez-vous avec le cinéma et avec ceux qui le pratiquent. Domestication et disciplinarisation des publics, diffusion de films dont l’histoire devient de plus en plus dense et la durée de plus en plus longue et construction de salles de prestige dévolues au plaisir du spectateur, sont les trois principaux facteurs qui se conjuguent pour façonner l’âge d’or des cinémas entre les années dix-neuf cent vingt et dix-neuf cent soixante-dix. En Europe comme aux États-Unis, les enquêtes menées auprès des spectateurs nous apprennent que « voir un film de cinéma » compte alors tout autant que le fait « se rendre au cinéma et d’être dans une salle ». Les noms des salles, eux-mêmes sont porteurs de promesse d’évasion et de rêves : L’Escurial, l’Olympia, le Rialto, Le Majestic, le Grand Rex, l’Alhambra. Dans une célèbre enquête sociologique, celle de Glasgow, faite récemment auprès de spectateurs qui ont connu cette époque, on relève que plus d’un tiers des personnes interrogées reconnaissent avoir fréquenté leur salle de cinéma favorite sans se préoccuper réellement de ce qui y était programmé. Un peu à la manière de ces voyageurs qui ont pris un jour l’Orient Express conservent un souvenir parfois plus prégnant du train que du voyage pour lequel ils l’ont emprunté, les spectateurs de l’âge d’or du cinéma sont capables, des années plus tard, de décrire souvent plus précisément leur salle de cinéma préférée que les films qu’ils y ont vu. La teneur des témoignages est très proche de celle de Pierre Tchernia lorsqu’il nous livre dans un livre récent la teneur de sa relation au cinéma de son enfance le Magic Ciné : « En ces temps sans télévision, en 1930-1931, il y avait deux cent douze cinémas à Paris. Je me souviens du Fantasio, de l’Éden, du Roxy, et surtout de MON cinéma : le Magic Ciné. C’était une salle de mille deux cents places, avec des premiers rangs à sièges de bois abattants : un ressort solide les remettait droits quand on se relevait, ce qui produisait un claquement sec et sonore. […] Derrière, il y avait des sièges de velours, et tout au fond, des loges. Ajoutez sur la façade des entourages lumineux autour des affiches, une petite sonnette grelottante, une dame qui vend des tickets, un monsieur qui les déchire, et vous avez un cinéma des années 1930 à 1960. […] C’est là qu’on venait voir les photos du prochain programme, c’est là qu’on avait rendez-vous, on y avait nos habitudes, on y avait nos places, on y avait nos rêves. J’allais au Magic Ciné le jeudi avec des copains ou le mercredi soir avec mes parents (car le lendemain matin, jeudi, je pouvais dormir). Quand mon père disait, le mardi : « Le film qui passe au Magic a l’air bien, on va y aller », j’étais jouasse, j’étais même vachement jouasse ». Là encore, on entend bien comment le cinéma s’était installé dans le quotidien des individus pour rythmer la vie sociale et surtout encore une fois créer des occasions de rendez-vous et de discussions autour de ces films que l’on voit tantôt en famille, tantôt avec ses copains, tantôt dans le cadre d’une sortie à deux. On le comprend déjà ici, tout ce qui ce passe dans le film lui-lême compte tout autant que ce qui se passe en dehors du film mais qui est enclenché par le cinéma : les sociabilités cinématographiques.
Les nouvelles sociabilités cinématographiques
Les sociabilités cinématographiques que la salle de cinéma a organisé en rationalisant le concept même de rendez-vous : un lieu, un horaire, un programme, une programmation, une rencontre, une sociabilité. Ce dernier point est cardinal car c’est surtout parce que les films fournissent socialement la plus formidable des occasions de se connaître, d’éprouver son jugement de goût avec celui des autres, de reconnaître ceux qui aiment les mêmes choses que la sortie au cinéma demeure et ce de très loin la pratique dominante en matière de sortie culturelle. Ce que la sociologie des publics de cinéma nous apprend, c’est que la valeur que quelqu’un accorde à une œuvre cinématographique est très dépendante de la valeur que d’autres personnes lui accordent, sinon cette œuvre n’existe pas . C’est une des raisons, d’ailleurs qui fait que se développent aujourd’hui, ces publics socialement construits depuis une offre cinématographique précise et clairement identifiée : les publics de festivals. Depuis 10 ans le nombre de festivals de cinéma a été multiplié par 5 sur tout le territoire européen, et d’après les plus récentes données, le public des festivals correspond à 10 % du public du cinéma en salle. Ceux-ci semblent concurrencer très directement les programmations des salles d’art et d’essais. Là encore, si l’on tente de comprendre le sens de cette concurrence d’un point de vue sociologique, on admettra assez vite, que ces festivals trient leurs spectateurs sur la base d’un rendez-vous social autour d'une programmation exigeante qui leur donnent une double satisfaction : celle de rencontrer le cinéma qu’ils affectionnent, d’une part, et d’autre part, de rencontrer ceux qui affectionnent le même cinéma qu’eux. Lorsqu’on énonce quelques intitulés de festivals, on imagine par défaut en arrière-plan a priori les publics qui sont supposés les fréquenter : festival du film romantique de Cabourg, festival du film policier de Cognac, Les inattendus, festival des films très indépendants de Lyon, festival des films très courts, festival international des films « pour éveiller les regards », festival du film Gay et lesbien de Paris, festival du making-off, festival du film web amateur, festival des films différents de paris, festival international du court-métrage étudiant de Cergy Pontoise, Festival International du Film de Cannes ! Il se crée souvent, on le constate, une véritable identification entre le découpage des thématiques des festivals et ceux qui les fréquentent. En ce sens, ce qui vole en éclat pour comprendre les publics de demain, c’est avant l’idée de « grand public ». Celle-ci disparaît au profit des communautés de spectateurs qui souhaitent faire lien derrière des propositions cinématographiques singulières. Il nous faut noter là l’importance qu’il y a à comprendre cette économie qu’on appelle l’économie des singularités. La recherche d’un bon film n’est pas simple. Le bon film doit apparaître comme une singularité pour le spectateur qui se reconnaît en lui. Mais le cinéma suppose toujours une incertitude sur sa propre qualité : contrairement aux produits marchands habituels, il faut obligatoirement le goûter pour avoir un avis définitif sur lui. Et avant de l’avoir vu, on continue à le faire exister dans un espace qui est celui de l’incertitude. C’est pourquoi pour que le marché du film fonctionne, deux choses demeurent nécessaires : la première, l’organisation d’un rendez-vous avec le film, intervention de la critique, de la publicité, des acteurs, de la promotion, des auteurs ; la seconde, la primauté de la concurrence par la qualité des œuvres plutôt que par le prix qu’on est prêt à y mettre pour y accéder. C’est une des raisons pour lesquelles le sémiologue Christian Metz assimilait notre relation aux films que nous aimons à une relation presque fétichiste. Elle se dédouane du prix qu’on est prêt à y mettre dans un sens – celui d’acheter des DVD sous coffret collectors qui valent jusqu’à 15 fois le prix d’une place en salles – ou inversement dans un autre sens – celui de pirater des films en avant-première-. Là encore, on le comprend, c’est un collectif, une communauté qui va élaborer la valeur que l’on accorde à un film. L’arrivée d’internet a considérablement transformé les modes de participation à l’élaboration de cette valeur. Si avant « en payant sa place, le spectateur s’approprie non seulement un siège, mais un regard ; regard dont l’identité le constitue pendant la durée d’un film, le dote d’un rôle, d’une contenance, d’un emploi », le rôle du spectateur se démultiplie dans les forums consacrés au cinéma. Là se dessine le jeu conversationnel des cybercinéphiles, un jeu où se détermine une inter-reconnaissance qui nous permet de rencontrer tour à tour sur le web : les mangeurs de pop-corn ou newbie (ce sont les nouveaux arrivants ou touristes aux propos émotionnellement enthousiastes mais non argumentés) ; les cybercinéphiles sérieux (qui, eux argumentent leurs propos en s’appuyant sur les qualités intrinsèques du film) ; les pointures (qui font partie des anciens et qui maîtrisent à la fois les codes de la cyberculture et ceux de la cinéphilie traditionnelle) ; en dernier lieu, l’on peut rencontrer aussi et comme partout les manchots (qui refusent de s’engager dans le jeu conversationnel). Internet, mais aussi aujourd’hui le téléphone portable, ont permis, après la télévision, le magnétoscope, les lecteurs-enregistreurs de DVD aux uns et aux autres de s’impliquer directement dans le rapport le plus personnel qui soit avec le cinéma et ceci ouvre de merveilleuses perspectives pour les films qui n’auraient pu trouver la reconnaissance qu’ils méritent en salles : on a vu ces dernières années se créent des festivals de cinéma sur le web : un des très beaux exemples nous est offert par Fluxus, le festival créé en l’an 2000 au Brésil qui est un festival de "cinéma" entièrement en ligne qui souhaite faire du web un lieu de rencontres entre différents supports et langues, ainsi qu'un lieu de diffusion pour toutes les formes d'images en mouvement : E-cinema (fictions, vidéos expérimentales), Anémic (animations), doc (documentaires) et Interactifs (net-art et œuvres interactives). Dans l’espace de ses sélections, on se rend compte que même là, les films de cinéma de qualité argentique sont souvent ceux qui continuent d'offrir le plus d'émotions. Un détour par Fluxus permet de comprendre de quoi sera fait le cinéma demain. Et peut-être de ceux qui s’y retrouvent. Là encore l’idée de rendez-vous prévaut et les horaires précis des séances de projection proposées sur le monde virtuel Second Life participent bien à cette dynamique générale. Ce que l’on voit bel et bien se mettre en place c’est l’ensemble d’une économie des pratiques et donc d’une économie tout court qui spécialise les publics et segmente les propositions qu’on leur adresse autour de rendez-vous qui leur ressemblent, et pour cause : au regard de ce qui vient d’être avancé, on comprend que s’il désire continuer d’exister pour les publics de demain, le cinéma devra continuer à réunir les qualités nécessaires pour demeurer un sujet propre à servir les trois principales «lois de la démocratie conversationnelle» : la loi du «tour de rôle» : tout le monde peut dire quelque chose sur le cinéma, tout le monde peut tenter de répondre à la question «Et toi, c’est quoi le dernier film qui t’a plu ?» . Aucun autre art ne permet cela aussi fortement. La deuxième loi de l’art de la conversation suppose que chacun puisse distinguer dans les paroles de l’autre, ce qui relève d’une affirmation de soi, comment les films disent des choses de nous que nous ne pouvons dire autrement. La troisième et dernière loi de la conversation porte sur le langage que l’on emploie pour parler d’un sujet. Si tout le monde ne trouve pas les mots techniques pour parler économie ou politique, en revanche, on trouve toujours des mots pour qualifier un film, ce qui en fait un sujet très démocratique. Au reste, ceux qui conçoivent les sites de rencontres sur internet, tel le très fameux meetic, ne s’y sont pas trompés. Le cinéma et le film préféré figurent parmi les principales questions pour dire à la personne que l’on convoite ce que nous sommes. C’est au reste ainsi que fonctionne désormais notre enquêté Jean-Michel que nous évoquions au début de ce texte pour tenter de faire une nouvelle rencontre. Mieux encore, on peut énoncer un chiffre édifiant : 91 % des premiers rendez-vous effectués avec une personne rencontrée sur un site ont pour objet une sortie une sortie… au cinéma.
Pour conclure, il s’agit donc d’insister sur le fait que les changements technologiques qui accompagnent l’évolution des modes de fréquentation du cinéma doivent être attentifs à cette donnée de l’art conversationnel que doit continuer à porter les films sinon les rendez-vous qu’ils soient en salles, devant un écran de télévision, devant un écran d’ordinateur ou sur l’écran de son téléphone cellulaire perdront leur quintessence sociale : l’un des tout premiers gestes quand quelque chose nous plaît, même si l’écran est miniature, est bien de se tourner vers ceux qui nous entourent pour leur dire « regarde ! ou viens voir ! ». Dernier point, les possibilités offertes par les nouvelles technologies permettent à tous de s’approprier aisément aujourd’hui les moyens de filmer, monter des images filmées, scénarisées ou simplement captées par un téléphone portable. Si cela ne transforme pas les pratiques en elles-mêmes, cela, en revanche façonne le regard des spectateurs qui deviennent des spectateurs-acteurs. Et, il ne faut pas en douter, ces phénomènes feront des publics de demain, non pas des réalisateurs, mais des experts attentifs et avertis capable de mieux voir et de mieux parler encore de leur passion qui trouve de nouvelles voies de partage comme c’est le cas sur Youtube. En effet, la nouvelle expertise spectatorielle permet d’exacerber, de potentialiser l’autonomie du jugement, du regard des publics et surtout des échanges qu’ils engendrent autour des cinq composantes que sont la qualité technique, l’originalité, d’une œuvre, la force des récits qu’elle porte, ce que ces récits disent de nous, nous apprennent de nous-même et l’émotion qu’ils sont en mesure de susciter. Ce sont ces composantes qui sont aujourd’hui discutées et qui font le succès d’un film N’en doutons pas, le cinéma continuera à se définir bel et bien par le(s) partage(s) qu’il autorise et par la manière dont il nous permet de nous valoriser lorsqu’on énonce les films qui comptent pour nous. On se « retrouvera » pour aller au cinéma dans la « vraie vie » sur Youtube en composant avec l’art subtil du « rendez-vous » et c’est bien la façon dont le rendez-vous se déroule qui impliquera le fait qu’on en sollicitera un autre, puis le suivant.
Pour conclure, il s’agit donc d’insister sur le fait que les changements technologiques qui accompagnent l’évolution des modes de fréquentation du cinéma doivent être attentifs à cette donnée de l’art conversationnel que doit continuer à porter les films sinon les rendez-vous qu’ils soient en salles, devant un écran de télévision, devant un écran d’ordinateur ou sur l’écran de son téléphone cellulaire perdront leur quintessence sociale : l’un des tout premiers gestes quand quelque chose nous plaît, même si l’écran est miniature, est bien de se tourner vers ceux qui nous entourent pour leur dire « regarde ! ou viens voir ! ». Dernier point, les possibilités offertes par les nouvelles technologies permettent à tous de s’approprier aisément aujourd’hui les moyens de filmer, monter des images filmées, scénarisées ou simplement captées par un téléphone portable. Si cela ne transforme pas les pratiques en elles-mêmes, cela, en revanche façonne le regard des spectateurs qui deviennent des spectateurs-acteurs. Et, il ne faut pas en douter, ces phénomènes feront des publics de demain, non pas des réalisateurs, mais des experts attentifs et avertis capable de mieux voir et de mieux parler encore de leur passion qui trouve de nouvelles voies de partage comme c’est le cas sur Youtube. En effet, la nouvelle expertise spectatorielle permet d’exacerber, de potentialiser l’autonomie du jugement, du regard des publics et surtout des échanges qu’ils engendrent autour des cinq composantes que sont la qualité technique, l’originalité, d’une œuvre, la force des récits qu’elle porte, ce que ces récits disent de nous, nous apprennent de nous-même et l’émotion qu’ils sont en mesure de susciter. Ce sont ces composantes qui sont aujourd’hui discutées et qui font le succès d’un film N’en doutons pas, le cinéma continuera à se définir bel et bien par le(s) partage(s) qu’il autorise et par la manière dont il nous permet de nous valoriser lorsqu’on énonce les films qui comptent pour nous. On se « retrouvera » pour aller au cinéma dans la « vraie vie » sur Youtube en composant avec l’art subtil du « rendez-vous » et c’est bien la façon dont le rendez-vous se déroule qui impliquera le fait qu’on en sollicitera un autre, puis le suivant.
(Une version de ce texte a été publiée dans le N° 154 de la Revue Communication et Langages)