29 octobre 2013

LES SALLES DE CINÉMA : entretien avec Claude-Éric Poiroux [Europa Cinemas Network Review n°22]

Claude-Eric Poiroux : Pendant le premier demi-siècle du cinéma, la salle a été le seul lieu où l'on pouvait voir des films. Puis l'apparition de  la télévision a provoqué une double révolution: le grand écran désacralisé et la vision privée à domicile. Les supports se sont eux-mêmes diversifiés : la cassette et le DVD ont démocratisé la circulation des œuvres et la pellicule a fini par disparaître au profit du signal numérique. Aujourd'hui on peut voir des films chez soi ou en voyage, sur des téléviseurs, des ordinateurs ou des tablettes et bien sûr toujours dans des salles de cinéma qui n'ont cessé de s'améliorer à tous points de vue. Tout en abandonnant son exclusivité, la salle a su rester le lieu de référence du cinéma, où le film garde ses deux dimensions, spectaculaire et collective. Quels sont à vos yeux les atouts essentiels de la salle de cinéma pour conserver et accroître son leadership?
Emmanuel Ethis:
Tout d’abord, il me semble important de rappeler que la sortie au cinéma restera, en mon sens, la référence en terme de pratique culturelle. Les atouts des salles de cinéma reposent effectivement sur la capacité de la salle de cinéma à charger symboliquement une œuvre. Des deux dimensions du film que vous mentionnez, l’aspect collectif m’apparaît fondamental. La salle de cinéma, c’est le déclencheur de discussions, d’échanges et de débats. La vision privée à domicile ou les différents lieux virtuels ne remplaceront pas la salle de cinéma, mais ils pourront l’altérer. C’est donc précisément sur sa capacité à être un espace de sociabilité que la salle de cinéma doit jouer. Elle doit rester un art subtil du « rendez-vous ».
Un autre atout de la salle de cinéma, qu’on a souvent tendance à oublier, c’est le rapport à la fois humain et de médiation qui se crée. On néglige trop souvent l’importance de la ou du caissier qui est pourtant responsable de 40% des choix de films. Ils représentent la dernière étape avant l’entrée en salle. Il faut pouvoir répondre à l’ensemble des attentes, on ne peut se lancer vers une dématérialisation de la billetterie, il sera également essentiel de consolider la formation de ces médiateurs tant ils sont des acteurs dans la sortie au cinéma dans leur capacité à influer sur la décision finale du film pour les spectateurs hésitants.

CEP : L’exploitant d’une salle de cinéma connaît bien son public et c’est sa mission de répondre à la demande des spectateurs en adaptant sa programmation. C'est lui qui garde l'initiative en matière d'offre puisque chaque semaine ses écrans affichent de nouveaux films qui font l'actualité et c'est lui qui assure leur promotion. Or, aujourd'hui, la salle n'est plus seule à être prescriptrice. Elle vit dans un contexte de multiconnexions qui peut toucher un public plus large,  mieux alerté sur les événements cinématographiques et souvent lui-même demandeur. Comment la salle peut-elle transformer et enrichir ses liens avec le public dans ce nouvel environnement?
Emmanuel Ethis:
Avec l’émergence du Web 2.0 et par la suite du Web social, les échanges, les discussions et les critiques autour du cinéma ont fait une apparition massive sur internet. De plus, il ne fait pas croire qu’elle est superficielle. Qu’elle soit sur Twitter, Vodkaster ou encore Sens Critique, la critique de cinéma est toujours réfléchie. Les réseaux sociaux permettent un nouvel apprentissage du cinéma à laquelle la salle doit prendre part. Vous avez raison de dire que la salle n’est plus la seule prescriptrice, mais elle a l’occasion d’investir de nouveaux canaux de promotion, de communication et d’interaction avec son public. Les salles indépendantes, notamment, devraient, si elles ne le font pas déjà, sérieusement envisager ce mode de communication tant il permet l’émergence d’une identité pour la salle, ainsi qu’une capacité d’interaction avec son public.

CEP : Avec tout l'outillage numérique à sa disposition, le public modifie ses comportements notamment en matière culturelle. D'où il est, sans avoir à se déplacer, chacun d'entre nous peut commander et obtenir tous les produits qu'il désire et même plus encore, puisque les sollicitations d'Internet sont quasiment sans limites. Le commerce culturel s'est dématérialisé et beaucoup de secteurs, comme la musique, ont dû s'adapter aux nouvelles pratiques de leur public. Pour anticiper un possible désintérêt des jeunes pour les films au cinéma, comment les salles doivent-elles comprendre ces nouveaux comportements et s'adresser aux spectateurs de demain?
Emmanuel Ethis:
Tout d’abord, l’aspect le plus important et qui n’est malheureusement que très peu relevé lors des statistiques de fréquentation c’est que c’est une affaire d’habitude, essentielle chez certaines cultures familiales. Il faut donc initier le jeune public à cette pratique, à cette façon particulière de domestiquer son corps par exemple. Cette initiation doit passer par des films qui permettent de mobiliser un tel public. J’espère ainsi que le programme d’Aurélie Filippetti relatif à l’éducation artistique et culturelle pourrait être mis en place.

Il est nécessaire de comprendre que pour le jeune public, la sortie au cinéma est aussi un moyen de revendiquer et d’affirmer son propre gout cinématographique et de se fait de s’émanciper de celui de ses parents. Il en va alors de la santé de l’industrie cinématographique de travailler sur des notions à la fois de formation des regards, mais également de transmission, sur lesquelles les pouvoirs publics devraient se mobilier de façon plus importante. Les 15-30 ans sont sensibles aux problématiques sociales et la façon dont elles s’expriment à l’écran et deviennent eux-mêmes prescripteurs par l’intermédiaire de l’organisation d’évènements, de ciné-clubs ou la création de différents médias qui parlent de cinéma. Leur sensibilité à l’aspect nostalgique du cinéma m’intéresse également. Une nostalgie qui se dessine notamment par l’intermédiaire d’évènements cinématographiques qui y font référence. Ajoutons à cela que certaines initiatives à l’instar des ciné-concerts ou des spectacles « hors-films » permettent également, en somme, de faire émerger une nouvelle forme de spectateur. Par ces expériences là, l’apprentissage du « réagir ensemble » et du « voir ensemble » se crée. C’est en s’occupant du jeune public aujourd’hui, en lui permettant se forger un regard, de se créer des traditions et des rituels, qu’on crée les spectateurs de demain.

28 octobre 2013

INTERVIEW DÉCALÉE D'UN PRÉSIDENT D'UNIVERSITÉ : quel étudiant étiez-vous ? Un retour vers le futur.

"CPU : Donnez-moi deux raisons de m’inscrire dans votre université.
Emmanuel Ethis : Je n’en vois qu’une seule : c’est l’université d’Avignon : joie, rigueur, communauté universitaire, qualité scientifique, qualité de formation, vie culturelle intense, vie sportive épanouissante, patrimoine, culture et agro sciences, nos axes thématiques. C’est une université qui vous transforme radicalement le temps de vos études.

CPU : Pour conclure, votre coup de cœur, votre coup de gueule du moment.
EE : Mon coup de cœur est l’émotion réelle que je ressens à chaque fois que je rencontre mes collègues lors des CPU à Paris. J’aime leur implication, leur sincérité et leur passion pour défendre leur établissement et les universités en général et ce, quel que soit le type d’établissement.
Mon coup de gueule est cette préoccupation permanente de l’image sans cesse dévoyée de l’Université dans notre société alors que l’Université est notre plus bel outil de progrès et de transformation sociale."

La CPU, Conférence des Présidents d'Université, propose des interviews des présidents d'université focalisées sur leur parcours d'étudiant. Retour vers le futur. Vous pourrez retrouver l'entretien qui me concerne dans son intégralité en cliquant ici