Dédicace à tous les amateurs d'ironie, de cynisme ou grands lecteurs de La Mètis des Grecs de Détienne et Vernant.
Dans une interview accordée il y a quelques années au quotidien Le Monde, Max Guazzini, le président du Stade français Paris déclarait à propos du fameux calendrier des rugbymen nus que tout cela, «au départ, c’est uniquement pour s’amuser». L’entretien visait à interroger Monsieur Guazzini, également patron de la radio NRJ, sur l’ambiguïté de certaines photos où les sportifs semblent jouer sur des postures fortement évocatrices de l’imagerie homosexuelle. Cet axe d’accroche sur l’ambiguïté gay a d’ailleurs été celui qu’ont privilégié la quasi-totalité des interviewers qui ont rencontré Max Guazzini ou les joueurs du Stade français. Cette année, le calendrier a - semble-t-il - atteint des records de vente sans précédent, records confirmés dans le succès tout aussi important qu’a rencontré la vente du DVD du making-off sur les Dieux du stade ou plus exactement des DIEVX DV STADE, respect de la typographie oblige, un titre qu’il faut entendre, selon l’interviewé, sur le même registre que le référent à la culture gay, c’est-à-dire «au second degré». Reste à savoir de quel second degré il s’agit et comment il est supposé fonctionner.Lorsqu’on convoque le second degré, c’est, en général, pour justifier plus ou moins adroitement de l’existence possible d’un contrat de connivence entre celui qui produit une image ou un bon mot et celui qui les reçoit. Cela instaure d’emblée un jeu dont le soi-disant second degré partagé signifie qu’on a décodé la règle implicite : on appartient alors à la même «communauté culturelle» que ceux qui vous interpellent par ce contrat de communication.
Le jeu du second degré se résume donc souvent à la compréhension d’une ambiguïté, compréhension à laquelle est attaché un véritable «facteur plaisir» lorsqu’on parvient à tirer à soi la couverture du sens incertain. De fait, lorsque l’on est gay et que l’on se procure le calendrier ou le making-off des Dieux du stade, on ne saurait supposer un seul instant que tous ces rugbymen se moquent ouvertement de vous en feignant les codes imagétiques de votre communauté, mais plutôt que ces derniers possèdent avec vous ces codes imperceptibles par le non-gay ; dès lors le rugbyman devient au pire un gay-friendly, au mieux un type sensible à la beauté de ses collègues de jeu avec qui il fête gaiement ses troisièmes mi-temps sous la douche. De même, lorsque l’on est une femme hétérosexuelle et que l’on achète ce calendrier, on est sans doute flattée par cette intimité masculine soudainement offerte et si bien évoquée dans la fameuse chanson de Clarika : «Ah, si j’étais un garçon, je saurais ce qu’ils font dans les vestiaires ah, si j’étais Paul ou Léon ou même un porte-savon, un courant d’air». Les Dieux du stade semblent résoudre partiellement ce fantasme singulier du vestiaire sportif où la mixité demeure étrangère. En 2003, la photographe était – rappelle Max Guazzini – une femme : «le calendrier est donc avant tout le regard d’une femme». En 2012, comme en 2011, la femme a été remplacée par le photographe François Rousseau. On attend avec impatience une nouvelle déclaration de Max Guazzani qui affirmerait : "le calendrier est désormais avant tout le regard d'un homme". Hommes, femmes, chacun pourra donc projeter ce qu’il veut sur les Dieux du stade, les poses soumises de Thomas Combezou ou le regard séraphique de Alexis Palisson: c’est l’œil du spectateur qui reconstruit le sens, ce qui dégage amplement le producteur de ladite image de toute responsabilité de sens incontrôlé. On peut seulement avancer sans risque que les acheteurs du calendrier ou du making-off ont en commun un certain goût pour la beauté du corps humain, chacun inscrivant ce goût dans le registre qui lui est propre. Le cas du rugbyman qui achète le calendrier… Demeure la question du second degré également convoqué par Max Guazzini en ce qui concerne le titre du calendrier qui est aussi le titre du film making-of du calendrier «les Dieux du stade» : si nous avons affaire à des « Dieux », c’est donc que ce goût pour la beauté du corps sportif pourrait – c’est piquant – s’ériger en culte rendu à nos héros du stade ? Un culte païen et amusant, il va sans dire.
On a bien compris que nos sportifs jouent ici du second degré avec une habileté spirituelle d’exception. Il serait, en conséquence, déplacé d’évoquer ici une quelconque référence à ce fameux culte du corps si bien rendu par le piqué de l’image noir et blanc de la réalisatrice Leni Riefenstahl dans le fameux film intitulé lui aussi Les Dieux du stade, où cette dernière offrait à Hitler en 1936 son regard de femme sur la beauté plastique des athlètes olympiques. Ceux qui ont pu voir le documentaire en deux parties se souviennent sans doute de la première, sous-titrée La Fête de la beauté (Fest der Schönheit), où l’on voyait évoluer des sportifs nus en rappel à l’olympisme grec des origines. Evidemment, nos Dieux du stade version 2017 n’ont rien à voir avec cela : ils sont porteurs de valeurs bien différentes, et comme le dit Max Guazzini «tout le monde a trouvé cela amusant». Dédouanons donc nos sens de ces vieilles histoires et évitons de nous interroger trop longtemps sur ces sociétés qui développent de nouveaux cultes du corps avancé comme un corps prétendument « authentique » : on est là dans le second degré maîtrisé de la candeur et de l’innocence de sportifs sympathiques, joueurs et attachants au service d’une simple opération marketing aux vertus déculpabilisantes puisque, de surcroît, précise le patron d’NRJ, «depuis deux ans une partie des sommes récoltées va à une association humanitaire». Et rendons grâce aux Dieux. En s'installant dans la longue durée, depuis leur première édition, les Dieux du stade version calendrier sont devenus un rendez-vous annuel habité par ce zeste d'érotisme tourné vers le grand public faisant ainsi évoluer de concert le regard que nous portons tous sur la nudité masculine. Je précise au lecteur de ce billet que tout ce est écrit ici est évidemment à prendre au second degré !