30 juin 2015

CANNES HORS PROJECTION en ligne et en accès libre

Bonne nouvelle pour les amateurs de sociologie du cinéma : "Cannes hors projection", un numéro de la très soignée revue Protée que j'ai eu l'honneur de diriger est désormais en ligne avec accès libre. Il suffit de cliquer ici !



26 juin 2015

Discours prononcé à l'attention du Président de la République le 15 juillet 2012 à Avignon / commémoration du centenaire Jean Vilar

 Jean Vilar
Monsieur le Président,

Il a fallu attendre près de trois décennies pour qu’un Président de la République revienne au Festival d’Avignon. Votre présence ici est à la fois un très grand honneur, une très grande joie mais aussi et surtout un merveilleux symbole. Symbole car vous y venez pour commémorer le centenaire Jean Vilar - un homme qui détestait les commémorations – mais un centenaire n’est pas une commémoration comme les autres. Lorsqu’on commémore les cent ans d’un homme, cela signifie que nombre de ses compagnons de route ont déjà disparu, cela signifie que les tout premiers spectateurs d’Avignon continuent à s’éteindre les uns après les autres, mais que fort heureusement beaucoup sont encore là pour nous rapporter leurs souvenirs. Nous avons tous connu cette expérience singulière, Monsieur le Président, de penser à quelqu’un qui nous est cher et qui a disparu. Et, peu importe l’amour ou l’affection que nous avions pour notre proche, nous nous rendons compte que notre mémoire, notre esprit ont de plus en plus de difficultés à nous restituer les traits d’un visage qu’on a aimé et qui nous était si proche. Cette expérience peut nous plonger dans une immense tristesse s’il n’y avait pas les autres ceux qui ont aussi connu la personne et avec qui l’on peut en reparler. Et là ce sont alors des anecdotes, des gestes, des sourires, des paroles, des colères, des incohérences, des contradictions qu’il nous plait de redécouvrir ensemble. Nous avons besoin d’être ensemble pour faire vivre nos souvenirs et surtout pour les transmettre.

Vilar, nous le redécouvrons complexe, lorsqu’on lit l’intégralité de ses écrits, on comprend combien l’homme est rempli de contradictions ; mais ces contradictions sont bien celles d’un homme pragmatique habité d’un objectif impérieux jamais abandonné et résumé dans ces célèbres propos qui énoncent son programme : « tenter de réunir dans les travées de la communion dramatique le petit boutiquier et le haut magistrat, l’ouvrier et l’agent de change, le facteur des pauvres et le professeur agrégé. Car dans ce monde mécanisé, hiérarchisé, divisé, unir des êtres d’origines diverses, de goûts différents, de pensées souvent ennemies est – me semble-t-il – la raison d’être du théâtre ». Car enfin, il s’agit pour Vilar d’être bel et bien ensemble pour penser politiquement le monde qui est le nôtre grâce aux grands œuvres de spectacle vivant. Le projet de Vilar est une utopie politique, mais une utopie qu’entendra la jeunesse d’après-guerre, une jeunesse qui va venir à Avignon, habitée d’un militantisme où l’éducation artistique et culturelle va devenir éducation populaire, une promesse d’émancipation. Bien sûr, tout ne fonctionne pas forcément tel que Vilar l’a imaginé, mais peu importe, sa volonté ne s’est jamais démentie. Trop d’entre nous préfèrent changer d’objectif lorsque l’objectif initial qu’ils se sont fixés semble trop difficile à atteindre. Pas Vilar.

Ce que je constate, c’est que fort de son inspiration, un modèle avignonnais s’est inventé aujourd’hui dans l’héritage de Vilar. Un lieu de fabrique et de création. Un lieu de mémoire. Un lieu de recherche. Un centre national des écritures. Une antenne de la BNF. Un lieu où la démocratisation culturelle se réinvente sans cesse. Une université de la Culture… La principale raison pour laquelle Vilar continue à parler à la jeunesse d’aujourd’hui – particulièrement aux étudiants de nos universités qui ont été les grands oubliés de toutes les politiques culturelles -, c’est que tout comme André Malraux ou Jack Ralite, Jean Vilar pense qu’il existe une mystique de la rencontre entre le peuple et la culture. Cette rencontre là, cette mystique, est chargée de la plus belle des énergies, une énergie qui nous rappelle que la culture doit être partagée par tous et ne saurait être confisquée au profit de quelques apparatchiks ou soumise – c’est tout aussi grave - à la domination du marché. Avignon a attendu près de trois décennies avant de revoir en plein cœur de son Festival un président de la République. A nous tous de transformer ce merveilleux symbole en une politique durable. A nous de faire de la transmission publique notre première mission de service public. Nous vous attendions, Monsieur le Président, Madame la Ministre. Ne nous quittez plus. Nous sommes tous prêts pour une nouvelle aventure culturelle libérés par Vilar car, j’en suis convaincu, c’est à Avignon que tout doit pouvoir désormais recommencer.

Je vous remercie.