11 septembre 2014

SOCIOLOGIE DU CINÉMA ET DE SES PUBLICS, une troisième édition de l'ouvrage entièrement revu est disponible depuis le 11 septembre 2014 !

Faire de la sociologie des publics de cinéma, c’est s’interroger sur ce que font les spectateurs du cinéma avec le cinéma. Pour le dire autrement, il s’agit de se demander ce qui, les uns et les autres, nous relie au cinéma, sans oublier, bien sûr, qu’il n’y a pas que le cinéma dans la vie. Cette question, posée ainsi, nous oblige à dépasser les analyses traditionnelles de fréquentation ou de box office pour nous intéresser à la place concrète que le cinéma occupe dans nos vies. Cinémas en salles, cinémas en DVD ou Blu Ray, téléchargements de films, piratages, achats d’objets ou de documents relatifs au cinéma, fabrications personnelles et montage de films, usages des fonctions caméra des téléphones portables, sociabilités cinématographiques plurielles : le XIXe siècle a ouvert un espace où la pratique du cinéma se structure pour permettre une relation de plus en plus personnalisée avec les films qui émaillent nos vies. Mais la focale sociologique nous dévoile aussi le fait que la relation que nous entretenons avec le cinéma trahit, en tant que pratique culturelle singulière, une manière d’être, une manière d’envisager la vie, une volonté de trouver dans les films que nous aimons une façon d’être relié à autrui et d’atteindre par là même le sens d’un partage collectif.

Dans la vie de tous les jours, le constat est patent : si tout le monde ne trouve pas les mots pour parler d’économie ou de politique, en revanche, on trouve toujours des mots pour qualifier un film que l’on a vu, ce qui fait du cinéma l’un des sujets les plus démocratiques qui soit. Au reste, ceux qui conçoivent les sites de rencontres amoureuses sur internet ne s’y sont pas trompés : le cinéma et le film que l’on préfère figurent parmi les principales questions qui permettent de s’identifier et donc de parler de soi. Mieux encore : 91 % des premiers rendez-vous dans la « vraie vie » consécutifs à une rencontre sur le net ont pour objet une sortie une sortie… au cinéma. Si certaines technologies nouvelles s’appuient sur le potentiel conversationnel contenu dans les films qui comptent pour nous, d’autres comme le téléphone portable ou les petites caméras numériques ont mis à portée de tous les moyens de filmer, de monter des images, de scénariser des séquences ou, plus simplement, de capter un moment du quotidien.

Ces gestes-là, s’ils ne transforment pas les pratiques en elles-mêmes, façonnent en revanche le regard des spectateurs qui deviennent de véritables spectateurs-acteurs. La répétition de ces gestes feront des publics de demain, non pas des réalisateurs, mais des experts attentifs et avertis capables de mieux voir et de mieux parler encore de leur pratique qui trouve chaque jour de nouvelles voies de partage comme c’est le cas sur My Space, Facebook, Dailymotion ou Youtube. En effet, la nouvelle expertise spectatorielle permet de réifier l’autonomie du jugement, le regard des publics et surtout les échanges qu’ils engendrent autour de la qualité technique d’un film, de son originalité, de la force du récit qu’il porte, de ce que ce récit dit de nous, de ce qu’il nous apprend de nous-mêmes et de l’émotion qu’il est en mesure de susciter. Faire de la sociologie du cinéma aujourd’hui, c’est donc bel et bien comprendre comment le cinéma évolue dans les nouveaux partages qu’il autorise, comment et sous quelles formes il nous permet de nous valoriser et de nous singulariser lorsqu’on parle des films de « notre vie », comment enfin ces films-là servent à rendre souvent nos existences plus cohérentes en nous aidant à raconter et, par conséquent, à nous raconter.

10 septembre 2014

ET ENTRE NOUS COULE UNE RIVIÈRE... de questions sociologiques..

Les spectateurs, les publics n’aiment pas lorsque la sociologie leur donne la sensation qu’ils sont classés dans des cases. Et, il faut en convenir, on peut être gêné à la lecture de certains rapports, études ou enquêtes lorsqu’on y découvre comment le sens effectif des pratiques, c'est-à-dire le sens de ceux qui en sont porteurs est souvent écrasé derrière une interprétation unique qui nous nous laisse penser par exemple qu'il existe un public et qu'à ce public s'opposerait un non-public, ou encore cette comparaison couramment faite entre pratique culturelle et pratiques religieuse que l'on compare souvent du fait de leur capacité de rassemblement. Or, comme le remarque souvent Paul Veyne les conduites induites dans le religieux sont souvent des conduites menées par habitudes et souvent sans curiosités. Ce n'est pas le cas des conduites culturelles. J'imagine mal, en effet, des pratiques culturelles qui s'instruiraient sans un part de curiosité véritable de la part de ceux qui les mènent. Entre l'objet culturel et ce que nous appelons en sociologie de la réception l'activité des publics, le fil d'Ariane qui court est tissé des fibres de cette curiosité qui lie artistes et spectateur et leur fait partager via la médiation de l’oeuvre un intérêt commun. "L'art - disait Cocteau qui était sans doute plus sociologue qu'artiste - est une projection de pollen comme la vie elle-même et ma seule récompense est d'être compris de quelques uns. Créer est le seul moyen de vivre encore. Regardez toutes ces momies rangées soigneusement dans leurs alvéoles, de temps en temps, il y en a une qui vous adresse un signe imperceptible. Aujourd'hui nous avons tout épuisé et nous nous retrouvons devant une sorte de vie végétale. Regardez un jardin, observez-le comme je me complais à le faire depuis quelques temps, vous y verrez pulluler une vie intense".

Il en va de même pour le sociologue de la réception : Là où son collègue qui travaille sur les consommations culturelles regarde en jardinier l'agencement des fruits, légumes et fleurs cueillis pour s'informer sur ce qui est préférentiellement cultivé puis déguster, le sociologue de la réception à l'image de l'allergologue tendra plutôt à s'intéresser à des phénomènes plus repliés sur les effets produits par la dégustations ou par la dispersion des pollens dont parle Cocteau, des effets qui peuvent aller jusqu'à la rhinite allergique ou l'éruptions cutanée.C'est, du reste, un parallèle intéressant que celui qui peut être fait dans la comparaison des démarches de l'allergologue et du sociologue de la réception des oeuvres car tous deux s'intéressent à l'étude des sensibilités effectives en tentant de leur restituer leur sens d'origine. Ainsi si les oignons font pleurer, ce n'est pas de l'allergie, mais un effet irritant dû aux substances volatiles qui agissent sur la conjonctivite oculaire. En revanche, si nos yeux deviennent rouges, pleurent et nous démangent quand on caresse un chat, cela traduit une sensibilité particulière que l'on appelle allergie. 


De même lorsqu'une peine immense au décès d'un proche nous envahit et nous amène à pleurer, il ne s'agit pas tout à fait des mêmes larmes que celles qui conduisent certains à sangloter après la mort du héros à la sortie d'un film de cinéma. Je me souviens d'ailleurs d'un jeune homme, un appelé du contingent qui, à la sortie du film de Robert Redford Et au milieu coule une rivière, se sentait obligé de se justifier de ses larmes face à ses copains militaires, des larmes que lui même n'arrivait pas à très bien comprendre:"je ne sais pas trop ce qui m'arrive et pourquoi je pleure devant cette histoire-là, je n'ai pas de frère, je ne suis pas protestant, je déteste la pêche,..." Pourquoi pleure-t-il alors ? Cela peut-il s'expliquer ? Comment plus généralement se font les lignes de partage entre tous ces spectateurs qui rient, pleurent, frissonnent en même temps, alors que d'autres se taisent ou demeurent tapis, figés, impassibles?