Après plusieurs mois de travail bénévole et plus d'un an avant les échéances électorales présidentielles de notre pays, le Conseil de la Création Artistique a choisi d'arrêter son activité et de mettre sur la table du politique un bilan visant à réfléchir ce que devrait être les lignes les plus stratégiques pour repenser l'avenir culturel et artistique de la France. Voici les cinq axes principaux et récapitulatifs qui fondent ses principales préconisations (nota : en cliquant sur le titre de cet article, on accède au bilan entier du CCA) :
1. Promouvoir la créativité des jeunes générations
La première édition d’imaginez maintenant a été initiée par le Conseil, à partir d’une commande de Martin Hirsch alors Haut commissaire à la Jeunesse. Du 1er au 4 juillet 2010, nous avons organisé dans neuf villes de France métropolitaines et d’Outre-mer une manifesta-
tion nationale dont l’objectif était de repérer et rendre visible la créativité des jeunes de toutes disciplines et métiers d’art confondus. Mille deux cents jeunes artistes de moins de trente ans ont investi dans chaque ville un lieu de patrimoine pour lui donner vie par la force de leurs imaginaires et de leurs créations. Mille six cents étudiants ont été impliqués dans la conduite du projet dans le cadre de leur cursus pédagogique. Plus de trois cents propositions artistiques ont été présentées au public. Imaginez Maintenant a été l’op- portunité pour 63 % des artistes présents de créer une œuvre entièrement nouvelle. L’adhésion du public et des jeunes artistes à la manifestation est venue conforter l’intuition première d’Imaginez maintenant : la créativité de la jeunesse est multiple, foisonnante et décloisonnée ; elle a besoin d’être soutenue et accom- pagnée par des projets d’envergure qui la rendent visible au plus grand nombre. 94 % des visiteurs ont estimé qu’il fallait rééditer ce type de manifestation pour valoriser les jeunes créateurs. Cent mille visiteurs de tous âges ont assisté à la manifestation.
2. Relier le réel et le virtuel, outil de démocratisation culturelle
Le numérique est l’instrument par excellence de la transversalité: il permet notamment aux artistes de transférer la valeur créative de leurs œuvres sur un support à dimension mondiale et de mettre la culture à la portée de tous. Le numérique doit devenir, pour le monde de la culture, une création à part entière avec son propre langage, pour que les œuvres aillent à la rencontre de tous les publics et surtout de ceux qui aujourd’hui ne fréquentent pas spontanément les institutions culturelles. Les services publics de la télé- vision devront largement y participer.
Le Conseil a élaboré, en partenariat avec la Réunion des Musées Nationaux, à l’occasion de l’exposition Monet au Grand Palais, un site www.monet2010.com: il s’agit d’un programme d’informations de qualité, de visite virtuelle de l’exposition et de plusieurs complé- ments ludiques. Entre septembre 2010 et février 2011, le site, disponible en cinq langues, a reçu plus de 2,5 millions de visites pour une durée moyenne de connexion de 7 à 8 minutes. Il a été récompensé par deux prix (un prix dans la catégorie Sites événemen- tiels et le Prix Spécial) au Grand Prix Stratégie /Amaury Médias 2011 attribués chaque année aux meilleurs dispositifs digitaux.
Le Centre Pompidou mobile est un espace d’exposi- tion nomade du Centre Pompidou, de 1000m2 qui se déplace de région en région pour permettre l’accés aux œuvres originales à tous ceux qui en sont éloignés. Le Centre Pompidou Mobile devrait être inauguré à l’automne 2011 avec une exposition sur le thème de la couleur.
Le Conseil a proposé à l’État et la Ville de Paris, de valoriser pleinement les atouts de la ville et de lui redonner sa place de capitale mondiale de l’art. Paris Ouest Cultures aurait pour centre la Tour Eiffel qui serait reliée aux établissements culturels de premier plan qui l’entourent : la Cité de l’architecture et du patrimoine, universcience, l’établissement public de la Rmn et du Grand Palais, la Mona Bismark Foundation, le musée d’Art moderne de la Ville de Paris, le musée Galliera, le musée Guimet, le musée de l’Homme, le musée national de la Marine, le musée du Quai Branly, le Palais de Tokyo, le Petit Palais (musée des beaux-arts de la Ville de Paris), le Théâtre national de Chaillot, le Théâtre des Champs-Élysées. Il faudrait aussi compter sur l’implantation proche des grandes salles de vente (Christies, Sotheby’s, Artcurial, Drouot Montaigne)...
Une association réunissant l’État, la Ville de Paris et ces diverses institutions devrait être mise en place pour mener à bien des actions communes allant de la création d’un site Internet commun à des événements à vocation internationale plusieurs fois par an.
3. initier les jeunes générations à la culture
Avec le soutien du Ministère de la Ville et de Mécénat Musical Société Générale, le Conseil de la création artistique a initié l’Orchestre des jeunes DEMOS. Il s’agit d’un projet d’éducation musicale et orchestrale rassemblant 450 jeunes âgés de 7 à 12 ans sans pratique musicale antérieure. Il a débuté en janvier 2010 et se développe sur trois ans. Cette expérimentation est encadrée par des musiciens professionnels de l’Orchestre de Paris et de l’Orchestre Symphonique Divertimento, des pédagogues, des animateurs et des éducateurs sociaux. Ce dispositif, unique en France, est basé sur un apprentissage très intensif et encadré de la pratique orchestrale, en direction de jeunes habitants des quartiers populaires de la capitale et proche de Paris, ne disposant pas des ressources économiques, sociales ou culturelles pour pratiquer et découvrir la musique classique dans les institutions existantes. Une démarche innovante a été élaborée, associant une pédagogie collective et un suivi social et éducatif très appuyé, impliquant, outre les musiciens professionnels, de nombreux experts du champ social. Deux concerts ont eu lieu en juillet 2010 à la salle Pleyel à Paris.
Les évaluateurs jugent que la transmission du goût pour l’apprentissage d’un instrument, dans le cadre du projet DEMOS, est une réussite. Le taux de satisfaction des enfants s’élève à 85 % (alors que seulement 15 % d’entre eux ont abandonné). L’envie de continuer d’apprendre est partagée par une très large majorité des enfants. L’adhésion au dispositif de la part des musiciens, des travailleurs sociaux et des collectivités repose sur la complémentarité des compétences - sociales, éducatives et musicales - mises en œuvre dans ce projet. Les évaluateurs signalent également une forte adhésion des trente cinq structures socia- les participantes : l’Orchestre des jeunes DEMOS est considéré comme un véritable outil éducatif permet- tant l’apprentissage de l’assiduité, de la concentration, du respect de l’autre, de la socialisation et de l’écoute. Enfin, les évaluateurs soulignent que le projet favorise le développement de liens sociaux entre les familles et les habitants, les enfants et les équipes éducatives, certains quartiers cloisonnés, et entre les jeunes et les institutions.
Avec l’aide du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, le Conseil a soutenu la création d’une Cinémathèque en ligne pour les étudiants. Il s’agit de former les spectateurs de demain et de préserver la diversité de la production cinématographique. En 2011, s’ouvrira la Cinémathèque de l’Etudiant, plateforme numérique en VOD grâce à laquelle chaque étudiant pourra visionner gratuitement 451 films du
patrimoine mondial du cinéma. Concrètement, au moment de l’inscription en faculté, les 2,2 millions d’étudiants des 85 universités françaises auront un code d’accès à leur espace numérique personnel qui leur permettra de consulter sur leur ordinateur le catalogue de longs-métrages via un travelling sur l’histoire du cinéma. Un comité de sélection a fait des choix, qui vont du muet jusqu’à nos jours, avec un contenu éditorialisé, élaboré par des spécialistes du cinéma. L’offre de films proposera une découverte du patrimoine du cinéma mondial, elle s’adressera à tous les étudiants, aux mathématiciens comme aux philosophes. Les étudiants pourront découvrir les films dans leur contexte historique et artistique. La conception du site de la cinémathèque tient compte d’une étude menée auprès d’étudiants pour s’inscrire dans les habitudes des digital natives, elle sera ludique et participative. Mais elle devra servir également aux professeurs et aux étudiants comme une « aide aux devoirs » et proposer des contenus pédagogiques conséquents.
4. les échanges culturels avec les pays étrangers
La reconnaissance et la diffusion de la culture française à l’étranger font partie intégrante de la transversalité. Afin de favoriser la circulation de notre culture, il s’agit de se mettre à l’écoute des pays étrangers et d’identifier ce qui, dans la création contemporaine française, éveille l’intérêt de leur public pour créer les conditions d’un véritable dialogue.
C’est cette démarche qui a guidé le projet Walls and bridges: une série d’événements à New York autour des sciences humaines et sociales. La programmation a été établie grâce à un travail d’enquête de plus d’un an mené par Guy Walter et son équipe de la Villa Gillet auprès d’intellectuels, de journalistes et d’universitai-res américains. Trois éditions ont été programmées: en janvier, au printemps et à l’automne 2011. La première saison de Walls and Bridges a d’ores et déjà rassemblé 42 personnalités américaines et françaises dans 8 lieux différents de New York (dont la presti- gieuse New York Public Library). 1 500 auditeurs ont déjà assisté à ces débats intellectuels de très haute tenue dont 74 % de citoyens des États-Unis, parmi lesquels 69 % ne fréquentaient jamais ou rarement des événements liés à la culture française. 87 % des participants ont déclaré que les débats étaient intellectuellement stimulants et 79 % très novateurs. Cette manifestation a été très bien relayée par le New York Times et le New Yorker.
Le Conseil de la Création a soutenu le projet de coopération franco-algérienne pour le développement d’échanges artistiques en faveur de la danse porté par abou et nawal lagraa. Ceux-ci ont formé la première compagnie de danse contemporaine algérienne en collaboration avec le Ballet national algérien. Nya, leur première création a été représentée le 18 septembre 2010 à Alger.
5. le financement de la culture
La transversalité concerne aussi les modes de finance- ment entre les secteurs privé et public. Face à la crise économique et la stagnation des moyens financiers de l’État, il faut se préoccuper d’articuler les fonds privés et publics. Les fonds de dotation sont particulièrement adaptés à cet usage. C’est pourquoi le Conseil a mené une étude dans ce domaine concernant son propre fonctionnement.
Les événements relatés ici se sont vraiment déroulés et les personnes décrites ont toutes existé même si quelquefois elles semblent avoir quelque(s) ressemblance(s) avec des personnages imaginaires qui, comme le cinéma, nous aident "à préserver notre foi dans nos désirs d’un monde éclairé, face aux compromis que nous passons avec la manière dont le monde existe..."
27 avril 2011
18 avril 2011
RUSTINE POWER... Lorsque Cannes devient un lieu de cruauté ordinaire...
"On compare parfois la cruauté de l'homme à celle des fauves, c'est faire injure à ces derniers". (Dostoïevski)
Festival de Cannes. Année 2000. Colette porte une robe à fleurs un peu sale et fripée. Elle a aussi dans la poche une capuche de plastique mauve, "des fois qu'il pleuve, il y a toujours un jour où il pleut pendant le festival". Rue de la pompe à quelques centaines de mètres du Palais, elle avance d'un pas lourd et lent, les yeux baissés. Au revers de sa robe, elle porte une accréditation pour cinéphiles un peu différente des "forum" actuelles... elle date d'au moins cinq ans. Cinq longues années depuis lesquelles elle n'est plus rentrée dans le Palais : "Je sais bien qu'elle est plus bonne mais y'en a plein qui l'ignorent, c'est ce qui compte pour moi". Colette habite Grasse, se lève à six heures chaque matin et rejoint la ville festivalière "un peu à pied, un peu en bus". Sa mère voulait qu'elle profite de Cannes pour se faire remarquer par un homme du cinéma. C'est vrai qu'elle en a eu des occasions, elle en a fréquenté des fêtes cannoises, mais c'était il y a 20 ans. Elle les a bien essayé, et souvent, ces numéros de téléphone laissés au petit matin. En vain. Sa flamme cannoise ne s'est pourtant jamais tout à fait éteinte. L'autre soir, elle a cru pouvoir rentrer à la party d'Austin Power au Palm Beach. Un jeune attaché de presse lui a fait croire qu'en se présentant à l'entrée de la soirée avec, accroché au front l'auto-collant publicitaire d'Austin, elle passerait les filtres. À 22H00, Colette est venue, "en tenue", L'attaché de presse et ses amis, aussi. Colette s'est confondu en explications devant les vigies, à cinq reprises, jusqu'à l'heure où toutes les bonnes gueules rentrent "même sans invit'". Les vigies ont fait leur travail, sans zèle, ni passion. Colette a fini par décoller la vignette sans trop l'abîmer, l'a rangée avec sa capuche, et a quitté les lieux, hagarde et silencieuse. La bande de l'attaché de presse, elle, ne s'est pas amusée du spectacle de Colette plus de quatre minutes avant de regagner le chaud de l'Austin Party. Le hasard a fait que le lendemain, Colette et l'attaché ont tous deux accepté de répondre au même questionnaire d'enquête "sociologique" sur le Festival et ses publics. Et, à la question, "Y-a-t-il des lieux, autres que le Palais que vous fréquentez et où se fait, selon vous, la vie du Festival?", l'un et l'autre ont bien coché la même case ; une seule différence entre eux, minime, s'est pourtant perpétuée sur l'imprimé : l'attaché de presse a appliqué son stylo avec un petit peu plus de force.
Festival de Cannes. Année 2000. Colette porte une robe à fleurs un peu sale et fripée. Elle a aussi dans la poche une capuche de plastique mauve, "des fois qu'il pleuve, il y a toujours un jour où il pleut pendant le festival". Rue de la pompe à quelques centaines de mètres du Palais, elle avance d'un pas lourd et lent, les yeux baissés. Au revers de sa robe, elle porte une accréditation pour cinéphiles un peu différente des "forum" actuelles... elle date d'au moins cinq ans. Cinq longues années depuis lesquelles elle n'est plus rentrée dans le Palais : "Je sais bien qu'elle est plus bonne mais y'en a plein qui l'ignorent, c'est ce qui compte pour moi". Colette habite Grasse, se lève à six heures chaque matin et rejoint la ville festivalière "un peu à pied, un peu en bus". Sa mère voulait qu'elle profite de Cannes pour se faire remarquer par un homme du cinéma. C'est vrai qu'elle en a eu des occasions, elle en a fréquenté des fêtes cannoises, mais c'était il y a 20 ans. Elle les a bien essayé, et souvent, ces numéros de téléphone laissés au petit matin. En vain. Sa flamme cannoise ne s'est pourtant jamais tout à fait éteinte. L'autre soir, elle a cru pouvoir rentrer à la party d'Austin Power au Palm Beach. Un jeune attaché de presse lui a fait croire qu'en se présentant à l'entrée de la soirée avec, accroché au front l'auto-collant publicitaire d'Austin, elle passerait les filtres. À 22H00, Colette est venue, "en tenue", L'attaché de presse et ses amis, aussi. Colette s'est confondu en explications devant les vigies, à cinq reprises, jusqu'à l'heure où toutes les bonnes gueules rentrent "même sans invit'". Les vigies ont fait leur travail, sans zèle, ni passion. Colette a fini par décoller la vignette sans trop l'abîmer, l'a rangée avec sa capuche, et a quitté les lieux, hagarde et silencieuse. La bande de l'attaché de presse, elle, ne s'est pas amusée du spectacle de Colette plus de quatre minutes avant de regagner le chaud de l'Austin Party. Le hasard a fait que le lendemain, Colette et l'attaché ont tous deux accepté de répondre au même questionnaire d'enquête "sociologique" sur le Festival et ses publics. Et, à la question, "Y-a-t-il des lieux, autres que le Palais que vous fréquentez et où se fait, selon vous, la vie du Festival?", l'un et l'autre ont bien coché la même case ; une seule différence entre eux, minime, s'est pourtant perpétuée sur l'imprimé : l'attaché de presse a appliqué son stylo avec un petit peu plus de force.
08 avril 2011
MARSEILLE, une architecture cinématographique
Marseille. Comment la forme d'une ville devient-elle source ou support d'inspiration pour le cinéaste ? Quelles transformations subit la ville elle-même lorsqu'elle endosse dans l'espace filmique le rôle du décor ? Quelle place la ville filmée laisse-t-elle au spectateur ? Quels nouveaux liens crée-t-elle avec lui ? Autant de questions qui jalonnent l'univers de recréation de la ville au cinéma ; autant d'architectures qui invariablement nous ramènent à la dialectique du film et de la mise en scène du réel.
Le cinéma, irréalisation de la ville
"Le CINEMA puise dans un fonds commun. Le cinématographe fait un voyage de découverte sur une planète inconnue" . En exacerbant avec certitude cet aphorisme, on se souvient sans doute que Robert Bresson visait à opposer non sans une certaine véhémence ceux qui employaient les moyens du cinématographe pour créer à ceux qui reproduisaient grâce à la caméra-outil une sorte de théâtre filmé. Cette restriction définitoire, cynique et janséniste du vocable "cinématographe" conduisit pourtant Bresson à insuffler à ses films une troublante liberté spirituelle et une créativité rigoriste à l'endroit même où bon nombre de réalisateurs se seraient probablement délestés d'une contrainte devenue trop prégnante pour être constructive. Peu à peu le cinéma bressonien se composa suivant l'idée récurrente de ce que le réalisateur appelle ses modèles : synonymes d'un refus systématique de toute psychologie romanesque les modèles sont choisis pour leur seule apparence externe - apparence de l'acteur, reflet d'une vie intérieure, apparence du lieu, décor d'une esthétique minimaliste. "Bâtis ton film sur du blanc, sur le silence et l'immobilité" , […] "Vois ton film comme une combinaison de lignes et de volumes en mouvements en dehors de ce qu'il figure et signifie" . Sans doute Bresson n'avait-il en tissant ses aphorismes nullement la conscience de théoriser l'esthétique des architectures cinématographiques sous la forme de non-lieux, pièges modernes de nos dérélictions spectatorielles, expressions de nos appartenances renouvelées à des territoires apparemment désinvestis. En effet, depuis longtemps, outre les réalisateurs comme Bresson, les théoriciens du cinéma se sont penchés sur la nature et le devenir du réel lorsqu'il est intentionnellement utilisé en tant que cadres de référence sur lesquels s'appuient généralement les réalisations filmiques narratives ou documentaires. Saillante, cette question apparaît particulièrement chaque fois que la description en images vise à installer la vraisemblance désirée d'un caractère identitaire symboliquement marqué. Et, ce n'est pas sans difficultés que se loge le problème de la diégèse géographiée : fonctionnellement, il interroge la manière dont le film vise à construire le regard du spectateur en mettant en scène non des lieux, mais l'idée ou l'imaginaire des lieux.
Là où les points de vue du spectateur et du réalisateur se rejoignent
En conséquence, un ethnographe qui s'interrogerait à propos de Marseille en tant qu'architecture cinématographique ne serait probablement pas étonné de la fréquence de ces sites qui systématiquement et historiquement sont prélevés à la Ville pour devenir décors , mais plutôt du point de vue et de l'usage qu'il en est fait lorsque s'y dissolvent les inventions narrative ou documentaire ; car, même si leurs intentions sont initialement différentes, l'une et l'autre font cause commune par les itinéraires forcés qu'elles empruntent. Assurément, la meilleure trace que nous pourrions trouver de nos attitudes de spectateurs serait celle de nos propres films si à l'occasion d'un détour par Marseille, équipés d'un camescope à stabilisateur d'images intégré, nous nous amusions à glaner çà et là quelques cartes postales en mouvement, micro-catalyses de nos souvenirs anticipés. Qu'y verrions-nous par delà les rituels décomptes anecdotiques ? Des lieux reconstruits sous contraintes visuellement imposées qui ne font que réaffirmer chaque fois combien la ville filmée est d'abord celle de nos espaces mentaux socialement investis. Car même lorsque l'on tente de parler d'un Marseille plus intime ou plus personnel, de la cité que l'on habite, on est inévitablement ré-aimanter vers le Marseille par lequel on circule. Que l'on se souvienne des trajectoires velléitaires empruntées par René Allio en quête d'un Marseille authentique dans l'Heure exquise ; alors même qu'il prétend que l'on ne connaît pas Marseille si l'on a fait que traverser son centre, immanquablement la trouée vers le centre s'opère. Marseille dressée entre deux de ses organes l'escalier d'une part, la Cannebière et le Vieux Port de l'autre. Notre caméra comme celle de René Allio circule à l'image de cette balle de flipper qui ricocherait dans les travées de la cité en scandant le caractère et le cheminement spécifiques que Marseille lui impulse. Et, tout comme au flipper, c'est inéluctablement le mouvement global qui domine en fin de partie, car l'on perd toujours au flipper, et à Marseille, on aboutit toujours au Vieux Port.
Ville-décor ou décor-ville
Peut-être est-ce cinématographiquement le destin des villes portuaires. Que l'on pense à Cherbourg, Rochefort, ou Marseille filmées par Jacques Demy et devenues le temps d'une idylle les architectures colorées, supports de nos exils spectatoriels. Est-il possible de mesurer en deçà de la narration le rôle de la ville-décor, de l'importance qu'elle revêt dans ces situations si quotidiennes ? En devenant matière à fiction, le film fonctionne en recréant de toute part les lieux de son expression. La transformation sémiotique de la ville prend corps au sens où Bresson imaginait les décors-modèles qu'il filmait. Par la force inhérente au procès cinématographique qui lie à la fois le créateur à sa création, et la création au spectateur, les lieux filmiques sont ceux où les regards convergent antérieurement à l'identification des lieux filmés pour eux-mêmes. Afin de mieux comprendre cette instance, revenons à Trois places pour le 26 qui met en scène le "vieux" Montand (Yves) qui se rend à Marseille pour préparer à l'opéra une tournée internationale retraçant sa carrière, et particulièrement la vie du "jeune" Montand à Marseille. Du Vieux-Port-réel où il retrouve ses anciennes amours au Vieux-Port-carton-pâte de l'opéra où elles sont mises en scène, où donc se noue à nos yeux de spectateurs le rapport le plus authentiquement référé à la ville ? Dans la vraie ville filmée ou dans la ville pastichée, justement pointée parce qu'elle représente pour Montand le lieu symbolique de sa jeunesse ? C'est vraisemblablement entre ces deux pôles que le caractère signifiant porté par la ville va trouver sa place, c'est-à-dire jouer son rôle d'interpellation sociale. Dissoute dans une histoire, la ville-décor lui offre de la vraisemblance, alors qu'à l'opposé, balisé symboliquement par la narration, le décor-ville, comme l'est le Marseille parodié de Trois Places, lui en fait perdre au profit d'un enrichissement de la palette du réalisateur. Car en effet, comment Demy pouvait-il évoquer avec autant de force la nostalgie de la jeunesse si ce n'est en donnant à Montand la possibilité de réactualiser par sa matérialisation la ville de son passé. La ville ne produit du sens que lorsqu'elle est, de la sorte, aspirée par les signifiances sociales qui tisseront autant de connivences avec le spectateur qu'il est permis d'en imaginer, excédant jusqu'à la grammaire cinématographique qui lui a donné corps. C'est ainsi qu'à son tour, le cinéaste fait l'expérience d'une nouvelle poétique de l'espace.
Le cinéma, irréalisation de la ville
"Le CINEMA puise dans un fonds commun. Le cinématographe fait un voyage de découverte sur une planète inconnue" . En exacerbant avec certitude cet aphorisme, on se souvient sans doute que Robert Bresson visait à opposer non sans une certaine véhémence ceux qui employaient les moyens du cinématographe pour créer à ceux qui reproduisaient grâce à la caméra-outil une sorte de théâtre filmé. Cette restriction définitoire, cynique et janséniste du vocable "cinématographe" conduisit pourtant Bresson à insuffler à ses films une troublante liberté spirituelle et une créativité rigoriste à l'endroit même où bon nombre de réalisateurs se seraient probablement délestés d'une contrainte devenue trop prégnante pour être constructive. Peu à peu le cinéma bressonien se composa suivant l'idée récurrente de ce que le réalisateur appelle ses modèles : synonymes d'un refus systématique de toute psychologie romanesque les modèles sont choisis pour leur seule apparence externe - apparence de l'acteur, reflet d'une vie intérieure, apparence du lieu, décor d'une esthétique minimaliste. "Bâtis ton film sur du blanc, sur le silence et l'immobilité" , […] "Vois ton film comme une combinaison de lignes et de volumes en mouvements en dehors de ce qu'il figure et signifie" . Sans doute Bresson n'avait-il en tissant ses aphorismes nullement la conscience de théoriser l'esthétique des architectures cinématographiques sous la forme de non-lieux, pièges modernes de nos dérélictions spectatorielles, expressions de nos appartenances renouvelées à des territoires apparemment désinvestis. En effet, depuis longtemps, outre les réalisateurs comme Bresson, les théoriciens du cinéma se sont penchés sur la nature et le devenir du réel lorsqu'il est intentionnellement utilisé en tant que cadres de référence sur lesquels s'appuient généralement les réalisations filmiques narratives ou documentaires. Saillante, cette question apparaît particulièrement chaque fois que la description en images vise à installer la vraisemblance désirée d'un caractère identitaire symboliquement marqué. Et, ce n'est pas sans difficultés que se loge le problème de la diégèse géographiée : fonctionnellement, il interroge la manière dont le film vise à construire le regard du spectateur en mettant en scène non des lieux, mais l'idée ou l'imaginaire des lieux.
Là où les points de vue du spectateur et du réalisateur se rejoignent
En conséquence, un ethnographe qui s'interrogerait à propos de Marseille en tant qu'architecture cinématographique ne serait probablement pas étonné de la fréquence de ces sites qui systématiquement et historiquement sont prélevés à la Ville pour devenir décors , mais plutôt du point de vue et de l'usage qu'il en est fait lorsque s'y dissolvent les inventions narrative ou documentaire ; car, même si leurs intentions sont initialement différentes, l'une et l'autre font cause commune par les itinéraires forcés qu'elles empruntent. Assurément, la meilleure trace que nous pourrions trouver de nos attitudes de spectateurs serait celle de nos propres films si à l'occasion d'un détour par Marseille, équipés d'un camescope à stabilisateur d'images intégré, nous nous amusions à glaner çà et là quelques cartes postales en mouvement, micro-catalyses de nos souvenirs anticipés. Qu'y verrions-nous par delà les rituels décomptes anecdotiques ? Des lieux reconstruits sous contraintes visuellement imposées qui ne font que réaffirmer chaque fois combien la ville filmée est d'abord celle de nos espaces mentaux socialement investis. Car même lorsque l'on tente de parler d'un Marseille plus intime ou plus personnel, de la cité que l'on habite, on est inévitablement ré-aimanter vers le Marseille par lequel on circule. Que l'on se souvienne des trajectoires velléitaires empruntées par René Allio en quête d'un Marseille authentique dans l'Heure exquise ; alors même qu'il prétend que l'on ne connaît pas Marseille si l'on a fait que traverser son centre, immanquablement la trouée vers le centre s'opère. Marseille dressée entre deux de ses organes l'escalier d'une part, la Cannebière et le Vieux Port de l'autre. Notre caméra comme celle de René Allio circule à l'image de cette balle de flipper qui ricocherait dans les travées de la cité en scandant le caractère et le cheminement spécifiques que Marseille lui impulse. Et, tout comme au flipper, c'est inéluctablement le mouvement global qui domine en fin de partie, car l'on perd toujours au flipper, et à Marseille, on aboutit toujours au Vieux Port.
Ville-décor ou décor-ville
Peut-être est-ce cinématographiquement le destin des villes portuaires. Que l'on pense à Cherbourg, Rochefort, ou Marseille filmées par Jacques Demy et devenues le temps d'une idylle les architectures colorées, supports de nos exils spectatoriels. Est-il possible de mesurer en deçà de la narration le rôle de la ville-décor, de l'importance qu'elle revêt dans ces situations si quotidiennes ? En devenant matière à fiction, le film fonctionne en recréant de toute part les lieux de son expression. La transformation sémiotique de la ville prend corps au sens où Bresson imaginait les décors-modèles qu'il filmait. Par la force inhérente au procès cinématographique qui lie à la fois le créateur à sa création, et la création au spectateur, les lieux filmiques sont ceux où les regards convergent antérieurement à l'identification des lieux filmés pour eux-mêmes. Afin de mieux comprendre cette instance, revenons à Trois places pour le 26 qui met en scène le "vieux" Montand (Yves) qui se rend à Marseille pour préparer à l'opéra une tournée internationale retraçant sa carrière, et particulièrement la vie du "jeune" Montand à Marseille. Du Vieux-Port-réel où il retrouve ses anciennes amours au Vieux-Port-carton-pâte de l'opéra où elles sont mises en scène, où donc se noue à nos yeux de spectateurs le rapport le plus authentiquement référé à la ville ? Dans la vraie ville filmée ou dans la ville pastichée, justement pointée parce qu'elle représente pour Montand le lieu symbolique de sa jeunesse ? C'est vraisemblablement entre ces deux pôles que le caractère signifiant porté par la ville va trouver sa place, c'est-à-dire jouer son rôle d'interpellation sociale. Dissoute dans une histoire, la ville-décor lui offre de la vraisemblance, alors qu'à l'opposé, balisé symboliquement par la narration, le décor-ville, comme l'est le Marseille parodié de Trois Places, lui en fait perdre au profit d'un enrichissement de la palette du réalisateur. Car en effet, comment Demy pouvait-il évoquer avec autant de force la nostalgie de la jeunesse si ce n'est en donnant à Montand la possibilité de réactualiser par sa matérialisation la ville de son passé. La ville ne produit du sens que lorsqu'elle est, de la sorte, aspirée par les signifiances sociales qui tisseront autant de connivences avec le spectateur qu'il est permis d'en imaginer, excédant jusqu'à la grammaire cinématographique qui lui a donné corps. C'est ainsi qu'à son tour, le cinéaste fait l'expérience d'une nouvelle poétique de l'espace.
07 avril 2011
VOIR ENSEMBLE. Un entretien d'Emmanuel Ethis avec Emmanuelle Lallement
Dans le cadre de la réflexion sur le devenir du Louxor, PARIS-LOUXOR a entrepris d’interroger celles et ceux qui font et pensent la culture dans la ville. Il est venu pour quelques heures à Paris et repart aussitôt pour Avignon. Rendez-vous est donc donné au Train Bleu, gare de Lyon, dans les salons lambrissés du Big Ben Club. Vieux fauteuils club, thé vert et pâtisseries, serveurs affairés, autour de nous des VRP en transit, des touristes en partance, des couples au départ, bref l’atmosphère est très cinématographique. Emmanuel Ethis est sociologue de la culture et président de l’Université d’Avignon. Passionné de cinéma, il a consacré plusieurs ouvrages au «rendez-vous» cinématographique, à l’expérience du spectateur, à la réception des œuvres filmiques et à l’analyse des publics et des spectateurs de cinéma et des grands festivals (Cannes, Avignon,…).
« Le cinéma c’est le voir ensemble par excellence »
Comment concevez-vous la place du cinéma dans la ville ?
Un cinéma contribue à la mémoire d’un quartier, il façonne les relations d’attachement au quartier, même pour les gens qui se ne s’y rendent pas. Les gens se disent « j’ai un cinéma chez moi et j’ai la possibilité d’y aller un jour ». On est forcément fier d’avoir un cinéma près de chez soi, un beau cinéma, avec une programmation, un cinéma qui représente quelque chose. Car un cinéma est toujours un lieu de vie, un lieu qui vit non seulement au rythme de la programmation qu’il diffuse mais aussi au rythme du quartier. Il y a une interaction particulière qui se crée quand le cinéma est en ville, moins quand il est hors les villes. Savoir que des gens vont visiter ce cinéma place un quartier en situation d’accueillant, et ce n’est pas rien.
Quelles sont vos observations sur la place du cinéma à Avignon ?
Nous avons crée à Avignon l’Observatoire des pratiques cinématographiques. C’est la ville française qui d’après les statistiques du CNC connaît la plus grosse fréquentation cinéma par siège. Pendant 4 ans d’enquête, on a pu mettre en évidence que le public du cinéma à Avignon avait été multiplié par 2,5 et que 67% des spectateurs avaient des lieux en commun. Il y a donc une très bonne circulation des spectateurs entre les différentes salles. Les programmations sont différentes, parce que le goût du cinéma entraine le goût du cinéma et parce que le goût du cinéma dans la ville implique une volonté de changer de décor et d’aiguiser une curiosité. Il existe donc une curiosité non concurrentielle de cinéma. C’est intégré à la vie des gens. A Avignon, le Pathé Palace, le Capitole et l’Utopia sont des cinémas qui ont une place singulière dans la vie des gens, dans la dynamique des quartiers, dans l’appréhension culturelle des lieux. En tant qu’habitants on habite avec le cinéma qui est à côté de chez soi. Mais il y a aussi le multiplexe Pathé Cap Sud qui est dans une zone urbaine dense, avec beaucoup d’habitat populaire, et dans une zone commerciale importante, on remarque plusieurs années après son ouverture que le lieu reste beau, qu’il est respecté. Les gens sont touchés d’avoir dans leur quartier un vrai beau cinéma et non pas une énième MJC ou un quelconque centre culturel.
Le cinéma est-il toujours un enjeu de démocratisation de la culture ?
En sociologie culturelle on est très soucieux de l’idée de démocratisation culturelle et on sait que le cinéma reste la pratique culturelle dominante des Français. Le cinéma est certes inscrit dans le secteur privé mais il est la pratique culturelle la mieux partagée. Il est populaire par excellence. Dans un quartier populaire c’est donc très important. Mais le cinéma ne doit pas être un lieu intimidant au contraire un lieu dans lequel on aime à se retrouver. Le cinéma c’est le voir ensemble par excellence, on y partage des points communs, cela favorise la communication. Faire émerger ces formes là est important.
De quoi est faite l’expérience du spectateur dans le lieu cinéma?
Le lieu cinématographique est aussi un lieu de mémoire. J’ai longtemps étudié les publics de cinéma et il est évident que la mémoire du spectateur se construit aussi par rapport à un lieu et non par rapport à ce qu’il voit, aux films. Les exploitants ne s’en rendent pas toujours compte. Mais la manière dont on entre, la manière dont on y est accueilli, la manière dont on y vit, ça construit des souvenirs singuliers. A Avignon on a le cinéma Pathé Cap Sud, c’est un cinéma qui ressemble à l’intérieur à un cinéma type « dernière séance », avec des hôtesses d’accueil, des fauteuils rouges, avec un stand de confiserie et on se rend compte que les gens interagissent beaucoup. C’est un lieu d’échange, dans les files, dans la salle, dans les espaces communs. La programmation est alors un point d’appui.
La réouverture du Louxor, qu’est-ce que cela vous évoque ?
Le Louxor renvoie à tous les ciné-palaces majestueux mais populaires, il va pouvoir offrir plus que ce que nous permet d’acheter une place de cinéma. C’est un enjeu de démocratisation culturelle important. Le Louxor peut être porteur de ces logiques là et peut être fort réussi dans un quartier comme Barbès. Marin Karmiz a fait aussi des expériences de cinéma dans des quartiers populaires, il montre que cela peut changer la vie d’un quartier, que cela instaure une logique de respect par rapport à un lieu culturel. Le Louxor peut drainer des populations extérieures au quartier, à condition qu’il y ait des programmations singulières, des films qu’on ne peut pas voir ailleurs, et qu’on verra dans des conditions singulières. La programmation « cinéma du sud » est sans doute une bonne idée, mais sans faire une mono-programmation. La personnalité d’un cinéma ne vient jamais d’une couleur unique. Jean Cocteau disait qu’être original c’est essayer de faire comme tout le monde mais sans y parvenir. A l’échelle du Louxor, ce serait donc faire comme tout le monde, faire une programmation populaire mais sans démagogie et introduire des nuances grâce à l’apport des films du sud.
(Cher Sociobloguers, je vous invite à cliquer sur le site de référence Paris-Louxor. Remerciements à Emmanuelle Lallement, à Frédéric Poletti et à Laurent Laborie)
« Le cinéma c’est le voir ensemble par excellence »
Comment concevez-vous la place du cinéma dans la ville ?
Un cinéma contribue à la mémoire d’un quartier, il façonne les relations d’attachement au quartier, même pour les gens qui se ne s’y rendent pas. Les gens se disent « j’ai un cinéma chez moi et j’ai la possibilité d’y aller un jour ». On est forcément fier d’avoir un cinéma près de chez soi, un beau cinéma, avec une programmation, un cinéma qui représente quelque chose. Car un cinéma est toujours un lieu de vie, un lieu qui vit non seulement au rythme de la programmation qu’il diffuse mais aussi au rythme du quartier. Il y a une interaction particulière qui se crée quand le cinéma est en ville, moins quand il est hors les villes. Savoir que des gens vont visiter ce cinéma place un quartier en situation d’accueillant, et ce n’est pas rien.
Quelles sont vos observations sur la place du cinéma à Avignon ?
Nous avons crée à Avignon l’Observatoire des pratiques cinématographiques. C’est la ville française qui d’après les statistiques du CNC connaît la plus grosse fréquentation cinéma par siège. Pendant 4 ans d’enquête, on a pu mettre en évidence que le public du cinéma à Avignon avait été multiplié par 2,5 et que 67% des spectateurs avaient des lieux en commun. Il y a donc une très bonne circulation des spectateurs entre les différentes salles. Les programmations sont différentes, parce que le goût du cinéma entraine le goût du cinéma et parce que le goût du cinéma dans la ville implique une volonté de changer de décor et d’aiguiser une curiosité. Il existe donc une curiosité non concurrentielle de cinéma. C’est intégré à la vie des gens. A Avignon, le Pathé Palace, le Capitole et l’Utopia sont des cinémas qui ont une place singulière dans la vie des gens, dans la dynamique des quartiers, dans l’appréhension culturelle des lieux. En tant qu’habitants on habite avec le cinéma qui est à côté de chez soi. Mais il y a aussi le multiplexe Pathé Cap Sud qui est dans une zone urbaine dense, avec beaucoup d’habitat populaire, et dans une zone commerciale importante, on remarque plusieurs années après son ouverture que le lieu reste beau, qu’il est respecté. Les gens sont touchés d’avoir dans leur quartier un vrai beau cinéma et non pas une énième MJC ou un quelconque centre culturel.
Le cinéma est-il toujours un enjeu de démocratisation de la culture ?
En sociologie culturelle on est très soucieux de l’idée de démocratisation culturelle et on sait que le cinéma reste la pratique culturelle dominante des Français. Le cinéma est certes inscrit dans le secteur privé mais il est la pratique culturelle la mieux partagée. Il est populaire par excellence. Dans un quartier populaire c’est donc très important. Mais le cinéma ne doit pas être un lieu intimidant au contraire un lieu dans lequel on aime à se retrouver. Le cinéma c’est le voir ensemble par excellence, on y partage des points communs, cela favorise la communication. Faire émerger ces formes là est important.
De quoi est faite l’expérience du spectateur dans le lieu cinéma?
Le lieu cinématographique est aussi un lieu de mémoire. J’ai longtemps étudié les publics de cinéma et il est évident que la mémoire du spectateur se construit aussi par rapport à un lieu et non par rapport à ce qu’il voit, aux films. Les exploitants ne s’en rendent pas toujours compte. Mais la manière dont on entre, la manière dont on y est accueilli, la manière dont on y vit, ça construit des souvenirs singuliers. A Avignon on a le cinéma Pathé Cap Sud, c’est un cinéma qui ressemble à l’intérieur à un cinéma type « dernière séance », avec des hôtesses d’accueil, des fauteuils rouges, avec un stand de confiserie et on se rend compte que les gens interagissent beaucoup. C’est un lieu d’échange, dans les files, dans la salle, dans les espaces communs. La programmation est alors un point d’appui.
La réouverture du Louxor, qu’est-ce que cela vous évoque ?
Le Louxor renvoie à tous les ciné-palaces majestueux mais populaires, il va pouvoir offrir plus que ce que nous permet d’acheter une place de cinéma. C’est un enjeu de démocratisation culturelle important. Le Louxor peut être porteur de ces logiques là et peut être fort réussi dans un quartier comme Barbès. Marin Karmiz a fait aussi des expériences de cinéma dans des quartiers populaires, il montre que cela peut changer la vie d’un quartier, que cela instaure une logique de respect par rapport à un lieu culturel. Le Louxor peut drainer des populations extérieures au quartier, à condition qu’il y ait des programmations singulières, des films qu’on ne peut pas voir ailleurs, et qu’on verra dans des conditions singulières. La programmation « cinéma du sud » est sans doute une bonne idée, mais sans faire une mono-programmation. La personnalité d’un cinéma ne vient jamais d’une couleur unique. Jean Cocteau disait qu’être original c’est essayer de faire comme tout le monde mais sans y parvenir. A l’échelle du Louxor, ce serait donc faire comme tout le monde, faire une programmation populaire mais sans démagogie et introduire des nuances grâce à l’apport des films du sud.
(Cher Sociobloguers, je vous invite à cliquer sur le site de référence Paris-Louxor. Remerciements à Emmanuelle Lallement, à Frédéric Poletti et à Laurent Laborie)
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