"On compare parfois la cruauté de l'homme à celle des fauves, c'est faire injure à ces derniers". (Dostoïevski)
Festival de Cannes. Année 2000. Colette porte une robe à fleurs un peu sale et fripée. Elle a aussi dans la poche une capuche de plastique mauve, "des fois qu'il pleuve, il y a toujours un jour où il pleut pendant le festival". Rue de la pompe à quelques centaines de mètres du Palais, elle avance d'un pas lourd et lent, les yeux baissés. Au revers de sa robe, elle porte une accréditation pour cinéphiles un peu différente des "forum" actuelles... elle date d'au moins cinq ans. Cinq longues années depuis lesquelles elle n'est plus rentrée dans le Palais : "Je sais bien qu'elle est plus bonne mais y'en a plein qui l'ignorent, c'est ce qui compte pour moi". Colette habite Grasse, se lève à six heures chaque matin et rejoint la ville festivalière "un peu à pied, un peu en bus". Sa mère voulait qu'elle profite de Cannes pour se faire remarquer par un homme du cinéma. C'est vrai qu'elle en a eu des occasions, elle en a fréquenté des fêtes cannoises, mais c'était il y a 20 ans. Elle les a bien essayé, et souvent, ces numéros de téléphone laissés au petit matin. En vain. Sa flamme cannoise ne s'est pourtant jamais tout à fait éteinte. L'autre soir, elle a cru pouvoir rentrer à la party d'Austin Power au Palm Beach. Un jeune attaché de presse lui a fait croire qu'en se présentant à l'entrée de la soirée avec, accroché au front l'auto-collant publicitaire d'Austin, elle passerait les filtres. À 22H00, Colette est venue, "en tenue", L'attaché de presse et ses amis, aussi. Colette s'est confondu en explications devant les vigies, à cinq reprises, jusqu'à l'heure où toutes les bonnes gueules rentrent "même sans invit'". Les vigies ont fait leur travail, sans zèle, ni passion. Colette a fini par décoller la vignette sans trop l'abîmer, l'a rangée avec sa capuche, et a quitté les lieux, hagarde et silencieuse. La bande de l'attaché de presse, elle, ne s'est pas amusée du spectacle de Colette plus de quatre minutes avant de regagner le chaud de l'Austin Party. Le hasard a fait que le lendemain, Colette et l'attaché ont tous deux accepté de répondre au même questionnaire d'enquête "sociologique" sur le Festival et ses publics. Et, à la question, "Y-a-t-il des lieux, autres que le Palais que vous fréquentez et où se fait, selon vous, la vie du Festival?", l'un et l'autre ont bien coché la même case ; une seule différence entre eux, minime, s'est pourtant perpétuée sur l'imprimé : l'attaché de presse a appliqué son stylo avec un petit peu plus de force.
Les événements relatés ici se sont vraiment déroulés et les personnes décrites ont toutes existé même si quelquefois elles semblent avoir quelque(s) ressemblance(s) avec des personnages imaginaires qui, comme le cinéma, nous aident "à préserver notre foi dans nos désirs d’un monde éclairé, face aux compromis que nous passons avec la manière dont le monde existe..."