Les événements relatés ici se sont vraiment déroulés et les personnes décrites ont toutes existé même si quelquefois elles semblent avoir quelque(s) ressemblance(s) avec des personnages imaginaires qui, comme le cinéma, nous aident "à préserver notre foi dans nos désirs d’un monde éclairé, face aux compromis que nous passons avec la manière dont le monde existe..."
27 juillet 2018
LE LIVRE QUI A CHANGÉ MA VIE : LA DISTINCTION de Pierre Bourdieu, interview donnée à l'Obs (n°2803 du 26 juillet 2018 et réalisé par Audrey Cerdan)
J’ai découvert Pierre Bourdieu à 23 ans. Après une première vie comme chef de chantier dans le bâtiment, je reprenais mes études. La lecture de “La Distinction” me fait l’effet d’une révélation. Soudain, les ficelles d’une sorte de grand complot social se dévoile et prend forme au fil des pages. Je comprends que les stratégies culturelles, les goûts, sont aussi des expressions de la domination sociale. Ce livre est un générateur de lucidité. Et aussi synonyme d'une prise de pouvoir : comme Bourdieu, j’ai des origines sociales modestes ; et comme lui, c’est par la sociologie que je vais avoir la sensation de reprendre le contrôle de ce qui façonne ma vie depuis l’enfance. Quelques années plus tard, je commence ma thèse sous la direction de son proche collègue, Jean-Claude Passeron. C’est dire si ce livre a eu du sens dans ma vie. Mais aujourd’hui, mon regard a évolué. Je perçois presque Bourdieu comme une lecture d’adolescence, c’est important les lectures d’adolescence : sa vision très déterministe est une porte d’entrée formidable dans la sociologie à un jeune âge, parce que c’est une mécanique imparable, jouissive. Mais j’y lis aussi une forme de tristesse, de mélancolie, une sensation d’enfermement, voire de fatalité : nous aurions des pratiques culturelles déterminées par notre trajectoire sociale, faisant de nous des gens d’une grande banalité. Il faut s’empresser de construire sur la fondation que propose Bourdieu. Pouvoir le lire à 20 ans, pour mieux s’en détacher ensuite. Comprendre surtout que grâce à l’éducation et la culture, toutes les émancipations sont toujours possibles.