Le sociologue du cinéma se doit d’aller
régulièrement en salles s’il veut espérer prendre la température des publics et
de leur évolution. Sans doute les salles les plus ludiques sont celles qui
trient leurs spectateurs de par le film qu’elles projettent. Ce sont
généralement le cas des salles qui montrent des films de genre marqués. Le
public pense presque toujours savoir à peu près à quoi il va avoir affaire,
bandes-annonces, affiches, acteurs se chargeant d’envelopper la promesse du
spectacle. Plus encore « les suites » des grands et des moins grands
blockbusters américains s’affirment comme une valeur sûre d’un moment bordé sans
grande surprise. Cependant, lorsque le scénario commence à se jouer des
attentes de « ses » publics, que les registres se dérèglent pour
créer de l’inattendu, alors nos observations se voient pimenter de quelques
réactions qui nous laissent entrevoir que le film auquel on est confronté vise
à prendre par la main son spectateur pour l’amener là où il n’espérait pas
aller. Contrairement aux poncifs que l’on répète à tue-tête dans certaines
réunions d’experts en quête de contenance ou en maque d’imagination (c’est
souvent la même chose), la fonction de l’art en général et des œuvres en
particulier n’est pas de provoquer ses spectateurs à outrance ou de les mettre
face à une altérité frontale, mais bien de les éduquer vers cette altérité en
s’appuyant sur le familier, de les interpeller en partant de ce qu’ils
connaissent pour les conduire hors de leurs sentiers battus. Ainsi la
bande-annonce de The Visit, le dernier film de Night Shyamalan sorti sur
nos écrans en 2015, promettait-elle une énième réalisation en found footage
propre à distiller à la mode Blair Witch des moments de frayeurs suffisamment
efficaces pour que les couples d’adolescents qui composaient la majorité des
publics dudit film, puissent trouver là une bonne raison de se tenir blottis
afin de s’amuser à se faire peur. Tout était ajusté pour cela, tous étaient
prêts à serrer plus que de mesure le tee-shirt du voisin pour conjurer
l’effroi. Et c’est là qu’en relative douceur, l’ambition de Shyamalan va badiner
avec les espérances des uns et des autres pour tenir un discours sur la
vieillesse, sur la folie, sur l’isolement, sur les liens familiaux, souvent
l’effroi se transforme en rire. L’horreur n’est pas là où on l’attendait. L’étrangeté
semble nous dire le réalisateur tient à tout ce que nous sommes incapables
d’affronter : nos phobies quotidiennes, les liens avec nos parents ou nos
grands-parents rendant impossible la transmission de cet héritage culturel
auquel ils tiennent et qui nous intéresse apparemment si peu. On venait pour
avoir peur, on sort en ayant ri et avec quelques idées à méditer en tête. La
force des films hollywoodiens, lorsqu’ils sont réussis, tient à leur faculté à
déposer dans la description de situations banales et singulières, une part des
grandes questions universelles et politiques qui traversent notre
contemporanéité. Nos pires voisins 2 de Nicolas Stoller appartient lui à la
catégorie « films de campus potaches ». Il vise, lui aussi, une
frange générationnelle, celles des spectateurs de 15 à 21 ans en quête de gags bien
vulgaires, de situations trop grotesques, de délires ultra-régressifs sur la
drogue, l’alcool ou la sexualité débridée de filles aux poitrines surgonflées
et de garçons aux muscles saillants et huilés. Mais le réalisateur, au prétexte de nous vendre une suite à l’identique qui pousserait encore plus loin
ses personnages dans leurs retranchements, apostrophe, en douceur, ses publics
sur des questions plus politiques et plus existentielles qu’il n’y paraît.
La famille Radner attend son deuxième enfant. Mac et Kelly décident donc de vendre leur maison pour en acheter une plus grande, en banlieue, ultime étape pour ces jeunes parents vers leur « vraie vie d’adultes ». Mais, s’ils n’ont pas pris de compromis pour acquérir leur future maison, les acheteurs de la leur, eux, en ont pris un. Ces derniers peuvent débarquer à n’importe quel moment pour vérifier, durant trente jours, que la maison, son cadre, son contexte sont bien conformes à ce qu’ils attendent. C’est alors qu’une sororité d’étudiantes décomplexées débarque dans la maison d’à-côté, celle-là même qu’occupait l’ancienne fraternité de Teddy, incarné par le trublion sexy Zac Efron, qui leur en avait fait voir de toutes les couleurs avant d’achever son parcours par quelques mois de prison conséquence inévitables de ses frasques étudiantes nocturnes. Les jeunes filles de Kapa Nu, épaulées par Teddy qui trouve là une belle occasion de prendre sa revanche sur ses anciens voisins, vont faire bien pire, car, si elles prennent cette maison, c’est avant tout parce qu’elles ne supportent plus le sexisme et de la rigidité du système universitaire qui entend n’autoriser les fêtes que dans les fraternités. Elles décident donc de faire de leur maison le symbole de cette contestation et de la liberté néo-féministe. Sur la base de cette trame apparemment légère, les cinq scénaristes - Seth Rogen, Brendan O’Brien, Evan Goldberg, Jay Cohen et Nicholas Stollers – vont distiller des situations qui vont faire réagir leurs publics et les cueillir, du même coup, pour leur vendre, en creux, une vision politique d’un nouvel American Way of Life propice des valeurs de tolérance et de solidarité quelque peu en rupture avec la représentation du communautarisme infantilisante perpétrée dans la plupart des films de campus américains destinés aux ados. Si l’on est précisément sensible à l’impact possible des représentations, on pourrait même penser, qu’au même titre que la série 24h a permis de propager une description positive d’un président noir en action à la tête des États-Unis, Nos pires voisins 2, programmé en plein cœur de l’été 2016, est sans doute le meilleur film de promotion qui soit en direction de la jeunesse américaine pour soutenir les valeurs qui habitent la campagne présidentielle d’Hilary Clinton.
La famille Radner attend son deuxième enfant. Mac et Kelly décident donc de vendre leur maison pour en acheter une plus grande, en banlieue, ultime étape pour ces jeunes parents vers leur « vraie vie d’adultes ». Mais, s’ils n’ont pas pris de compromis pour acquérir leur future maison, les acheteurs de la leur, eux, en ont pris un. Ces derniers peuvent débarquer à n’importe quel moment pour vérifier, durant trente jours, que la maison, son cadre, son contexte sont bien conformes à ce qu’ils attendent. C’est alors qu’une sororité d’étudiantes décomplexées débarque dans la maison d’à-côté, celle-là même qu’occupait l’ancienne fraternité de Teddy, incarné par le trublion sexy Zac Efron, qui leur en avait fait voir de toutes les couleurs avant d’achever son parcours par quelques mois de prison conséquence inévitables de ses frasques étudiantes nocturnes. Les jeunes filles de Kapa Nu, épaulées par Teddy qui trouve là une belle occasion de prendre sa revanche sur ses anciens voisins, vont faire bien pire, car, si elles prennent cette maison, c’est avant tout parce qu’elles ne supportent plus le sexisme et de la rigidité du système universitaire qui entend n’autoriser les fêtes que dans les fraternités. Elles décident donc de faire de leur maison le symbole de cette contestation et de la liberté néo-féministe. Sur la base de cette trame apparemment légère, les cinq scénaristes - Seth Rogen, Brendan O’Brien, Evan Goldberg, Jay Cohen et Nicholas Stollers – vont distiller des situations qui vont faire réagir leurs publics et les cueillir, du même coup, pour leur vendre, en creux, une vision politique d’un nouvel American Way of Life propice des valeurs de tolérance et de solidarité quelque peu en rupture avec la représentation du communautarisme infantilisante perpétrée dans la plupart des films de campus américains destinés aux ados. Si l’on est précisément sensible à l’impact possible des représentations, on pourrait même penser, qu’au même titre que la série 24h a permis de propager une description positive d’un président noir en action à la tête des États-Unis, Nos pires voisins 2, programmé en plein cœur de l’été 2016, est sans doute le meilleur film de promotion qui soit en direction de la jeunesse américaine pour soutenir les valeurs qui habitent la campagne présidentielle d’Hilary Clinton.
Sans conteste, tous les personnages de Nos pires voisins 2 sont avant tout en quête de liberté, non pas une liberté théorique affichée comme valeur suprême, mais une liberté pragmatique, située, modeste revendiquée comme un petit supplément pour préserver l’essentiel dans ce qu’ils aspirent à être. Pour la famille Radner, il s’agit de vendre sa maison en anticipant et ne pas rentrer dans une spirale de type « subprimes ». Pour Teddy, il s’agit de trouver un emploi, ce qui n’est pas simple quand on a fait quelques mois de prison et qu’on a vingt ans. Pour les filles de la sororité, il s’agit de s’affranchir des règlements des autres sororités pour exister en tant que femmes cools perçues comme personnes et non comme objets. Pour les amis de la famille Radner, il s’agit de préserver une part d’enfance en devenant parents. Pour les potes de Teddy, il s’agit de former un foyer en conservant le bonheur des relations amicales. Chacun, avec ce qu’il est, ses limites, va tenter d’atteindre son rêve, un rêve que est certes à la portée de chacun, mais à condition que tous collaborent pour y parvenir : c’est là la morale centrale de ce film. On observe les jeunes spectateurs réagir vivement à la déclaration d’amour du super beau gosse et meilleur pote de Teddy pour un autre garçon, au baiser langoureux qu’ils vont s’échanger à la grande joie de Teddy. On va bien entendre dans la salle quelques – « putain mais ils sont pédés » -. Mais c’est bien ce baiser, décisif dans ce spectacle, qui va donner le ton à l’ensemble du film qui va dès lors s’inscrire dans la « légèreté profonde » des comédies dont Hollywood détient la marque de fabrique depuis Lubisch et son To be or not to be. Nos pires voisins 2, tout en demeurant potache et drôle de bout en bout, fait accepter à ses spectateurs par des rires et des sourires que l’on ne retient pas, des questionnements qui, eux, seront retenus et qui feront souvent l’objet des tous premiers échanges de sortie de salle : «c’est classe de la part des Radder d’avoir dit aux filles qu’elles ne devaient abandonner leur objectifs originels pour parvenir à leurs fins, surprenant même», «c’est bien au fond pour Teddy son nouveau métier, mais quel faux naïf, se demander pourquoi les gays adorent l’avoir en organisateur de fêtes officielles…», «la scène des lancers de tampons usagés, ça m’a fait un peu gerber au début, mais au fond, derrière ça, il y avait un sacrée revendication, j’ai adoré»… Pour paraphraser le sociologue Jean-Marc Leveratto à propos du cinéma de Lubisch, on peut dire que Nos pires voisins 2 contrecarre de plein fouet toute tentation vis-à-vis de l’idéologie conservatrice version « Trump ». La défaite de cette idéologie tient à la manière dont les personnages du film parviennent à réussir collectivement à mettre leurs objectifs modestes à leur portée et à les partager. Il est vrai, comme le disait Marx, que « la réalité se venge » de toute idéologie qui fait marcher les hommes sur la tête. Les femmes et les hommes de Nos pires voisins 2 s’acceptent comme ils sont, c’est-à-dire, comme chacun d’eux aspire à être ! C’est dans cet ordre des choses qui fait que si l’on rit beaucoup de tout dans cette oeuvre, on peut aussi «trouver ça cool au fond» de se dessiner au feutre noir des abdos qu’on n’a plus et de parader torse nu avec bonheur aux côtés de celui qui en a encore. Une manière de rendre visibles ces quêtes de nous-mêmes qui, d'évidence, nous rassemblent parce qu'en réalité, on se ressemble.
Nota : ce texte a été publié le 7 août 2016 en version enrichie dans le Plus de l'Obs que l'on peut retrouver en cliquant ici.