02 février 2023

Rôle des institutions culturelles et des pédagogies contextuelles pour renforcer la société de la connaissance

Renforcer la société de la connaissance, c’est avant tout réfléchir territorialement à comment investir l’ensemble des temps de la vie et l’éducation artistique et culturelle qui est un levier très efficace dans le cadre de ce déploiement.


En France, en Bretagne, à titre d’exemple, nous avons déployé ce que nous appelons les Aires Marines Educatives. Cela consiste à confier à nos enfants la responsabilité d’une partie du littoral de Bretagne, des plages, des roches,… Nous avons pour ambition de faire de toute la Bretagne une Aire Marine Educative. Nous allons également travailler sur les fleuves avec les Aires Fluviales Educatives, et sur les terres avec les Aires Terrestres Educatives. Si je prends ces exemples très précis c’est qu’ils renvoient à une responsabilisation de nos enfants pour leur environnement, un environnement pour lequel ils s’engagent. 


Cet engagement mobilise bien au-delà de l’école les institutions culturelles et scientifiques de nos territoires car pour décrocher le label « Aires Marines, Aires Fluviales, Aires Terrestres », nos enfants doivent construire un véritable projet avec des partenaires institutionnels. Chaque projet revêt une dimension scientifique pour comprendre comment fonctionne la mer, la place, l’écosystème, la biodiversité,… Une dimension écologique liée au développement durable pour comprendre comment agir pour son territoire et le protéger sur la longue durée… Une dimension d’éducation artistique et culturelle pour se saisir de son territoire et se le représenter, le représenter pour les autres, en parler, se faire ambassadeur de la mer, des fleuves et de la terre, bref reprendre en main un récit commun. Près de 100 000 petits Bretons ont investi ce label des aires marines et des autres aires… Ce que nous construisons avec ces éducations transverses, ce sont bien des sociétés de la transmission et des communautés d’apprenants d’un nouveau genre.


L’impact de ces expériences est très puissant car elles permettent de construire de nouvelles sociabilités en lien avec les familles, les amis et impliquent de créer aussi des espaces participatifs de qualité entre l’environnement familial, personnel de chaque enfant, et l’environnement éducatif institutionnel, au bénéfice d’une bonne appropriation du parcours éducatif dans son ensemble et ce autour de nos paysages, des paysages qui deviennent ainsi sous nos yeux de véritables espaces participatifs de connaissance. C’est un moyen très utile de renforcer la société de la connaissance car on apprend avec son environnement et pour son environnement. On retrouve là les principes éducatifs chers à John Dewey de l’éducation par l’expérience avec une continuité réelle entre la société et l’éducation dans tous les temps de la vie. Déployant autant des dispositifs d’éducation formelle et non formelle, avec les Aires Marines, « l’école devient ici une forme de vie sociale, une communauté en miniature étroitement liée aux autres modes d’expérience que le groupe vit en dehors de l’école ». 


Bien sûr, tout ceci implique une formation mutuelle de l’ensemble des acteurs qui interviennent autour de ce type de projets où l’on croise conformément à la Charte de l’Education Artistique et Culturelle expériences et pratiques, rencontres et connaissances. De tels projets ne peuvent aboutir en effet que sur la base d’un engagement mutuel des différents partenaires : communauté éducative et monde culturel, secteur associatif et société civile, Etat et collectivités territoriales, mais aussi environnement familial et amical. Ceci implique enfin que nous mesurions très précisément les «effets éducatifs » de telles expériences sur la longue durée. C’est pourquoi nous allons suivre grâce à l’équipe de recherche de l’Institut National Supérieur de l’Education Artistique et Culturelle (INSEAC) sur dix ou vingt ans une cohorte entière d’élèves pour mesurer comment l’éducation artistique et culturelle tout au long de la vie renforce non seulement la société des connaissances mais participe, en développant la capacité de chaque enfant d’agir sur son environnement, à instruire aussi le sens qu’il peut ainsi donner à sa citoyenneté. Je vous remercie.

Renforcer les droits de l’homme et soutenir la diversité culturelle dans et à travers les systèmes éducatifs

  • En 2016, le Ministère de la Culture et le Ministère de l’Education ont adopté un document essentiel à l’initiative du Haut Conseil de l’éducation artistique et culturelle : la Charte de l’éducation artistique et culturelle. Cette charte en dix articles très simples rappelle quelques principes en direction de notre système éducatif et nos institutions culturelles et notamment celui de la préoccupation d’une éducation artistique et culturelle accessible à tous, une éducation à l’art et une éducation par l’art, dans tous les temps de la vie qui permettent à tous de fréquenter des œuvres, rencontrer des artistes, acquérir des connaissances. On retrouve formalisées en principe les préoccupations qui oscillent entre universel et particulier, entre local et global, que l’on se réfère à la DUDH comme aux différents textes de l’Unesco qui jalonnent ces préoccupations entre droit à la culture et droits des cultures. Renforcer ces droits implique donc de renforcer à la fois le droit à la culture et le droit des cultures avec toutes les zones de flous que cela peut comporter tant sur le plan des définitions que sur celui des leviers d’action possibles donc, en conséquence sur la portée réelle en termes d’obligations et de ressources que chaque pays serait susceptible de mettre en oeuvre. En 1970, l’Unesco a estimé que l’article 27 de la DUDH impliquait que les autorités qui ont la charge d’une communauté ont le devoir de fournir à tous ses membres les moyens effectifs de participer à la vie culturelle et non pas seulement celui de respecter leur droit à y prendre part. En 2001, la Déclaration université de l’Unesco sur la diversité culturelle dessine plus précisément un lien entre culture et pluralité des identités et l’expression « identité culturelle » traverse le texte de bord à bord pour aboutir à des contours plus clairs de l’idée de diversité comme le précise l’article 5 de cette déclaration, article qui stipule que « toute personne doit pouvoir s’exprimer, créer et diffuser des oeuvres dans la langue de son choix et en particulier dans sa langue maternelle. Toute personne doit pouvoir participer à la vie culturelle de son choix et exercer ses propres pratiques culturelles ».  L’acception de la culture s’en trouve par-là même élargie car celle-ci ne saurait plus s’entendre sous sa seule acception des beaux-arts ou des belles lettres. Et il faut bien considérer cet élargissement comme une prise en considération de la manière dont on conçoit le temps libre consacré tant à la formation de soi, à son enrichissement, à une émancipation qui est autant personnelle que collective.  Pour s’en convaincre, je vous invite à lire le remarquable ouvrage que l’historien Paul Veyne a consacré à Palmyre. Palmyre écrit-il ne ressemble à aucune autre cité de l’empire tant on y sentait souffler un frisson de liberté et de mutliculturalisme où se mêle Aram, Arabie, Perse, Syrie, Hellénisme, Orient et Occident. Métaphoriquement Palmyre nous montre combien tout patchwork culturel loin d’aboutir à l’universelle uniformité ouvre avant tout la voie à l’universalité. Pour le dire avec ses mots « ne connaître, ne vouloir connaître qu’une seule culture, c’est se condamner à vivre sous un éteignoir ». 
  • Notre Charte de l’éducation artistique et culturelle ne parle pas explicitement de droits culturels, mais bien d’accessibilité pour tous et se veut pragmatique face à une démocratisation de la culture par trop théorique qu’elle prendrait le risque de ne jamais être atteinte. Ainsi s’appuyant sur l’article 1 de notre Charte de l’EAC, en 2017, le Président de la République française, Emmanuel Macron, dans la lignée de ses prédécesseurs a inscrit l’éducation artistique et culturelle, non seulement dans son programme, mais dans ses chantiers prioritaires en impulsant le 100% EAC, c’est-à-dire en inscrivant l’éducation artistique et culturelle comme une politique publique dotée d’indicateurs spécifiques et partagés par le ministère de la culture et de l’éducation nationale : chorales, lectures silencieuse, lectures à voix haute, réappropriation de son patrimoine de proximité, ciné-clubs, ouvertures aux arts ludiques, orchestres à l’école, artistes en résidence, artistes intervenants,… La politique volontariste de l’Etat et de plus en plus des collectivités territoriales ont sonné la remobilisation de toutes les parties prenantes de l’éducation artistique et culturelle et de l’éducation populaire pour porter cette généralisation à l’échelle nationale du 100% EAC afin de donner et de partager le goût de l’expérience collective de la culture. À cette fin, a été créé notre PASS Culture qui permet de financer des projets d’EAC dès le collège jusqu’à plus de 18 ans démarrant avec des projets collectifs pour s’émanciper avec une part du PASS individuelle. Grandir et s’émanciper avec la culture en faisant confiance à l’individu détenteur du Pass, c’est en ce sens totalement inédit car les jeunes français deviennent, on peut le voir ainsi, de véritables petits mécènes de la culture.
  • Le Pass culture devient ainsi un levier de l’EAC pour tous et les projets d’éducation artistique et culturelle prennent ainsi tout leur sens. 
  • J’aimerais insister ici sur l’importance que peut revêtir l’expérience commune, l’expérience partagée, mieux encore l’expérience synchronisée de l’éducation artistique et culturelle. Ainsi, en Bretagne, région de France où j’exerce ma mission de recteur, j’ai instauré depuis 3 ans, le quart d’heure de lecture silencieux synchronisé proposant aux 600 000 élèves de Bretagne le vendredi à 13h51 de s’arrêter en même temps, au même moment pour lire durant 15 minutes le livre qu’ils aiment, les professeurs, les administratifs, les techniciens s’arrêtent évidemment en même temps qu’eux pour lire aussi le livre qu’ils aiment. Je vous laisse imaginer les vertus de cette synchronisation. Elle permet une véritable socialisation par la lecture plaisir dans tous nos établissements scolaires. Elle permet à chacun, dans le respect de sa culture et de la diversité de venir dans l’école avec un livre qu’il ou elle aime vraiment, donc d’en parler, de le montrer, de partager ses passions par ce geste de la lecture plaisir, de participer à un élan collectif dans le geste et éminemment respectueux dans le choix, bref de façonner l’esprit d’une immense communauté de lectrices et de lecteurs. Désormais, en collège, j’ai des enseignants qui, grâce au Pass Culture, accompagnent celles et ceux qui n’ont pas de livres à la maison dans une librairie pour apprendre à choisir et donc à acheter le livre qui leur plait. La démarche est vertueuse et complète car, grâce à un dispositif pensé de A à Z et désormais enseigné aux futurs enseignants au sein de notre Institut National Supérieur de l’éducation artistique et culturelle, nous espérons faire de l’EAC un fondamental partagé de l’interministériel jusqu’à l’échelle des plus petites collectivités pour, comme l’écrivait Condorcet en 1792, « ne laisser subsister aucune inégalité qui entraîne de dépendance ». C’est en inventant ainsi des expériences communes partageables et respectueuses de chacun que nous parviendrons, nous en sommes convaincus, à reprendre pied dans un récit collectif ancré dans la diversité culturelle et respectueuse des droits à la culture et des droits des cultures, c’est à dire des droits de l’homme.