L’illimité, ça ouvre le champ des possibles, et rien
que ça, ça veut dire beaucoup. Le système de forfait évite, par exemple, à
Morgane, une internaute de 20 Minutes,
de limiter ses sorties à cause du prix de la place : « Avec mon
copain, nous avons une carte pass duo Gaumont pour aller au cinéma à deux en
illimité. On voit environ un film par semaine depuis un an. Il nous
est arrivé d’avoir des périodes où nous n’y allions pas pendant plusieurs mois,
mais, même avec ces périodes de creux, on est gagnant financièrement. »
Pour Emmanuel Ethis, recteur de l’académie de Nice,
professeur de sociologie du cinéma à l’université d’Avignon, la potentialité
n’a pas de prix. « Posséder une carte de cinéma illimité projette une
représentation qu’on se fait de nous-mêmes, explique l’auteur de Sociologie du cinéma et de ses publics (Ed.
Armand Colin, 2014, 3e édition). On apparaît comme des cinéphiles avant
même d’être allé au cinéma. Cette carte, matérialisée dans le portefeuille qui
plus est, nous apparaît comme un doudou, un objet rassurant. »
Grâce à la carte, on peut partir quand
on veut
Autre pouvoir de la carte, celui de profiter d’un film
à sa guise : en théorie, aucun problème pour voir 15 fois La La Land sur lequel on a
flashé, ou pour avoir osé ne passer que 5 minutes en salle pour toutes les
suites de comédies françaises sorties en 2016. Pas d’obstacle non plus à aller
voir tout ce qui sort. D’autres ont trouvé un emploi complètement
différent à leur carte illimitée. Certains s’en servent pour utiliser les
toilettes du cinéma, d’autres parce que les fauteuils confortables plongés dans
le noir sont idéaux pour faire la sieste.
C’est le cas de Maxime. « J’utilise ma carte à
90 % pour aller voir des films qui me plaisent, mais quand j’ai vraiment
envie de dormir, je choisis un film qui ne fait pas appel à mes neurones ni à
ma concentration, Cet été, je suis allé voir plusieurs fois Camping 3 par exemple. Mais un
film d’art et d’essai peut être encore mieux, parce que je sais que je ne vais
pas me faire réveiller par de la musique trop forte. » Pas de problème non
plus pour ne voir qu’une heure d’un film quand il a peu de temps, quitte à y
retourner s’il a aimé.
Avec la carte, on revient presque tous à
nos vieilles habitudes
« Le mot "illimité" a un pouvoir
marketing magique, quand il est inscrit sur une carte, on se dit qu’on peut
tout faire avec, explique Emmanuel Ethis. Les statistiques [tenues secrètes par
les exploitants] montrent que les premiers mois entraînent une utilisation
saturée, un rythme effréné. Puis les gens sont rattrapés par le temps et
reviennent à la base de leur pratique. » La
raison ? Difficile de se prendre de passion pour les films d’auteur
quand on aime les films d’action américains ou de se mettre à ne consacrer ses
soirées qu’au cinéma quand on sort beaucoup, sous prétexte qu’on ne paie
pas pour y assister.
Antoine en est la preuve vivante. A 28 ans, il vient
de retrouver un emploi. « J’ai pris une carte quand j’étais au chômage,
car j’avais beaucoup de temps libre, raconte le jeune homme. Mais depuis
quatre mois, je n’ai pas remis les pieds dans un cinéma. Je sais que je
devrais l’annuler pour ne plus payer pour rien, mais je crois toujours que je
vais retourner au cinéma le mois suivant et rentabiliser mon abonnement. »
Lancées au moment de l’explosion du téléchargement
illégal au début des années 2000, les cartes illimitées ont permis
aux exploitants de faire face à une concurrence importante avec un
dispositif financièrement attractif. « Mais la carte illimitée change
peu la structure du public, estime Marc Filser, professeur de gestion à l’IAE de Dijon.
Elle peut inciter à des pratiques plus intenses, l’abonnement permet également
une sensibilisation du public déjà concerné, mais elle ne permet pas vraiment
de capter des nouveaux publics qui n’allaient pas au cinéma auparavant. »