Non King Kong n’est
pas une figure de la puissance masculine ou une représentation d’une sexualité
animale comme l’ont imaginé trop souvent la plupart des critiques qui ont
commenté le film dans ses multiples versions. En effet, étant donné la taille
de l'animal, on se aurait du mal à poser concrètement la question de sa véritable
sexualité. Notre représentation stéréotypée nous le laisse entrevoir au
masculin, mais il n'y a rien en réalité qui traduise son genre. Il n'est jamais
perçu en situation sexuée – ou sexuelle - dans les films sauf dans une des
suites qui lui a inventé une compagne à sa taille. Kong est un roi, mais vous
pourriez l'appeler Queen Kong que cela ne changerait rien au propos. Ce n'est
pas son genre qui importe mais bien sa taille qui compte. De fait,
Virginie Despentes qui a écrit «King Kong Theorie» n'a pas tout à fait
tort d'imaginer que le géant singe serait une métaphore de la sexualité avant la distinction des genres, une
sorte de figure androgyne sans stéréotype de sexe. Nous sommes nous tous ses
poupées, car oui, Kong joue à la poupée. Dans les précédents films
sur King Kong (il y en a eu 7 entre 1933 et 2005), l’histoire est
sensiblement la même. Beaucoup ont vu le personnage féminin caricaturé en une
jeune femme blanche belle et naïve, une apparente victime de la domination
masculine. S’il est vrai que la philosophie est la même elle traduit pourtant précisément
l'inverse. Face aux armes, aux épreuves de force, c'est bien le triomphe d'une
femme qui domestique avec une finesse et une habileté non feinte le Kong. Elle
comprend qu'avec cet être démesuré, c'est à un autre inconnu qu'il faut faire
face et que faire face, c'est être dans le donnant, donnant. Mais j'insiste, on
pourrait fort bien interpréter le personnage qui intéresse Kong par un homme
sans que cela ne change pas grand chose puisqu'il est impossible d'avoir des
relations sexuelles avec les petits humains. Kong aujourd'hui traduit la crise
des genres ni plus, ni moins et relativise notre position vis à vis de la vie
animale et à ce que doit être notre place dans le vivre ensemble en milieu clos
- ici sur une île - isolée du reste du monde. Nous ne sommes pas dans Jurassic
Park. Les hommes et les femmes viennent sur cette île et ne survivent que s'ils
pensent une adaptation qui passe par d'autres repères culturels et
sociologiques que ceux qui régissent notre modernité.
Néanmoins, c’est grâce
à l’amour de la femme que finalement le géant animal va s’humaniser. C’est le
mythe de «La Belle et la Bête». Car, en relisant la belle et la Bête, on
s’aperçoit qu’en réalité ce n'est pas l'amour qui triomphe, mais tout d'abord
la culture : la Bête et La Belle doivent d'abord partager un langage commun,
plus encore une culture commune. La bizarrie de Belle dans son propre monde
n'est pas d'être Belle mais d'être une femme qui lit ! Et c'est cette lecture
qu'elle va d'abord partager avec la Bête ! L'amour est éminément culturel. Au
reste comme dans le récent Starwars - Rogue One- on montre plus que jamais des
femmes aussi investies dans l'action et le pouvoir que l'était la princesse
Leia, jumelle de Luke Skywalker. La pub Always montre comment s'instruisent les
stéréotypes, et ici, la survie concerne de la même manière les uns et les
autres dans un monde où l'alpha est défini par l'altérité de Kong. Nous sommes
sur son royaume. King Kong nous présente surtout une façon de coopérer entre
hommes et femmes, là est la véritable nouveauté.
Dans ce dernier film
de King Kong, l’héroïsme en soi n'existe pas et caractérise par une qualité
quelqu'un qui va se révéler par l'aventure. L'héroïsme nous révèle d'abord à
nous-mêmes puis ensuite aux autres. Le Cid de Corneille était un piteux
escrimeur mais son héroïsme dépasse autant sa maladresse que ses petites
lâchetés pour le consacrer en héros. L'héroïsme, c'est notre processus de
transformation que nous offre une posture sociale remarquable pour être le
premier ou la première dans un cadre donnée comme Erin Brokowich, le temps d'un
combat, d'une lutte. C’est pourquoi les représentations sont essentielles,
mais pas uniquement pour ce sujet, on peut en ce sens revoir le très beau film
d'Amenabar Agora sur la première femme philosophe. Ces représentations non
sexistes doivent circuler absolument pour nous réaliser dans nos vies car non
une femme n'atteindra pas son "rêve" quand elle trouve un bon métier
là où un homme réaliserait lui ses "ambitions". Le cinéma est un
reflet dans lequel on peut retrouver les mentalités d'une époque avec une
légère anticipation de ce que risque de devenir le monde. Je parle là des films
qui nous marquent parce qu'ils nous "parlent".