Tous
les pays qui croient en leur avenir ont toujours su faire le choix, dès qu’ils
en ont eu les moyens et chacun à leur manière, de porter une attention
politique toute particulière à leur système d’enseignement supérieur. La raison
de ce choix tient aux trois défis fondamentaux que doivent relever aux yeux des
nations modernes les futurs diplômés du supérieur : (1) renouveler les
élites (2) être des professionnels de bon niveau prêts à intégrer le monde de
l’entreprise en y apportant des savoirs issus de la recherche appliquée, des
savoir-faire innovants et des compétences rapidement opérationnelles (3) devenir
des citoyens exemplaires à l’esprit critique aiguisé habité d’une culture
humaniste, scientifique et technique qui soit ouverte sur le monde et généreuse
dans le partage. Pour
des raisons toujours avancées comme historiquement rationnelles au regard des
besoins de notre société à un moment donné, notre pays, La France, plutôt que
construire des institutions en charge de relever ces trois défis simultanés
comme l’ont fait tant d’autres pays, a préféré doctement séparer sa jeunesse
pensant sans doute qu’il était impossible de former en un seul et même lieu des
élites, des techniciens, des ingénieurs et des docteurs et que tous soient
aptes à penser des questions culturelles et politiques en prise avec leur
époque. Universités, Grandes Écoles, Écoles d’ingénieurs, Écoles privées ou
Universités catholiques sous contrat avec l’État, filières sélectives, IUT,
BTS, filières sans sélection… On peut tantôt avoir soit une lecture optimiste
d’un système dense et riche qui fait la fortune des grands raouts dévolus à
l’orientation, tantôt avoir une lecture pessimiste d’un système concurrentiel
où les meilleures places sont déjà réservées depuis longtemps aux
« meilleurs ».
Combien
de familles ont réellement les outils accompagner dans leurs choix leurs jeunes
bacheliers lorsque ces derniers n’ont pas été consacrés par l’excellence
de la meilleure mention au baccalauréat? Au reste, lorsqu’on sait que
l’individu qui s’autonomise va faire preuve de tant de nouvelles aptitudes « non
prévues au programme » entre 18 et 25 ans, pourquoi tout résumer autour d’une
mention au bac qui ne donne qu’une vision à un temps « t » d’une
personnalité qui est précisément en train de s’émanciper ? Comment est-il
possible d’aboutir à l’étrange constat parfois que l’université serait le lieu
où atterrissent tous ceux qui n’ont pas trouvé leur place dans les filières à
sélection ? L’université
est le lieu où l’enseignement par la recherche est consacré dès la première
année de licence et devrait – par conséquent – être le lieu qui accueille ceux
qui présentent les meilleures qualités en ce qui concerne l’autonomie
personnelle, la mobilité géographique, la curiosité culturelle, scientifique et
intellectuelle. Pourtant, cette dernière ne bénéficie toujours pas de l’image
de marque qui devrait être la sienne. Combien de « unes » de journaux
consacrés aux conditions budgétaires difficiles des universités, à la vétusté
de leurs locaux, à leurs difficultés à former de bons professionnels ? Alors
même que les diplômés des nos universités soient aussi bien et parfois mieux
insérés sur le plan professionnel que ceux des autres institutions, qui plus
est en temps de crise. Depuis
un mois, la majeure partie des actualités consacrées à l’université porte sur
« le voile à l’université » comme s’il s’agissait d’une question
centrale et sans jamais interroger d’ailleurs la question du voile dans
« les grandes écoles et les écoles d’ingénieurs ». Le fait est qu’il
aurait plutôt fallu se demander « quelle place pour notre enseignement
supérieur dans la loi pour la croissance et l’activité dite loi
Macron » ? Le débat aurait été mille fois plus intéressant pour
comprendre ce que nous devenons et ce à quoi nous aspirons vraiment pour bâtir
la France actuelle.
Alors
que le cinéma anglo-saxon propose sur nos écrans depuis un mois des biopics
d’universitaires aussi héroïques consacrés à Alan Turing ou Stephen Hawking qui
vont jusqu’à concourir aux Oscars, nous continuons à voir nos médias et nos
politiques consulter et mettre en scène des pseudo-intellectuels au front bas,
dans l’espace de parole étroite d’un « toujours pareil »... Si peu
d’alternatives, si peu de confiance en nous, en notre recherche, en nos
véritables intellectuels, chercheurs, penseurs ? N’y a-t-il chez nous que
de pensées polémistes ? Alors
que partout hors de France, le « langage universitaire » définit le
langage, est le langage de référence, celui vers lequel il faudrait tendre
lorsqu’on est empreint de curiosité, chez nous, l’idée même de « langage
universitaire » est souvent synonyme de repoussoir. Pourtant les mots
merveilleux d’une Mona Ozouf, d’un Cédric Villani, d’un Paul Veyne, d’un Michel
Serres apparaissent toujours comme une récréation pour l’esprit, nous élèvent
toujours vers la plus belle des exigences de notre pensée critique et
scientifique. Au reste, ils sont présents et respectés… Mais la France compte
plus de dix mille grands chercheurs et enseignants-chercheurs… Qu’elle n’écoute
jamais. Inutile de croire que la soi-disant fuite des cerveaux ne soit que le
résultat d’un appel à de soi-disant meilleures conditions de travail à
l’étranger. C’est avant tout une question de reconnaissance ou plutôt de
non-reconnaissance. Mais pour se reconnaître, il faut d’abord se connaître et
pour se connaître il faut être et vivre ensemble. Ne pourrions-nous rêver enfin
d’une Université qui ne soit pas seulement une utopie dans notre pays et qui
soit en charge de remplir au plus haut niveau et en un seul lieu les trois
défis fondamentaux de former côte à côte élites, bons professionnels et esprit
critique ? Les universités et les écoles ne se vivent plus elles-mêmes
comme des concurrentes depuis près d’une dizaine d’années, mais se copient et
s’empruntent le meilleur de ce qu’elles ont su inventer. Cependant, il reste
encore beaucoup à faire pour inventer cette Université du 21e
siècle, une université dont nous serons tous fiers, porteuse de tous les
espoirs de progrès pour notre pays, pour notre jeunesse et nos concitoyens tout
au long de leur vie, une Université héroïque qui sera le produit d’un système
d’enseignement supérieur républicain, attentif et responsable de l’éclosion de
tous les talents futurs de notre pays. Car le talent n’est pas une question de
filiation ou de « classe sociale d’appartenance », il est toujours le
résultat d’un repérage et d’un investissement. C’est pourquoi il ne faut pas se
tromper d’équation si l’on veut tenir nos promesses d’avenir : le niveau
de l’investissement qu’une nation place dans son enseignement supérieur et dans
sa recherche est la stricte équivalence de l’ambition et de la confiance
qu’elle place dans les générations présentes et futures.