On se souvient de l’idée fondatrice de l’existentialisme de
Jean-Paul Sartre - l’existence
précède l’essence - selon laquelle aucun d’entre nous ne serait le
résultat de déterminants, ou «prédéterminé»,
mais pourrait, au contraire, choisir ce qu’il souhaite devenir. C’est même dans
l’acception de cette idée qu’on expérimenterait les contours de la liberté
individuelle tant en tant que notion qu’en tant que valeur. Dans un article
publié dans la revue Science le 10 mai
2013 par un groupe de neuroscientifiques mené par Julia Freund et intitulé
« Emergence of individuality in
genetically indentical mice », on découvre comment ces derniers réinterrogent
à nouveaux frais cette question de la liberté individuelle par l’entremise
d’une observation animalière en laboratoire. En plaçant ensemble quarante
souris génétiquement identiques dans une très grande cage dès leur naissance,
ils se sont demandés si, au bout de quelque temps, certaines se
différencieraient par leurs comportements. Or, c’est bien ce dont ils furent
les témoins car certaines développèrent en trois mois une inclination pour
explorer leur cage alors que les autres se cantonnèrent à une zone très limitée.
Il fût également constater que les souris « exploratrices »
produisirent plus de neurones dans l’hippocampe,
siège de la mémoire du cerveau. De fait, les chercheurs conclurent très
« sartriennement » que chaque action transforme son auteur et ce
indépendamment de son patrimoine génétique et de son milieu.
Les sciences sociales ont, pour leur part, démontré depuis
longtemps que plus nous vivons d’expériences dans notre vie, plus nous sommes
aptes à réagir à une diversité de situations nouvelles. De là à penser qu’on
conquiert notre liberté individuelle au sens où l’entend Sartre dès lors qu’on
a l’esprit aventurier, c’est peut-être précisément s’aventurer un peu loin sans
tenir compte de nos représentations de nous-mêmes, de notre volonté, des effets
édifiants qu’ont sur nous l’éducation et la culture, mais aussi l’idéologie de
la liberté individuelle et de l’individualisme qui nous prépare à penser que
nous sommes tous uniques et différents. Au reste, nous y sommes si bien préparés qu’une fois cette
donnée intégrée, nous allons passer le reste de notre vie à nous étonner, voire
nous passionner de toutes les ressemblances que nous nous découvrons avec
autrui. Mieux, nous recherchons nos similitudes au point d’en faire quelquefois
une quête existentielle. Il n’est d’ailleurs pas absurde de penser que le succès
de l’art cinématographique tient en partie à ce qu’il nous offre de modèles
formidables humains en situation qui fonctionnent comme autant de balises
d’identification.
Sur un plan plus personnel, depuis que je suis enfant, combien m’ont
dit que je ressemblais singulièrement au John Travolta de la Fièvre du Samedi soir ou au Tom Hanks de Forest Gump? Je ne les compte plus. Désormais, chaque fois
qu’on me le dit, je feins l’étonnement ce qui renforce le plaisir de celle ou
celui pense avoir mis au jour une ressemblance qui m’aurait échappé jusqu’alors.
Au delà, de ces petites jouissances des similitudes quotidiennes, je pense, qu’en
définitive, il s’agit de relativiser la théorie sartrienne, non pour la brûler,
mais pour la resituer dans le cours de notre vie. Oui, l’existence précède vraisemblablement
l’essence jusqu’au moment où l’on a compris qui l’on est réellement. Une fois
accomplie cette (re)connaissance de soi minimale, nous partons à la conquête de
toutes les ressemblances que nous entretenons avec les autres. L’essence vient alors
donner un sens à cette quête du « même
dans l’autre » qui va jalonner, en partie, le trajet du reste de notre
existence... La recherche de notre essence commune...