15 juillet 2012

LA PETITE FABRIQUE DU SPECTATEUR, être et devenir festivalier à Cannes et Avignon / Ce qu'en disent Jérôme Garçin et Alain Riou du Nouvel Observateur


 La Tendance de Jérôme Garcin sur le site BibliObs, 12 juillet 2012.

"Avignon a trouvé son Robert Doisneau... et il est sociologue.
Dans «la Petite Fabrique du spectateur», Emmanuel Ethis raconte les tourtereaux du Palais des Papes.
Les tourtereaux du Palais des Papes mériteraient d'être aussi célèbres que les amoureux de l'Hôtel de Ville dont Robert Doisneau immortalisa, en 1950, le fougueux baiser. On connaît l'histoire: assis à la terrasse d'un bistro parisien, le photographe remarqua un couple enlacé d'apprentis comédiens et leur proposa de poser pour le reportage que le magazine «Life» lui avait commandé. Françoise et Jacques acceptèrent car ils s'aimaient vraiment. Mais lorsque la photo devint un poster, en 1986, et connut un succès mondial, le couple romantique s'était déjà séparé.
La même année, au Festival d'Avignon, un autre jeune couple commençait de se chamailler, au prétexte que «l'Usage de la parole», de Nathalie Sarraute, leur inspirait des jugements divergents. Stéphanie et Thomas s'étaient rencontrés l'été précédent à la carrière de Boulbon, où se donnait le «Mahâbhârata», de Peter Brook. Leur commune passion pour le livre sacré de l'Inde fut si ardente qu'ils se marièrent dans la foulée: «Le Festival avait mieux fonctionné qu'un club de rencontre pour célibataires.»
Seulement voilà: retournant à Boulbon en 1990, Stéphanie adora le kitchissime «Songe d'une nuit d'été», version Jérôme Savary, que Thomas détesta. Ils décidèrent alors de divorcer, et en tirèrent une morale: on mesure la solidité de l'amour à l'aune des pièces qui divisent, pas des spectacles consensuels.
Cette histoire vraie, parmi une dizaine d'autres (où l'on croise des fétichistes, des obèses et même des complotistes), est merveilleusement racontée, dans «la Petite Fabrique du spectateur» (Editions universitaires d'Avignon, 8 euros), par l'écrivain et sociologue Emmanuel Ethis, qui est le Robert Doisneau des festivaliers. Cela fait dix ans qu'il étudie, décrypte, éclaire les comportements de la foule anonyme des pèlerins d'Avignon. Grâce à lui, l'épopée du Festival se déroule autant dans les gradins que sur la scène. C'est édifiant et attendrissant."


Extrait de l'article d'Alain Riou sur le site CinéObs, intitulé: Ciné-livres : les conseils de lecture d'Alain Riou, 7 juillet 2012.
"C'est la saison des films de plein air. Le revers de cette délicieuse médaille, c'est qu'il faut attendre tard que la nuit soit complètement tombée. Et pour meubler son impatience, rien ne vaut un bon livre. De cinéma, bien sûr. En voici quelques-uns, (relativement) récents, et qui peuvent pousser à la méditation.
Pour commencer, un petit livre court, mais dense, du bien nommé Emmanuel Ethis, président de l'université d'Avignon et sociologue spécialisé dans l'étude du cinéma, et plus précisément de son public. On avait déjà lu de lui « les Spectateurs du temps, une sociologie de la réception du cinéma », ainsi que « Sociologie du cinéma ». Dans « la Petite Fabrique du spectateur », sous-titré : « Etre et devenir festivalier à Cannes et à Avignon », il compare le public du cinéma avec celui du théâtre, tournant, comme Edgar Morin, autour de l'idée qu'on en apprend plus sur l'être humain à l'extérieur des salles, dans les rues."

10 juillet 2012

LA "THÉORIE" : un regard singulier sur le festival d'Avignon et ses publics

Jean-Claude s’occupe de la culture dans une petite commune située à cinquante kilomètres d’Avignon. Figure emblématique de son village, il a, selon ses amis, comme ses détracteurs, une théorie sur tout. C’est ainsi qu’ il préfère dire qu’il gère les « affaires culturelles » que la « culture » car selon lui, «la culture, c’est toujours une question d’affaires ici, les élus, ils croient tous que si t’as une bonne animation culturelle, tu gagnes les élections, et bien pas du tout, il vaut mieux avoir une mauvaise programmation dans ton théâtre, comme ça tu vires le directeur du théâtre et là seulement, tu gagnes les municipales, tu comprends». Les théories de Jean-Claude font toujours un peu sourire jusqu’au moment où il les assortit d’exemples : «regarde Cavaillon depuis 20 ans,…, depuis 20 ans Cavaillon tient comme ça…».

Chaque année, le festival est une magnifique occasion pour Jean-Claude de retrouver ses collègues des collectivités territoriales dans l’un des nombreux cocktails qui jalonnent la manifestation avignonnaise. «Jean-Claude en tant de festival ? C’est une sorte d’almanach Vermot des politiques culturelles dans lequel Elisabeth Tessier aurait écrit les notes en bas de pages – déclare un de ses « proches » - ; ceux qui ne l’aiment pas disent de lui qu’il se complaît dans la pagnolade bas de gamme sans distance ni légèreté et ceux qui l’aiment voient en lui une sorte de Tartarin de Tarscon doublé d’un oracle en politique loca-localiste, mais la vérité, c’est que c’est un joueur, un vrai : plus il peut à faire croire à des absurdités rendues cohérentes par ses théories, plus il jubile. L’année dernière il tentait d’installer la théorie selon laquelle Hervé Vilard serait en réalité le fils caché de Jean, déplorant du même coup ces générations indignes de transmettre la vraie culture…»

Jean-Claude oscille tantôt vers le «plus c’est énorme et plus ça passe », tantôt vers le « puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs». Sur les publics du Festival d’Avignon et leurs humeurs ? Il a bien entendu une théorie, c’est d’ailleurs - dixit l’intéressé - la plus simple de ses théories, «car franchement les journalistes ils vont chercher trop loin dans l’esthétique des textes, des images et toutes ces conneries-là,… franchement, les publics, ils sont contents quand ils ont envie d’être contents, quand ils sentent que c’est plus rentable de faire front contre le festival, ils le font, quand ils pensent qu’il faut passifier les choses, ils le font, c’est tout… Ils veulent juste être du bon côté du manche en faisant cohésion car y’a un truc dont ils ont horreur, c’est qu’on leur disent qu’ils ont rien compris au spectacle. Ils comprennent tout ce qu’ils ont envie de comprendre au moment et là où ils ont envie de le comprendre. Le festival, ils veulent que ce soit eux et ils feront toujours tout pour ça, c’est tout ». Simplistes, démagos, géniales, ringardes, progressistes, réac, opaques, transparentes, les théories de Jean-Claude aimantent les adjectifs les plus contradictoires qui soient pour être défendues ou descendues… C’est un fait, mais sur ce fait aussi Jean-Claude a une théorie.