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Et, ne nous y trompons pas : en procédant à la réforme de ses universités, la Ve République est réputée opérer là l’une de ses plus grandes évolutions car c’est bien à son logiciel de transformation et de mobilité sociales qu’elle s’attaque. Si on lui accorde l’attention et les moyens qu’elle nécessite, cette réforme métamorphosera définitivement nos paris sur l’avenir, la manière dont nous pensons nos liens intergénérationnels et les modalités de l’espoir que nous plaçons dans nos générations futures.
Aussi faut-il s’interroger sur le fait que cette réforme et ces évolutions ne soient jamais valorisées autrement qu’à travers un discours institutionnel dont l’ampleur est tellement décalée au regard de l’ambition même qu’elles sont censées portées qu’on peut parfois se surprendre à douter de ladite ambition. De surcroît, au-delà du discours institutionnel, on est obligé de constater qu’aucun socle de représentations sociales n’appuie ces transformations. Faut-il croire que nos étudiants et nos universités ne soient pas susceptibles de stimuler l’imaginaire des uns et des autres ?
Aucune série télévisée, aucun film de fiction, aucun roman en France ne portent centralement la préoccupation de nos institutions de la connaissance, de la recherche ou de l’innovation. Le décor apparemment ne s’y prêterait pas. Dans le même ordre d’idées, journalistes et médias n’ont jamais eu que de très rares attentions portées sur nos universités et sur le monde étudiant. Si plus de 71% des fictions anglo-saxonnes mettent en scène toute ou partie des éléments qui sont en prise directe avec leurs universités, chez nous, le pourcentage est asymptotique de zéro : aucune représentation sociale de l’université en France dans la fabrication quotidienne de nos imaginaires ; aucune image référentielle portant aux nues la noblesse du savoir et de la culture en France. Seules des « images-échos » de 1968 se font jour lorsqu’ici ou là un conflit estudiantin se met en mouvement. Aussi la question se pose-t-elle en ces termes : peut-on remplir d’un nouveau « carburant » le réservoir symbolique des images qui fondent les campus d’aujourd’hui hors de ce retour systématique aux connotations nostalgiques et consensuelles inspirées de ces jolis jours d’un mai agité. Pourtant, le conflit de 68 visait bien à abattre une certaine idée de l’université où mandarinat et estrades « sorbonnisés » étaient les principaux symboles d’une reproduction sociale organisée sur la sanctuarisation du pareil et du même. Pour étendre en la parodiant la terminologie de Bachelard, c’est non seulement une rupture épistémologique qu’il nous faut consommer avec cette université d’avant 68, mais également une rupture imaginative.
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Alors peut-être n’entendrons-nous plus que nos médias ne sont pas intéressés par ce qui se passe à l’université, alors pourra-t-on imaginer que l’université sera le terreau commun où s’inventent toutes les histoires de ceux qui feront la nation et le monde de demain, alors pourra-t-on enfin être fiers d’un cosmopolitisme instruit par la culture et la recherche de l’autre dans et par nos institutions de savoir.
L’université est un rêve que nous devons tous faire, une aventure de vie pour la vie. On peut faire le pari que nous serons tous fiers de sacraliser cette université-là et faire également en conséquence le pari que nos médias dits de service public deviendront alors les premiers promoteurs de l’image de ces lieux de savoirs et de recherche vis à vis desquels ils affichent aujourd’hui un étonnant mépris. On pourra alors faire aussi le pari que le sens d’un service public durable sera restauré le jour où les institutions de service public serviront bel et bien cette éthique qui consiste à se respecter entre elles au nom et pour le respect de celles et ceux qu’elles sont supposées servir.