"être original, c'est essayer de faire comme tout le monde, mais sans y parvenir"...
«Oui, je sais, on peut comprendre ce que je suis rien qu’en regardant ma bibliothèque, mais c’est tout le monde comme ça, non ? De toute façon, j’ai rien à cacher » Les étagères d’Ingrid s’alignent sur deux longueurs de mur dans son deux-pièces de la rue Bourguet à Avignon. Tout y est scrupuleusement rangé par genre sur trois hauteurs : en bas, les ouvrages de théâtre – «tous achetés à la Mémoire du Monde en temps de festival » -, au milieu, les biographies de gens célèbres – «J’aime autant lire la bio de Gérard Philipe que celle de Lady Di ; tous ces people nous apprennent tant de choses sur nous-même et notre époque» -, en haut, les romans sentimentaux – «je possède deux cent cinquante Harlequin, et en tant qu’infirmière de formation, je garde un vrai penchant pour la collection Blanche… Oui, mes amies me demandent souvent ce que tout cela fait ensemble, elles ont du mal à imaginer comment Les illusions comiques d’Olivier Py suscitent autant d’intérêt que Rien ne résiste à l’amour de Rachel Jordan, collection Colombine,… mais je suis sûr qu’Olivier Py, lui, comprendrait… »
Ingrid, qui a quitté la Belgique pour venir travailler à Avignon voici quinze ans, a une manière très singulière de vivre le Festival : le soir, elle ne fréquente que les hauts-lieux du In et un peu le Off quand il accueille des acteurs de renom « comme le fait quelquefois le Chêne Noir avec Caubère ou Brigitte Fossey…» La journée, Ingrid se consacre à une toute autre activité… En effet, lorsqu’elle repère un comédien qu’elle aime paticulièrement programmé dans un spectacle, elle tente d’observer très scrupuleusement comment celui-ci prend ses quartiers d’été à Avignon. Elle le suit discrètement chaque fois que cela est possible pour cartographier heure par heure ses habitudes, « très vite, ils ont leurs routines, fréquentent les mêmes endroits tous les jours, vont acheter leurs journaux chez le même marchand, mènent une vie d’avignonnais,… c’est une ville qui force à cela… ». Ingrid conserve année après années précieusement ces jolis plans aux trajectoires colorées… « voici le plan Auteuil, le plan Huppert, le plan Py, et voici mon préféré, le Samy Frey… Il habitait aussi rue Bourguet, à trois maisons d’ici… C’est aussi ma plus belle réussite car, comme pour chacun d’entre eux, une fois que j’ai bien décrypté leurs trajets, je m’arrange pour croiser leur chemin par « hasard », plusieurs fois par jour, et ça marche, il suffit de trouver le truc, il y a toujours un moment où ils vous recconnaissent et vous abordent pour une raison ou pour une autre… Pour Samy, il ne restait plus qu’un seul exemplaire de son magazine préféré chez le marchand de journaux et j’étais là, juste avant lui pour l’acheter, et me faire une joie de lui offrir contre un café… J’adore cela… »
Ingrid a donné un nom à son passe-temps favori : la fabrique du Vogelpik. Elle considère que la vie est un peu comme ces jeux de fléchette auquel on aime faire croire qu’on gagne par pure coïncidence, alors même qu’on en possède une parfaite maîtrise… Sa version à elle du Jeu de l’amour et du hasard, une pièce qu’elle espère écrire un jour, illustrée par ces jolis plans d’Avignon, une pièce qui pourra trouver sa place sur n’importe quelle étagère de sa bibliothèque…