Pour Marc Nicolas, une âme magnifique, qui savait reconnaître l'autre au premier instant...
Ce qui surprend le plus lorsqu’on écoute avec l’oreille du sociologue des publics, les réactions des salles de cinéma dans lesquelles on projette la toute dernière Star Wars Story – Rogue One —, on remarque que les rires des spectateurs sont provoqués presque à l’exclusive par des robots. Certes, il y a une séquence très drôle où Chirrut Imwe, un personnage aveugle et non dénué d’humour, fait remarquer aux gardes impériaux qui le font prisonnier que c’est sans doute un peu too much de lui mettre un sac de toile sur la tête pour l’empêcher de voir où il sera déféré. Mais, hormis cette scène d’anthologie humoristique qui repose sur l’équivoque d’un handicap intégré et distancier, les rôles de comiques dans cet univers guerrier sont endossés par des non-humains, des droïdes, « socialisés » par et avec ceux qui évoluent du côté de la Rébellion, loin, bien loin des machines disciplinées de «l’Empire». Dans son essai consacré au Rire, le philosophe Bergson observait que «nous rions toutes les fois qu’une personne nous donne l’impression d’une machine ou d’une chose». Et nous devons à un autre philosophe, Alain, la célèbre maxime selon laquelle le rire serait «le propre de l’homme, car – écrit-il — l’esprit s’y délivre des apparences». C’est bien l’esprit à fleur de tôle qui nous est donné à voir avec les robots de Star Wars, du moins, ceux qui apparaissent comme fil rouge d’un film à l’autre ou bien ceux qui emportent la vedette sur l’écran et sur les étales des produits dérivés. On retient leurs noms, en mélangeant un peu les lettres et les chiffres dans un premier temps, puis lorsque la maîtrise est là, on les convoque du fait même de leur pouvoir d’évocation un peu comme un article de loi ou le verset d’une prière : R2D2, C3PO, BB-8, K-2SO. On les loue pour leur caractère dominant : R2D2, petit bagarreur opiniâtre, C3PO, commère protocolaire décalée, BB-8, loyal, déterminé et protecteur, K-2SO, ironique, indulgent et engagé. Les rires que chacun d’eux provoque sont bel et bien délivrés des apparences, et sont le produit inversé de ce qu’énonçait Bergson, car nous rions là chaque fois qu’un droïde nous donne l’impression d’embrasser un caractère humain, très ou trop humain.
L’une des répliques les plus drôles que l’on doit à C3PO dans Rogue One, c’est lorsque celui-ci constatant que les hommes de la Rébellion s’affairent à charger leurs vaisseaux pour quitter d’urgence la planète sur laquelle ils s’étaient réfugiés. Prenant, comme à son habitude son « ami » R2D2 à témoin de la situation, il se scandalise : « tu vois toute cette agitation, et dire que personne n’a pris le temps de nous avertir qu’on partait, vraiment nous sommes bien mal considérés malgré tout ce qu’on fait ! » En réalité, les spectateurs rient de bon cœur à cette réplique parce qu’eux non plus n’ont pas été avertis qu’on quittait la planète, eux aussi ne sont que des témoins passifs de l’action en cours… C3PO fait bien plus qu’un bon mot, il créée un lien de médiation direct avec les publics qu’il se met forcément dans la poche puisqu’au fond, il n’y a que ses publics qui prennent garde à ce qu’il dit. Il ne fait jamais rire personne dans la narration intra -Star Wars. Il est toujours ramené à sa condition robotique, tantôt vendu comme un esclave, tantôt démantelé dans un atelier, on lui coupe la parole lorsqu’il parle trop… Seul le peuple des Ewoks qui vit sur la lune d’Endor va consacrer C3PO comme un véritable dieu doré lorsque les protagonistes échoueront sur cette planète forestière. Au reste, il va acquérir ipso facto le droit de vie ou de mort sur ses camarades de jeu. On comprend là qu’il va jouer un peu de ce droit pour gagner un peu en considération, car en définitive, c’est ce que réclame en permanence C3PO : une petite part de reconnaissance dont il ne comprend pas, en toute sincérité, pourquoi elle ne lui est pas accordée par les humains qu’il accompagne avec un certain sens du dévouement et de la hiérarchie protocolaire ampoulé : « Maître Luke, maître Luke ! » Il n’y a que lui, dès le premier instant pour attribuer ce statut de maître à Luke qui est encore bien loin de deviner quel sera son destin.
C’est paradoxalement en partageant le parti de la Rébellion que les robots, «reprogrammés» pour ne pas obéir servilement, mais pour gagner en initiatives propres, vont finalement conquérir leur reconnaissance, car cette question de la reconnaissance se saurait se réduire à une simple lutte pour la reconnaissance. En partageant avec les Rebelles, la lutte pour des valeurs communes et choisies dans une guerre dont on ne sait combien de temps elle va durer, les droïdes laissent entrevoir ce qui façonne ces âmes fortes, celles qui ont conscience que, dans une lutte, il n’y a pas de délai, pas de prix fixé, pas d’aspect ordinaire et quotidien, que ce que l’on donne n’a pas de valeur en soi, mais devient le symbole d’une relation qui s’établit dans la conviction d’être du bon côté de la Force. De R2D2 à BB-8, de C3PO à l’ironique K-2SO qui nous fera comprendre avant tout les autres protagonistes, ce que signifie le sens du sacrifice pour une institution, les droïdes de Star Wars, en nous faisant souvent rire interpellent directement l’âme de leurs publics en repoussant les limites de leur questionnement à propos de ce qu’eux-mêmes seraient capables de faire ou de ne pas faire dans des situations similaires. Rogue One nous achemine vers des conclusions assez similaires à celle du prix Nobel Amartya Sen, l’économiste indien, lorsqu’il écrit : « l’action d’une personne peut très bien répondre à des considérations qui ne relèvent pas – ou du moins pas entièrement – de son propre bien-être ». C’est là que réside l’ouverture de soi vers une action non égoïste, véritablement sociale. Et ce sont des robots qui nous le rappellent, ces robots qui sont sans doute plus préoccupés d’apprendre à rire ou à pleurer que de faire la guerre. Ne serait-ce pas eux, les véritables dépositaires de la Force, eux les véritables dépositaires de la part la plus humaine de nos âmes, eux qui n’ont de cesse de nous montrer la voie vers ces « états de paix » qui existent bien, là où la reconnaissance mutuelle que nous nous accordons les uns aux autres est non seulement recherchée, mais effective et, plus important encore, vécue.
Ce qui surprend le plus lorsqu’on écoute avec l’oreille du sociologue des publics, les réactions des salles de cinéma dans lesquelles on projette la toute dernière Star Wars Story – Rogue One —, on remarque que les rires des spectateurs sont provoqués presque à l’exclusive par des robots. Certes, il y a une séquence très drôle où Chirrut Imwe, un personnage aveugle et non dénué d’humour, fait remarquer aux gardes impériaux qui le font prisonnier que c’est sans doute un peu too much de lui mettre un sac de toile sur la tête pour l’empêcher de voir où il sera déféré. Mais, hormis cette scène d’anthologie humoristique qui repose sur l’équivoque d’un handicap intégré et distancier, les rôles de comiques dans cet univers guerrier sont endossés par des non-humains, des droïdes, « socialisés » par et avec ceux qui évoluent du côté de la Rébellion, loin, bien loin des machines disciplinées de «l’Empire». Dans son essai consacré au Rire, le philosophe Bergson observait que «nous rions toutes les fois qu’une personne nous donne l’impression d’une machine ou d’une chose». Et nous devons à un autre philosophe, Alain, la célèbre maxime selon laquelle le rire serait «le propre de l’homme, car – écrit-il — l’esprit s’y délivre des apparences». C’est bien l’esprit à fleur de tôle qui nous est donné à voir avec les robots de Star Wars, du moins, ceux qui apparaissent comme fil rouge d’un film à l’autre ou bien ceux qui emportent la vedette sur l’écran et sur les étales des produits dérivés. On retient leurs noms, en mélangeant un peu les lettres et les chiffres dans un premier temps, puis lorsque la maîtrise est là, on les convoque du fait même de leur pouvoir d’évocation un peu comme un article de loi ou le verset d’une prière : R2D2, C3PO, BB-8, K-2SO. On les loue pour leur caractère dominant : R2D2, petit bagarreur opiniâtre, C3PO, commère protocolaire décalée, BB-8, loyal, déterminé et protecteur, K-2SO, ironique, indulgent et engagé. Les rires que chacun d’eux provoque sont bel et bien délivrés des apparences, et sont le produit inversé de ce qu’énonçait Bergson, car nous rions là chaque fois qu’un droïde nous donne l’impression d’embrasser un caractère humain, très ou trop humain.
L’une des répliques les plus drôles que l’on doit à C3PO dans Rogue One, c’est lorsque celui-ci constatant que les hommes de la Rébellion s’affairent à charger leurs vaisseaux pour quitter d’urgence la planète sur laquelle ils s’étaient réfugiés. Prenant, comme à son habitude son « ami » R2D2 à témoin de la situation, il se scandalise : « tu vois toute cette agitation, et dire que personne n’a pris le temps de nous avertir qu’on partait, vraiment nous sommes bien mal considérés malgré tout ce qu’on fait ! » En réalité, les spectateurs rient de bon cœur à cette réplique parce qu’eux non plus n’ont pas été avertis qu’on quittait la planète, eux aussi ne sont que des témoins passifs de l’action en cours… C3PO fait bien plus qu’un bon mot, il créée un lien de médiation direct avec les publics qu’il se met forcément dans la poche puisqu’au fond, il n’y a que ses publics qui prennent garde à ce qu’il dit. Il ne fait jamais rire personne dans la narration intra -Star Wars. Il est toujours ramené à sa condition robotique, tantôt vendu comme un esclave, tantôt démantelé dans un atelier, on lui coupe la parole lorsqu’il parle trop… Seul le peuple des Ewoks qui vit sur la lune d’Endor va consacrer C3PO comme un véritable dieu doré lorsque les protagonistes échoueront sur cette planète forestière. Au reste, il va acquérir ipso facto le droit de vie ou de mort sur ses camarades de jeu. On comprend là qu’il va jouer un peu de ce droit pour gagner un peu en considération, car en définitive, c’est ce que réclame en permanence C3PO : une petite part de reconnaissance dont il ne comprend pas, en toute sincérité, pourquoi elle ne lui est pas accordée par les humains qu’il accompagne avec un certain sens du dévouement et de la hiérarchie protocolaire ampoulé : « Maître Luke, maître Luke ! » Il n’y a que lui, dès le premier instant pour attribuer ce statut de maître à Luke qui est encore bien loin de deviner quel sera son destin.
C’est paradoxalement en partageant le parti de la Rébellion que les robots, «reprogrammés» pour ne pas obéir servilement, mais pour gagner en initiatives propres, vont finalement conquérir leur reconnaissance, car cette question de la reconnaissance se saurait se réduire à une simple lutte pour la reconnaissance. En partageant avec les Rebelles, la lutte pour des valeurs communes et choisies dans une guerre dont on ne sait combien de temps elle va durer, les droïdes laissent entrevoir ce qui façonne ces âmes fortes, celles qui ont conscience que, dans une lutte, il n’y a pas de délai, pas de prix fixé, pas d’aspect ordinaire et quotidien, que ce que l’on donne n’a pas de valeur en soi, mais devient le symbole d’une relation qui s’établit dans la conviction d’être du bon côté de la Force. De R2D2 à BB-8, de C3PO à l’ironique K-2SO qui nous fera comprendre avant tout les autres protagonistes, ce que signifie le sens du sacrifice pour une institution, les droïdes de Star Wars, en nous faisant souvent rire interpellent directement l’âme de leurs publics en repoussant les limites de leur questionnement à propos de ce qu’eux-mêmes seraient capables de faire ou de ne pas faire dans des situations similaires. Rogue One nous achemine vers des conclusions assez similaires à celle du prix Nobel Amartya Sen, l’économiste indien, lorsqu’il écrit : « l’action d’une personne peut très bien répondre à des considérations qui ne relèvent pas – ou du moins pas entièrement – de son propre bien-être ». C’est là que réside l’ouverture de soi vers une action non égoïste, véritablement sociale. Et ce sont des robots qui nous le rappellent, ces robots qui sont sans doute plus préoccupés d’apprendre à rire ou à pleurer que de faire la guerre. Ne serait-ce pas eux, les véritables dépositaires de la Force, eux les véritables dépositaires de la part la plus humaine de nos âmes, eux qui n’ont de cesse de nous montrer la voie vers ces « états de paix » qui existent bien, là où la reconnaissance mutuelle que nous nous accordons les uns aux autres est non seulement recherchée, mais effective et, plus important encore, vécue.