[…] Léonard
Monestier, Antoine Brisebard, Charles Bosquier, Stanislas Lefort, Ludovic
Cruchot, Guillaume Daudray-Lacaze, Victor Pivert :
le nom même que portent les protagonistes qu’interprète Louis de Funès
résonnent comme autant de synonymes étrangement interchangeables ni tout à fait
populaires, ni tout à fait bourgeois. Pire, tous ces noms s’avèrent comme en
attente d’une particule «anoblissante» qui pourrait offrir sans
nulle doute une contenance sociale moins précaire à celui qui les porte. Curieux paradoxe alors même que l’acteur, lui, porte une particule qui ne lui a
jamais permis de dépasser l’incarnation de petits chefs ou de petits patrons autoritaires
parce qu’en réalité en plein doute. Car il est
essentiel de remarquer qu’il n’est pas un rôle dont le spectateur ne comprend
pas très vite que le personnage auquel Louis de Funès le confronte peut
toujours tout perdre sur un coup du sort, une parole de trop ou un écart de
conduite. Il essaie de naviguer à vue en imitant maladroitement les codes de la
grande bourgeoisie ou de la noblesse sans jamais parvenir à les maîtriser et
n’osant jamais revendiquer jusqu’au bout les codes qu’il est lui même en train
de créer. Et ce complexe social le fait apparaître comme illégitime tout autant
dans sa vie professionnelle que dans sa vie privée. Il ne sait jamais comment
satisfaire une épouse qui pense toujours, en fausse naïve, que son « petit
mari » est bien l’homme de la situation sociale «surclassée» à
laquelle elle aspire au nom de toute la famille. Elle devient biche, «sa
biche», «ma biche», une biche qui n’est jamais d’une très
grande aide pour éduquer des enfants en rupture résolue avec toute forme de transmission
familiale traditionnelle. Expression populaire ultime de la consolation qui est
aussi un appel désespéré à la compréhension de ce qu’il est véritablement et
qui ne cesse de ressurgir en lui. Schizophrènes et paranoïaques, si les
personnages de Louis de Funès sont le produit d’un monde qui change, ils
paraissent tous investis d’une énergie qui confine à une quasi-folie lorsqu’elle
devient obsession pour contrer ce que ce changement provoque dans leur vie.
Transparaît alors une conséquence sociologique inexorable au regard de cette
folie-là : quelque soit l’entourage professionnel ou familial dont ils sont
affublés, les personnages de Louis de Funès demeurent des hommes seuls,
désespérément seuls et vulnérables.
[Ce texte dans son intégralité et bien d'autres consacrés à Louis de Funès sont à retrouver dans le Hors-Série de
Télérama consacré à l'acteur et actuellement en kiosque]
[
La grande Table de France Culture du vendredi 1er février 2013 a été entièrement consacrée à Louis de Funès. On peut écouter cette émission en podcast en
cliquant ici]