Dans un article du Monde en date du 25 septembre 2012 et signé Véronique Cauhapé, on découvre comment un concept télévisuel venu d’Allemagne – la "scripted reality" (le "réel scénarisé") – vient s’installer sur nos chaînes comme un genre inédit où «l'existence de M. et Mme Tout-le-monde semble constituer un vivier inépuisable. Le concept ? Prendre des faits divers et des histoires réelles et les faire jouer par des comédiens. Résultat : de petites fictions à l'allure de reportages. De fait, on s'y croirait. Normal. Tout est conçu pour cela. […] Le procédé, malgré quelques nuances de forme, est le même partout. Dans "Au nom de la vérité" (produite par la société d'Arthur, Serenity Fiction, et diffusée sur TF1, à 10 h 20, juste avant "Mon histoire vraie"), "Le jour où tout a basculé" sur France 2 (du lundi au vendredi à 16 h 10), ou dans "Si près de chez vous", sur France 3 (du lundi au vendredi à 13 h 45). On retrouve le même fond de sauce - la fiction - que relèvent par intermittence la voix off et la musique, ronflante et mélodramatique au moindre danger qui plane. "La scripted reality présente de multiples avantages", précise Julien Courbet, dont la société, La Concepteria, produit "Le jour où tout a basculé". "C'est notamment un programme qui ne coûte pas cher et dont chaque épisode nécessite trois jours de tournage seulement. Nous avons en boîte 200 épisodes de 26 minutes. Même si nous nous appliquons à faire des images léchées comme dans un magazine, cela va vite." De fait. Ce nouveau genre qui convient aux cases du matin et de l'après-midi - trop "bon marché" pour les soirées - permet aux chaînes de faire du flux qui devient du stock qui, contrairement aux magazines, peut facilement être rediffusé. Comme n'hésite pas à le dire Julien Courbet, "la scripted reality, c'est un eldorado pour les chaînes". Un mois plus tard sur France Inter, la Ministre de la Culture et de la Communication Aurélie Filippetti déclare "Il faut que le service public fasse des émissions de qualités. Il y a, par exemple, des programmes qui n'ont pas leur place sur les chaines publiques, je pense en particulier à la scripted reality. Cela ne correspond pas aux objectifs du service public". Il est rare qu’une Ministre de la Culture et de la Communication commente les programmes télévisés et cela mérite que l’on s’y attarde car contre toute démagogie de mauvaise foi, nous devons considérer qu’elle est parfaitement dans son rôle : un rôle qui suppose d’avoir une réflexion sur l’usage des deniers publics, un rôle politique averti qui considère qu’au regard de la diversité des proposition télévisuelles – un service public (comme c’est le cas de la BBC dont on n’a de cesse de vanter les mérites et la qualité outre-Manche) doit posséder une vraie charte de qualité qui se différencie de l’ensemble des propositions de toutes les autres chaînes. C'est pourquoi nous avons choisi de formuler cinq arguments livrés clefs en main à destination de ceux qui souhaitent défendre l’idée que la scripted reality – sans doute louable pour des tas de raisons – n’a guère sa place sur les chaînes publiques de la télévision française :
1) à ceux qui pensent que tous les programmes doivent avoir leur place sur l'ensemble des chaînes, il faut expliquer qu'aucune chaîne cryptée à péage n'accepterait d'acheter un programme de scripted reality. Cela entrainerait immédiatement un désabonnement de ses spectateurs. Il n'y a donc aucune raison que l'argent de la redevance audiovisuelle acquittée par l'ensemble des publics français serve à financer des programmes qui n'auraient pas leur place sur le payant. Le service public doit respecter ses spectateurs et l'ensemble de ses publics de façon encore plus exemplaire que ne le ferait une chaîne cryptée à péage. C'est l'éthique même d'un grand service public de création qui ici est en jeu.
2) à ceux qui prétendent que les pseudo-fictions sont un tremplin de production qui fait travailler des auteurs et des acteurs professionnels qui débutent et se servent donc d'une caution sociale cynique pour justifier de la qualité très approximative des programmes de scritped reality, il faut dire qu'il est grand temps de convoquer ces acteurs et auteurs pour les inviter à se réorienter ou changer de métier. D'évidence, il faut que les uns et les autres soient lucides car il ne faut pas confondre faibles moyens déployés pour produire et qualité de création. L'idée de talent est ici totalement absente. Je ne suis pas sûr qu'avoir participé à une scripted reality soit la meilleure caution à offrir pour l'avenir d'une carrière.
3) à ceux qui notent l'importance des audiences enregistrées par de tels programmes, il faut dire que "oui", cela fait de l'audience. Mieux, on programme un tas d'extraits de ces programmes dans nombre de talk shows, non pas pour en souligner la qualité ou la singularité créative, mais pour se moquer ouvertement du jeu des acteurs et du niveau très approximatif des dialogues. Bref pour en rire. Or le service public doit nous permettre de rire ensemble mais pas au détriment d'acteurs ou de créateurs qui seraient médiocres ou débutants. Là encore, c'est une question morale et politique.
4) à ceux qui nous expliquent que pour justifier la médiocrité que ces programmes de scripted reality sont faits en deux jours car l'argent de la production ne permet pas de faire mieux, il faut leur faire comprendre définitivement que cet argument est inacceptable ! Imaginent-ils ce que ce serait un garagiste qui reboulonnerait vite fait les roues d'une voiture parce que son temps serait compté ou bien un chirurgien qui bâclerait une opération à coeur ouvert au prétexte qu'il n'aurait que dix minutes pour faire son travail ou bien que son client aurait des moyens limités. Là encore, la dignité d'un service public de qualité pour tous doit être défendue.
5) à ceux qui pensent que ces programmes sont d'utilité publique parce que les gens ont besoin d'une télé-miroir qui les aident à mieux appréhender leur quotidien, il faut dire que ce qui nous est montré n'a rien d'exemplaire, que ce serait bien la première fois que la médiocrité du quotidien des autres nous aideraient à vivre mieux, qu'elle maintient une vision du monde appauvrie et qu'un service public se doit de créer, d'innover, de fédérer sur l'exaltation de valeurs et de faits qui nous font rêver ou qui nous élèvent, que s'il peut être amusant de faire de l'audience avec le médiocre, il est nécessaire de laisser cette spécificité de la scripted reality aux chaînes privées comme cela a été le cas pour la télé réalité car l'argent public de la redevance est trop précieux pour être sacrifié dans des fictions presqu'imparfaites.
[Prolonger la lecture de cet article en écoutant le Grand débat d'Europe 1 du 8 novembre 2012 en cliquant ici]
Les événements relatés ici se sont vraiment déroulés et les personnes décrites ont toutes existé même si quelquefois elles semblent avoir quelque(s) ressemblance(s) avec des personnages imaginaires qui, comme le cinéma, nous aident "à préserver notre foi dans nos désirs d’un monde éclairé, face aux compromis que nous passons avec la manière dont le monde existe..."
09 novembre 2012
06 novembre 2012
DANS LA PEAU DE LOUIS DE FUNES…
Au début de l’année 2012, la chancelière allemande Angela Merkel décide d’apporter son soutien à Nicolas Sarkozy pour un second mandat à l’Élysée. Or, cette déclaration ne manque pas surprendre et ce, pour deux raisons. D’une part, le président en place ne s’est pas encore à l’époque porté officiellement candidat. D’autre part, ce que tout le monde garde en tête, c’est le souvenir d’une relation originelle entre les deux chefs d’État plutôt trempée de zizanie et d’incompréhension que d’harmonie et d’allégeance. « Président Duracell » ! C’est en effet de cette manière que la chancelière allemande qualifie Nicolas Sarkozy à l’issue de leurs toutes premières rencontres du fait de ce trop-plein d’énergie qui le rend, selon elle, difficilement cernable. Cependant, les choses se mettent à changer peu à peu à partir du début de l’année 2009. Entre-temps, le magazine d’enquête et d’investigation Der Spiegel nous apprend que Joachim Sauer, le mari d’Angela Merkel, vient de lui offrir pour Noël des vidéos de Louis de Funès afin de l’aider à préparer ses futures rencontres avec le président français. Le site de Paris Match va encore plus loin prétendant qu’Angela Merkel «se fait projeter des films avec Louis de Funès pour comprendre quelque chose à ces français qui gigotent sans cesse». Peut-on l’imaginer : Louis de Funès propulsé au cœur de la diplomatie européenne pour favoriser le dialogue franco-allemand ? Car c’est bien de cela dont il s’agit. Au-delà même de l’anecdote qui prête à sourire, les gestes et les attitudes de l’ancien président de la république française paraissent se synchroniser si justement avec tant de gestes et d’attitudes de Louis de Funès que c’est bien – on peut le penser - ce qui va inciter Angela Merkel à traquer dans quelques films populaires de notre patrimoine national ce qui lui échappe le plus : ce qui se produit lorsque Nicolas Sarkozy semble se glisser dans la peau d’un comique français dont le succès fût culminant à la fin des Trente glorieuses.
(Extrait d'un article à paraître prochainement dans un numéro de Télérama Hors-série consacré à l'acteur Louis de Funès)
(Extrait d'un article à paraître prochainement dans un numéro de Télérama Hors-série consacré à l'acteur Louis de Funès)
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