Malgré leur art consommé de l’énoncé sentencieux et de la réplique cinglante recherchés dans la comédie de qualité anglo-saxonne, il n’y a, parmi tous les ouvrages de David Lodge, à ce jour, que Thérapie qui a fait l’objet d’une adaptation à l’écran et ce, à la télévision, sous la forme d’un sitcom intitulé Les Mésaventures de Lawrence Passmore. Sans doute est-ce précisément parce que ses personnages sont par trop bavards et que ce trop-plein de bavardages - qui fait aussi tout l’intérêt de ses récits - se prête difficilement aux attendus d’une transposition cinématographique. Bien qu’ils soient donc majoritairement demeurés dans la sphère de la littérature, il est utile de lire les romans de David Lodge pour comprendre comment se déploie, de façon plus que dans tout autre roman universitaire, l’ensemble des composantes et des thèmes qui constituent la charpente et qui fondent la singularité des grands films de campus. Cette singularité tient avant tout au fait que les Campus Novels de Lodge, tout comme les films de campus, supposent que leurs lecteurs ou leurs spectateurs acquièrent un plus ou moins grand nombre de notions spécifiques et relatives au milieu universitaire, notions distillées tout au long du récit et qui les autorisent à participer pleinement à l’histoire qui leur est proposé.
Point commun entre les films de campus et les films judiciaires, cette part de contenu spécialisé constitue le soubassement de ce que l’on appelle des F.A.S.P., des «fictions à substrat professionnel» . En ce sens, l’un des schémas narratifs les plus classiques des films de campus est celui qui permet à un spectateur qui ne serait jamais allé à l’université de découvrir ce «substrat professionnel» en même temps que le protagoniste principal du récit tel l’étudiant qui découvre les règles en vigueur dans l’établissement dans lequel il vient de s’inscrire. La F.A.S.P. universitaire vise à instruire ses publics sur ce que sont une soutenance de thèse, une évaluation terminale, les milles et une astuces pour décrocher une bourse, les « grandes » et les «petites» universités, le fonctionnement d’un conseil de discipline, le style de vie collectif auquel les études nous confrontent, les rivalités entre chercheurs, les relations entre pairs, entre étudiants et professeurs, etc... Cela peut aller jusqu’à la manière dont une université ou une équipe de recherche décrochent des crédits de fonctionnement auprès d’anciens étudiants ou, mieux encore, de mécènes impliqués pour des raisons qui vont être tantôt nobles, tantôt troubles.
Sans la maîtrise de ce substrat professionnel, il sera, par exemple, difficile au lecteur ou au spectateur de prendre du plaisir à partager les échanges entre chercheurs tels que nous les propose David Lodge dans Un tout petit monde. Celui qui suit met en scène Persse McGarrigle, jeune professeur d’anglais dans une université irlandaise et Dempsey, chercheur en informatique qui veut s’imposer dans le monde de la linguistique grâce à un programme censé simuler les dialogues humains. Ce dernier cherche ainsi à démontrer que les machines sont des auxiliaires indispensables pour étudier le langage et que sa recherche, déclinable sur toutes les questions littéraires et sociologiques, mérite à la fois le plus grand intérêt et les meilleurs financements possibles :
« - Quelle est votre spécialité McGarrigle ?
- Heu, j'ai fait ma recherche sur Shakespeare et T.S. Eliot, dit Persse
- J'aurais pu vous aider dans ce domaine dit Demsey, s'immisçant dans la conversation.[…] C'est un sujet idéal à informatiser, poursuivit Dempsey, vous n'auriez qu'une chose à faire, mettre les textes sur bandes et l'ordinateur vous donnerait la liste de tous les mots et de toutes les constructions syntaxiques que les deux écrivains ont en commun. Vous pourriez ainsi quantifier de manière précise l'influence de Shakespeare sur T.S.Eliot.
- Mais ce n'est pas le sujet de mon mémoire, dit Persse. Il porte sur l'influence de T.S Eliot sur Shakespeare.
[Plus tard, Persse rapporte à Angelica une étudiante dont il est tombé amoureux la conversation qu'il vient d'avoir avec Dempsey :]
-J'ai inversé les choses au dernier moment rien que pour rabattre le caquet à ce petit coq de Dempsey!
- en fait c'est une bien meilleure idée.
- me voilà bon pour écrire ce livre maintenant, dit Persse. »
[À retrouver dans une version développée dans Films de Campus, l'université au cinéma par Emmanuel Ethis et Damien Malinas à paraître prochainement chez Armand Colin]
Les événements relatés ici se sont vraiment déroulés et les personnes décrites ont toutes existé même si quelquefois elles semblent avoir quelque(s) ressemblance(s) avec des personnages imaginaires qui, comme le cinéma, nous aident "à préserver notre foi dans nos désirs d’un monde éclairé, face aux compromis que nous passons avec la manière dont le monde existe..."