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Emmanuel Ethis est sociologue du cinéma. Il consacre ses recherches à la réception des films, à l’étude des publics et à la sociologie des comédiens et des stars. Selon lui, « un acteur passe derrière la caméra pour réaliser, mais souvent aussi pour écrire. Ce n’est pas étonnant. C’est quelque chose de logique, pour lui, de faire passer par les autres ce qu’il souhaite exprimer. Par exemple, Agnès Jaoui a le même type de personnage dans les films qu’elle écrit que dans ceux d’Alain Resnais, en plus fouillé. Je pense aussi à Sophie Marceau dans La disparue de Deauville. C’est l’occasion d’aller plus loin dans l’expression de la complexité humaine, qu’un acteur de cinéma connaît très bien.»
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Ce n’est pas toujours le cas. Zabou Breitman affirme ne pas aimer jouer dans ses propres films et Nicole Garcia n’apparaît jamais dans ses réalisations. Quant à Sophie Marceau, elle a d’abord mis en scène dans un court métrage et son tout premier film (les deux très au- tobiographiques) celle qui pourrait être un double féminin, Judith Godrèche. Mais, c’est Marceau qui tient le rôle ve- dette de La disparue de Deauville, son dernier film en tant que réalisatrice..Malgré le cumul, les actrices-réalisa- trices font bien la distinction entre les deux métiers, comme l’explique Géraldine Nakache. « J’aime beaucoup faire l’actrice: je m’abandonne au regard d’un metteur en scène et c’est très agréable. Raconter les histoires des autres me plaît beaucoup [...]. Écrire et mettre en scène un film est un travail différent, plus plein, plus “rond”. Diriger des comédiens reste le plus grand des plaisirs pour moi.» Elle ajoute : « Sur le plateau de Tout ce qui brille, c’est Hervé Mimran qui me dirigeait en permanence. Il était essentiel que j’ai un regard posé sur moi, sinon tu t’oublies vite et tu restes focalisée sur le jeu de tes comédiens.»
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Emmanuel Ethis analyse : « Les acteurs qui passent derrière la caméra vont très vite parler du cinéma et ainsi porter leur propre regard sur le septième art. C’est une façon de se faire accepter en tant qu’auteur. D’être dans l’autocritique, dire qu’on ne se prend pas au sérieux.» Le sociologue poursuit : « Ce qui va être intéressant, c’est d’analyser le sujet de leur troisième film ! La réalisation est un parcours : on parle de soi, du cinéma et puis du monde. On attend de ces femmes qu’elles affrontent ces épreuves, comme des marches à franchir pour pouvoir faire du cinéma.» Déjà, pour passer à la réalisation, il faut trouver l’impulsion. Parfois elle vient de l’extérieur. C’est l’acteur Xavier Gélin qui a soufflé l’idée à Zabou Breitman. Isabelle Mergault, elle, explique que l’initiative vient de l’acteur et réalisateur Michel Blanc, à qui elle avait soumis le scénario de Je vous trouve très beau. Il l’a encouragée : « Mais si, ne t’inquiète pas ! Tout le monde peut le faire. Ce qui est dur, c’est d’écrire... » Isabelle Mergault ajoute : « Il avait raison. Le plus dur était fait. En ce moment, par exemple, je suis en train d’écrire et je suis toute seule. C’est difficile. Quand je réalise, finalement c’est facile, je suis comme un grand couturier, il y a plein de petites mains pour m’aider.»
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Pour une actrice, même si elle ne passe pas encore à l’acte, l’envie de réalisation est souvent là. Aure Atika, qui sera en 2011 à l’affiche du film Le Skylab, de Julie Delpy, explique sur son site Internet qu’elle a écrit et réalisé deux courts mé- trages, À quoi ça sert de voter écolo? et De l’amour, pour « se donner une colonne vertébrale ». Elle ajoute : « Maintenant, je me suis donné le devoir et le plaisir de passer au long.» Mais la bascule ne se fait pas toujours. Question d’envie, de circonstances. Il y a aussi des actrices qui réaliseront dans leur vie un film, ou deux, pour ensuite s’en tenir à leur carrière de comédienne déjà bien remplie. C’est le cas d’une personnalité très connue en France : Jeanne Moreau. Durant sa carrière, elle a réalisé deux films et un documentaire. Le premier, Lumière, évoque... l’univers du cinéma à travers trois portraits de femmes. Et dans ce film, Jeanne Moreau tient un des rôles principaux.
(Cette enquête a été réalisée par Laure-Élisabeth Bourdaud / Elle est à retrouver en intégralité dans le magazine Muze du premier trimestre 2011)