«L'histoire humaine est par essence l'histoire des idées.»
H.G. Wells, The outline of history
Depuis le 6 novembre 2010, une rumeur enflamme le web. On aurait trouvé une preuve que les voyages dans le temps existent! C’est George Clarke, un réalisateur irlandais, qui a mis au jour ladite preuve en regardant de près les bonus du DVD qui présentent le «making-of» du film The Circus de Charlie Chaplin tourné en 1928. En effet, Chaplin avait pris soin à l’époque de filmer ceux qui se rendaient à la première projection de son film. L’historien Marc Ferro a longtemps défendu le fait qu’il nous fallait considérer les images documentaires comme des sources incontournables pour interpréter le passé. On a pu grâce à ce dernier constaté que le peuple des campagnes allemandes ne se prenait jamais pris au sérieux lorsqu’il devait saluer le Führer. Des rires étouffés suivaient souvent le salut. Sans l’examen détaillé de ces images, on aurait pu croire, précise Marc Ferro, que ce peuple entier croyait en ses gestes et aux significations qui les accompagnaient. Les films documentaires nous apportent la preuve que non.
C’est à un exercice du même ordre auquel s’est livré George Clarke avec le making-of documentaire de Chaplin. On peut découvrir, au reste, son interprétation sur YouTube (en cliquant ici). Clarke attire notre attention sur une dame avec un chapeau enfoncé très bas sur la tête. Elle est présente quelques instants à l’image. Elle traverse le cadre en passant entre l’affiche du film de Chaplin et un magnifique zèbre factice. La dame serre un objet contre son oreille et semble parler en même temps qu'elle marche. Ni une, ni deux, George Clarke reconnaît là toute la gestuelle qui nous anime aujourd’hui lorsque nous téléphonons dans la rue. Un geste d’aujourd’hui transposé en 1928! Et c’est sur cette observation juste, mais décontextualisée, que Clarke nous invite à imaginer que cette dame est bien une dame d’aujourd’hui filmée inopinément par la caméra Chaplin. Grâce à l’on ne sait quelle machine, cette dernière, animée d’une curiosité sans faille, se serait projetée dans le temps pour aller voir – nous connaissons le goût de certains passionnés pour cette pratique compulsive – la «vraie» première de Circus.
Même s’il s’agit d’un gag, on observe combien Clark argumente et distille une véritable force de conviction pour nous amener vers l’interprétation du voyage dans le temps. On le sait, une image doublée d’un bon argumentaire nous ferait croire n’importe quoi. L’actualité nous le prouve chaque jour. Pourtant, cela fait le buzz auprès des internautes dont bon nombre semblent sérieusement adhérer à la version dudit voyage dans le temps. On oublie trop souvent, de la sorte, qu’une image n’est pas seulement reçue dans un espace de perception fait du "voir" et du "dit" ou du "commenté". Une image est toujours reçue avec ce que l’on a aussi envie d’y voir, d’y croire, d’y imaginer. Et l’on ne peut répondre là à l’imagination qu’avec l’imagination. Aussi pour éprouver durablement la thèse de Clarke, il nous faut nous rappeler des premiers d’entre nous à avoir téléphoné dans la rue. Ils étaient observés par tous, on s’en éloignait, gênés, comme l’on est gênés par celui qui a bu plus que les autres autour d’une tablée. Ce n’est pas le cas ici. Enfin, il nous faudrait imaginer pour créditer Clark que les communications téléphoniques permettraient des conversations qui ne courent pas seulement dans l'espace mais aussi dans le temps, d’une époque à une autre et que les antennes relais seraient installées à notre insu depuis au moins le début du siècle dernier. Par conséquent, la seule question qui mériterait d’être posée au visionnage de ce petit film est la suivante : si elle était bel et bien une adepte des voyages dans le temps en provenance de notre présent (voire de notre proche avenir), alors à qui donc cette dame au chapeau pouvait-elle téléphoner en 1928 ?
(Pour information, l’Unesco proposera les 16 et 17 décembre 2010 à Paris un colloque intitulé Fantômes, Monstres et autres passagers clandestins : cette part de nous-mêmes qui nous échappe).
Les événements relatés ici se sont vraiment déroulés et les personnes décrites ont toutes existé même si quelquefois elles semblent avoir quelque(s) ressemblance(s) avec des personnages imaginaires qui, comme le cinéma, nous aident "à préserver notre foi dans nos désirs d’un monde éclairé, face aux compromis que nous passons avec la manière dont le monde existe..."
14 novembre 2010
04 novembre 2010
CULTURE et UNIVERSITÉ : le rapport officiel en version téléchargeable
Vous trouverez en cliquant ici la version intégrale, téléchargeable et gratuite du rapport officiel de la Commission Culture et Université intitulé De la Culture à l'Université, 128 propositions édité chez Armand Colin.
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