À tous ceux qui n'ont jamais laissé passer leurs rêves
Mai 2000. Premier Festival de Cannes du XIXième siècle. Ça y est. Sylviane est en poste. En bas des marches dès le premier jour pour la montée de Vatel. Une place stratégique toujours au premier rang derrière la barrière la plus proche du fameux « tapis de maître-autel ». Sylviane est catholique. Elle possède un vocabulaire liturgique, « le plus approprié » selon elle pour décrire la scène cannoise. Sa place, c’est sa Tatie cannoise qui la lui réserve. Sa tatie, elle vient presque tous les jours rejoindre ses copines du troisième âge en transat pour « faire le siège » du Palais. « elle est chouette tatie, elle reconnaît plus une star sur vingt, sans doute une question de génération ou de lunettes, mais au fond, je crois qu’elle s’en foût ; elle est là pour l’ambiance, pour entretenir son petit coin de festival à elle ; elle ignore crânement ce qui se passe autour d’elle, et moi, tous les soirs à 18h20 précises, grâce à elle, je suis sûre d’avoir ma place ». Sylviane est originaire de Bordeaux ; c’est chez sa Tatie de Cannes, qu’étudiante, elle vient passer ses vacances et c’est là qu’est née sa vocation, en 1973 précisément. À l’époque, trop véléitaire pour devenir médecin, elle potassait tranquillement à Cannes pour le concours d’infirmières. Un soir, à l’invite de Tatie, elle se rend au Palais pour la montée de La Grande Bouffe de Ferreri. Elle se souvient surtout de Florence Giorgetti et de son regard splendide et lumineux. Juste après la montée des stars, quelqu’un a eu un malaise en bas de l’escalier. On a demandé un médecin et elle s’est précipitée. Elle n’était qu’infirmière, mais « c’était déjà ça ». Et, ce sentiment d’utilité du premier soir s’est converti en nécessité. Ainsi, c’est à Cannes, dit-elle, qu’elle a trouvé le courage et la force définitive de devenir médecin.
Depuis, Sylviane suit avec attention les parcours de Giogetti, de Ferréol, mais surtout de Philippe Noiret, son préféré : « lui, il m’émeut et m’impressione, je me souviendrais toujours de ses mots puissants pour défendre le film de Ferreri : « la vraie vulgarité, c’est Sheila et Ringo ». Ah, il était fort Noiret ». Depuis, Sylviane retrouve comme chaque année sa place, « son poste », un poste qu’elle n’abandonnerait sous aucun prétexte (elle a déjà refusé au moins 50 invitations à monter les marches) : « on ne sait jamais, tout peut arriver ici ; ce que je sais c’est qu’aujourd’hui si quelqu’un tombe dans ces marches-là et que le fameux couplet du « Est-ce qu’il y a un médecin dans l’assistance » est lâché, j’aurais toute légimité à intervenir ». Sylviane avoue sereinement que même si elle ne lui souhaite aucun mal, elle aimerait bien un jour secourir Noiret… Comme d’autres formes d’expressions empreintes de religiosité, pour fonctionner Cannes, c’est aussi cela, une fabrique du « faire-croire » où beaucoup de spectateurs, à l’image de Sylviane, nourrissent bien plus qu’un espoir : la conviction profonde qu’un jour, ils deviendront « l’élu ».