Bout-en-train pourtant tristes qui m’ont laissé un sourire
Comme le plus précieux des souvenirs, enfin pour finir
Si toi aussi t’en fais partie, je t’dirais
Que je survis à ton absence seulement car elle me rappelle ta présence"
C-Sen, J’te dirais
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Sans doute les rencontres avec Alzheimer – mais il en va souvent de même avec un proche atteint d’un cancer ou d’un handicap - nous rappelle-t-elle plus que toute autre rencontre au fait que « le normal et le stigmatisé ne sont pas des personnes mais des points de vue », comme l’a souligné à maintes reprises le sociologue américain Erving Goffman. Ce que s’évertue à nous montrer ce dernier, c’est combien nous ne sommes pas définis par ce que nous pensons être notre « identité », mais plutôt par les différentes gestions de notre identité soumises à ces situations frangées et lourdes d'un impensé sociologique qui se révèlent à l’aune de notre rencontre avec ceux que nous sommes amenés à considérer comme des « stigmatisés ». Au sens large, le stigmatisé désigne un individu frappé d'infamie. Le stigmate n'est pas en soi un concept, mais définit plutôt le cadre catégoriel de l'expérience. Alzheimer nous conduit donc à éprouver la relation qui résulte du discrédit attaché à un proche porteur d'un attribut qui le différencie de l'idée du stéréotype forgé tant dans l’intimité que dans le monde social que nous partagions avec lui. En ce sens, la mise en présence normal-stigmatisé dévoile frontalement les exigences que nous avons d’autrui. Et c’est ainsi que l'inconfort soudain vient souligner le rôle souterrain, mais surtout l'ampleur de ces attentes normatives qui nous façonnent et qui façonnent notre regard sur l’autre, le proche, le lointain. De fait, Alzheimer comme le cancer ou le handicap nous laissent entrevoir comment agissent en nous toutes ces petites hypothèses que nous faisions et que nous continuons à faire sur la nature humaine sans même nous en rendre compte.
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Les photos d’Alix de Montaigu répondent en partie à cette question en nous ouvrant une brèche lumineuse sur ces centres de beauté en hospital destinés à tous ceux qui souffrent. Des professionnels de l’esthétique vont, au-delà des soins, rendre aux Alzheimer une part digne de leur identité sociale . Ces gestes simples et attentionnés viennent magnifier les regards, les sourires, les moments de calme que guettent tous ceux qui rendent visite à leurs proches malades. Ces gestes simples sont autant de réduction d’espace entre tous stigmates et la part de familiarité que l’on aimerait tant trouver derrière chacun d’eux. Ces gestes simples rappellent à notre propre mémoire une image vertueuse de ceux qu’on aime et notre mémoire aussi se surprend alors quelquefois à rêver. Pour aimer encore. On se surprend à recevoir une leçon d’humanité de celui ou celle dont on ne pensait ne plus rien pouvoir attendre. Un jeu s'inscrit dans un non-dit partagé que l’on doit garder présent à l'esprit car ces mémoires qui se mettent à rêver, loin de réformer nos postures mutuelles d'approche, active en les révisant nos conceptions de l'ordinaire social. Et, c’est ici et maintenant que chacune de ces images vient nous rappeler que la différence de l’autre n'importerait guère si elle n'avait d'abord été collectivement pensée pour agir avec force sur notre conception d’un monde qu’on dit « social » .