À Walter Salles, France Gall, Jean-Claude Passeron, Marie-Hélène, Damien, Virginie, Nono, Philippe, Nathalie, Gianni et mes autres chers chers doctorants...
Dans le cadre d’une conversation qui réunit plusieurs personnes, il n’est pas rare, qu’à un moment ou un autre, elles se mettent à parler de cinéma. Et, il n’est pas nécessaire pour cela qu’elles soient animées d’une passion particulière pour le septième art. Si le cinéma apparaît un peu comme le marronnier de nos conversations à plusieurs, c’est avant tout parce qu’il réunit les qualités d’un sujet propre à servir les trois principales «lois morales de la démocratie conversationnelle» (cf. La Conversation de François Flahault dans la collection Autrement).
Première loi, celle du «tour de rôle» : il faut que la parole circule pour que chacun puisse prendre plaisir - et donc part - à la conversation.
Des questions du type «Au fait, c’est quoi ton film préféré ?» ou «Et toi, c’est quoi le dernier film que tu es allé voir ?» autorisent cette circulation de la parole, mais suscitent également l’écoute des différents interlocuteurs car elles permettent de mesurer des affinités en matière de goûts. La deuxième loi morale de l’art de la conversation suppose que chacun puisse distinguer dans les paroles de l’autre, surtout lorsque naît la controverse, ce qui constitue un enjeu. Deux enjeux habitent généralement les conversations : le premier est purement argumentatif et équivaut à se montrer zélé sur ce dont on parle pour animer le débat ; le second est plus profond et consiste à s’affirmer soi-même au milieu des autres afin de faire reconnaître sa propre existence. Là encore, le cinéma représente un merveilleux sujet car l’on peut, d’une part, débattre avec passion des qualités techniques ou artistique d’un film, se prononcer en accord ou en désaccord avec les critiques qu’il a suscitées et, d’autre part, déclarer sans difficulté que Carnets de voyages de Walter Salles ou Le limier de Joseph Mankiewicz sont des films qui ont beaucoup compté dans notre « carrière » de spectateur : il est aisé de discerner là ce qui est offert à la discussion de ce qui relève d’une affirmation de soi. La troisième et dernière loi morale de la conversation « s’applique aux sujets de conversation ainsi qu’au langage utilisé pour les aborder : ceux-ci, dans la mesure du possible doivent convenir à tous ceux qui participent à la conversation ». Il y a toujours malaise dans la conversation lorsque l’on se sent incapable de placer un seul mot, soit parce qu’on se sent culturellement déficient, soit parce que le vocabulaire requis ne semble pas à notre portée. Or, il n’y a statistiquement quasiment aucune chance de rencontrer quelqu’un qui n’aurait jamais vu de film de cinéma et qui, donc, serait dans l’incapacité de trouver quelque chose à en dire. Et, quand bien même un tel individu existerait, il devrait être à ce point résistant à la chose cinématographique que cela justifierait en soi d’entamer avec lui une conversation sur le sujet.