05 août 2014

BOYHOOD, La captation de nos gloires invisibles

«Je vous livre le secret des secrets, les miroirs sont les portes par lesquelles la mort vient et va. […] Du reste, regardez-vous toute votre vie dans un miroir et vous verrez la mort travailler comme les abeilles dans une ruche en verre.» (Jean Cocteau)




C’est souvent lorsque nous sommes devenus trop vieux pour les revivre que nous repensons à tous ces moments, en apparence insignifiants, qui ont forgé nos vies. Nos mémoires se mettent à rêver et se jouent de nous en nous ramenant à ce fil tenu qui relie entre elles ces images qui nous ont marqué, invisibles sur le coup car trempés de banalité quotidienne, mais indéfectiblement installées en nous comme autant d’instants de gloire. Nos gloires quotidiennes – même les plus banales – sont toujours exceptionnelles. Ce qui fait exception d’ailleurs – c’est presque un paradoxe -, c’est tout ce qu’elles ont de commun, de rituellement et de socialement commun, de partageable, de racontable. 

En 1930, dans Opium, Journal de désintoxication, Jean Cocteau écrit qu’il n’est pas impossible que le cinéma puisse «un jour filmer l’invisible, le rendre visible, le ramener à notre rythme, comme il ramène à notre rythme la gesticulation des fleurs.» En montrant comment les années et les saisons viennent s’imprimer sur le visage des héros de Boyhood, et ce sans faire appel aux artifices du maquillage ou des techniques numériques c’est-à-dire en choisissant de filmer ses personnages véritablement durant douze ans, le cinéaste Richard Linklater nous tend un miroir mystérieux à la fois fascinant, dérangeant et captivant. Même s’il s’agit d’une fiction qui met en scène la vie d’une famille d’Américains moyens au début des années 2000, le temps qui passe semble ici nous rappeler à cette réalité qui fait toujrous de lui le grand gagnant dans le rapport de force qu’il impose à la destinée de chacun d’entre nous. 


C’est en ce sens que ce film nous tend un miroir documentaire qui prend peu à peu le pas sur le caractère fictionnel pour nous prendre in fine  à partie, nous spectateurs, à propos de la synthèse que nous pourrions dresser de nos propres vies et des patères mémorielles sur lesquels nous accrochons nos souvenirs. Ces patères sont souvent ce que, sur le moment, nous appelons des coïncidences, des situations qui auraient pu tourner autrement et sur lesquelles nous n’avons pas eu prises, des hasards que nous habillons parfois de nos superstitions. C’est là que réside l’intensité quasi-hypnotique qui se dégage du cinéma de Richard Linklater, on pourrait dire du cinéma tout court. En effet, ce qu’il nous montre, ce sont toutes ces « boucles déployantes » qui relient le cinéma à la vie, un peu comme si le cinéma n’était avant tout que des souvenirs de vacances et du quotidien que l’on souhaite conserver et qui seraient filmés avec talent, c’est-à-dire avec quelques contraintes esthétiques tenues avec assez de fermeté pour nous laisser penser qu’elles reflètent, pour leur part, la conscience que nous avons du monde.