02 août 2013

L'AURA, un lointain toujours à découvrir...


Laura d'Otto Preminger (USA, 1944)

L’aura d’une œuvre, pour reprendre le vocable de Walter Benjamin, c’est cette « unique apparition d’un lointain, aussi proche soit-il, capable de faire lever le regard ». Dans son essai de 1936, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, le philosophe explique que ce lointain subornait jusqu’alors les possibles d’une relation à l’œuvre à l’ordre d’une contemplation quasi-religieuse. Dès lors, il conçoit la reproductibilité technique des œuvres comme une alternative pour liquider ce résidu cultuel, une façon pour les auteurs d’atteindre une maturité plus politique que mystique. À la lecture de Benjamin, l’on comprend que cette option - qu’il appelle de ses vœux et qu’il présente avec le cinéma comme un aboutissement nécessaire et logique dans l’histoire des formes artistiques – n’est pas facile à atteindre : «pour la première fois, écrit-il, - et c’est l’œuvre du cinéma – l’homme doit agir, avec toute sa personne vivante assurément, et cependant privé d’aura. Car son aura dépend de son ici et de son maintenant ; Elle ne souffre aucune reproduction. Au théâtre, l’aura de Macbeth est inséparable de l’acteur qui joue ce rôle, telle que la sent le public vivant. La prise de vue en studio a ceci de particulier qu’elle substitue l’appareil au public. L’aura des interprètes ne peut que disparaître – et avec elle, celle des personnages qu’ils représentent»[1]. Le philosophe met lui-même en avant les limites de son raisonnement en dénonçant et en disqualifiant la pseudo-aura des «idôles» qui caractérise deux  figures d’exception : les dictateurs et les stars. N’en déplaise à Benjamin, l’aura n’a pas fondu, au sens où il l’entendait, avec la diversification et l’accroissement de la production cinématographique. Mieux, ce phénomène de l’aura, très justement pointé par Benjamin, semble s’être nourri des évolutions techniques pour se métamorphoser et se raffiner afin de répondre par le biais d’une démultiplication esthétique aux aspirations imaginaires de publics spécifiques. L’aura fonctionne tel un mécanisme subtilement incorporé à l’œuvre. Souvent, mais pas nécessairement relayée par la figure incarnée de l’acteur, elle rayonne pour réaffirmer une présence de ce lointain toujours à découvrir.




[1]  Walter Benjamin, « L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », in Poésie et Révolution , Denoël, Paris, 1971, p. 105.