Laura d'Otto Preminger (USA, 1944) |
L’aura d’une œuvre, pour
reprendre le vocable de Walter Benjamin, c’est cette « unique apparition d’un lointain, aussi
proche soit-il, capable de faire lever le regard ». Dans son essai de
1936, L’œuvre d’art à l’époque de sa
reproductibilité technique, le philosophe explique que ce lointain
subornait jusqu’alors les possibles d’une relation à l’œuvre à l’ordre d’une
contemplation quasi-religieuse. Dès lors, il conçoit la reproductibilité
technique des œuvres comme une alternative pour liquider ce résidu cultuel, une
façon pour les auteurs d’atteindre une maturité plus politique que mystique. À
la lecture de Benjamin, l’on comprend que cette option - qu’il appelle de ses
vœux et qu’il présente avec le cinéma comme un aboutissement nécessaire et
logique dans l’histoire des formes artistiques – n’est pas facile à
atteindre : «pour la première
fois, écrit-il, - et c’est l’œuvre du
cinéma – l’homme doit agir, avec toute sa personne vivante assurément, et
cependant privé d’aura. Car son aura dépend de son ici et de son
maintenant ; Elle ne souffre aucune reproduction. Au théâtre, l’aura de
Macbeth est inséparable de l’acteur qui joue ce rôle, telle que la sent le
public vivant. La prise de vue en studio a ceci de particulier qu’elle
substitue l’appareil au public. L’aura des interprètes ne peut que disparaître
– et avec elle, celle des personnages qu’ils représentent»[1]. Le philosophe met lui-même en avant les limites de son
raisonnement en dénonçant et en disqualifiant la pseudo-aura des
«idôles» qui caractérise deux
figures d’exception : les dictateurs et les stars. N’en déplaise à
Benjamin, l’aura n’a pas fondu, au sens où il l’entendait, avec la
diversification et l’accroissement de la production cinématographique. Mieux,
ce phénomène de l’aura, très justement pointé par Benjamin, semble s’être
nourri des évolutions techniques pour se métamorphoser et se raffiner afin de
répondre par le biais d’une démultiplication esthétique aux aspirations imaginaires
de publics spécifiques. L’aura fonctionne tel un mécanisme subtilement
incorporé à l’œuvre. Souvent, mais pas nécessairement relayée par la figure
incarnée de l’acteur, elle rayonne pour réaffirmer une présence de ce lointain
toujours à découvrir.
[1] Walter Benjamin,
« L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », in Poésie
et Révolution , Denoël, Paris, 1971, p. 105.