13 décembre 2018

ZONES BLANCHES : la démocratisation de l'éducation artistique et culturelle, premier outil de démocratisation de la culture sur nos territoires

Je dédicace ce texte à tous ceux qui oeuvrent chaque jour dans nos institutions et dans nos collectivités pour relever le défi d'apporter à tous nos citoyens du plus jeune au plus âgé une éducation artistique et culturelle émancipatrice, ludique et joyeuse...







Le ministère de la Culture a répertorié 86 zones dans lesquelles il y a moins d’un établissement culturel pour 10 000 habitants. Comment expliquer cette situation en France ?

La France compte à ce jour 16 500 lieux de lecture publique, 3 000 libraires, 1 500 lieux de production et d’exposition des œuvres, plus de 1 000 théâtres, plus de 5 500 écrans de cinéma, 450 conservatoires, soit près de 30 000 équipements culturels. Cependant, ces équipements n’offrent pas un véritable maillage territorial entre concentration autour des grands centres urbains ou métropolitains et abandon de territoires souvent ruraux ou montagneux plus éloignés. Au reste, si l’on imagine que « pratiquer la culture » implique une diversité de l’offre, la distance géographique d’accès à cette diversité artistique accentue encore la perception d’une inégalité des territoires qui recoupe, bien souvent, la carte des inégalités économiques, sociales ou culturelles. Ainsi, le Ministère de la Culture dépense-t-il chaque année 139 euros par habitant à Paris et en Île-de-France contre 15 euros sur le reste du territoire. Cette problématique n’est pas propre à la culture, mais concerne plus globalement la question de l’accès aux équipements et aux services tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Ce constat peut apparaître brutal, mais il mérite une analyse plus fine que celle de la simple accessibilité. Ce n’est pas parce qu’on a un opéra ou un cinéma à côté de chez soi que l’on y va nécessairement. De même, les études de fréquentation des festivals nous montrent-elles très bien comment et pourquoi des publics sont capables de faire des centaines de kilomètres pour assister à une manifestation culturelle ou à un événement artistique qui comptent pour eux. Il s’agit donc de ne pas réduire la problématique de l’accessibilité à une vision cartographique de la France de la simple distance qui nous sépare des structures.

Comment amener la culture là où se trouvent les plus démunis ?

Il y a presqu’autant de réponses que de personnes concernées. Le fait de repenser nos politiques culturelles à l’aune d’une politique de l’éducation artistique et culturelle où l’on conçoit que tous, dès le plus jeune âge, avons vocation à pratiquer l’art, à comprendre et apprécier les formes artistiques et culturelles, à rencontrer des artistes, à fréquenter des équipements culturels sans condescendance. En ce qui concerne les inégalités d’accès à la culture, le sociologue Pierre Bourdieu évoquait le fait que la plus grande inégalité ne relevait pas du « manque » ou même de la « conscience du manque », mais du « manque de la conscience du manque ». Ceci pour signifier qu’il est essentiel avant toute chose de partager une pratique, un désir, une grammaire commune de ce besoin de culture inhérent à la construction de notre identité tant intime que sociale. C’est une des raisons pour lesquels ministre de l’Éducation et ministre de la Culture marchent plus que jamais main dans la main pour mettre en œuvre sur tous les territoires la politique du « 100 % Éducation artistique et culturelle » telle qu’énoncée par le Président Macron comme pierre angulaire de son programme culturel. C’est avant tout par l’EAC que l’on pourra donner un nouvel élan à nos politiques culturelles si l’on veut qu’elles reprennent le chemin d’une démocratisation que ne se paie pas de mots.

Plus globalement, quelles sont les mesures les plus efficaces pour démocratiser la culture… une ambition déjà inscrite dans la feuille de route du premier ministère de la Culture… en 1959 !

Avant toute chose, il faut reconsidérer le sens même de ce que nous appelons la « démocratisation de la culture ». Les termes sont bien trop vagues pour définir des actions ou des mesures concrètes et la mission pourrait très vite s’apparenter au remplissage d’un tonneau des Danaïdes susceptible de ne véhiculer que déceptions ou désillusions telles qu’elles se laissent décrire sous la plume des essayistes « déclinistes » de la déploration qui font toujours l’impasse sur ce qui marche sans mettre face à face programmes espérés et réalisations concrètes. Plans Chorales, moments de lecture silencieuse, éducations à l’image, écoles, collèges et lycées au cinéma, orchestres à l’école, patrimoines de proximité, plate-forme numérique dédiée au cinéma, parcours EAC des festivals de tout type, villes et territoires 100 % EAC… Autant de mesures qui toutes entrent dans le respect de la Charte de l’Éducation artistique et culturelle portée par le Haut Conseil à l’Éducation artistique et culturelle pour libérer les imaginaires des publics d’aujourd’hui et de demain, en confiance, afin de concevoir la culture comme un droit pour tous tel que le suggère la déclaration de Fribourg sur les droits culturels de Fribourg ou plus encore l’article 31 de la Convention universelle des droits de l’enfance qui précise que nos États doivent « reconnaître à l’enfant le droit au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et à des activités récréatives propres à son âge et de participer librement à la vie culturelle et artistique. Qu’ils doivent respecter et favoriser le droit de l’enfant de participer pleinement à la vie culturelle et artistique et encouragent l’organisation à son intention de moyens appropriés de loisirs et d’activités récréatives, artistiques et culturelles, dans des conditions d’égalité ». Aussi s’agit-il pour notre nation de se reposer régulièrement la question à propos de ce qu’elle souhaite transmettre à sa jeunesse, des conditions de cette transmission, de comment elle assure une éducation artistique et culturelle dont chacun peut jouir à tous les sens de ce mot, et de porter à l’échelle de chaque territoire ce qui est le projet d’une culture partagée civilisation ancrée dans le progrès de sa modernité. C’est ce qui est fait aujourd’hui entre les ministères concernés par la question de l’EAC, mais aussi par un très grand nombre de collectivités engagées dans cette grande politique publique commune qui vise à atteindre le « 100 % EAC » : la démocratisation culturelle du XXIe siècle sera d'abord une démocratisation de l'éducation artistique et culturelle.

(On peut retrouver toutes ces analyses et bien plus encore dans le numéro 125 de l'Abécédaire des institutions consacré à "Culture pour tous" en cliquant ici.)