04 février 2014

THE MIDDLE ou comment un sitcom américain installe les questions d’éducation artistique et culturelle au cœur de ses scénarios


À tous les fils préférés, toutes les Sue Heck du monde, à Bernard et Guysiane surtout...

Janvier 2014. C’est le moment de la diffusion en France de la quatrième saison du sitcom The Middle qui s’est construit en ramassant sur la vie quotidienne de la famille Heck tous les tracas et les questions existentielles auxquels sont confrontées les classes moyennes les moins favorisées d’aujourd’hui. Fins de mois difficiles, crédits interminables, contrats d’assurances incompréhensibles, chômage, emplois précaires, voisinage périlleux, cycle ritualisé et infernal de la vie où les respirations sont si difficiles à prendre, intérieur domestique tellement décourageant à entretenir et bien entendu, enfants pas toujours simple à comprendre et donc à élever. L’action se déroule dans la « petite ville moyenne (fictive) d’Orson en Indiana. Frankie, la mère, piètre vendeuse de voitures habitée d’un stoïcisme velléitaire qui la conduit à voir la réalité souvent plus rose qu’elle n’est, Mike, le père, manager d’équipe dans une mine, sont eux-mêmes tous deux originaires d’Orson où ils y élèvent leurs enfants : Axl, l’aîné fainéant qui passe ses journées en caleçon et réussit néanmoins via le sport à décrocher une bourse pour entrer à l’université ; Sue, sa sœur, éternelle maladroite optimiste qui rate tout ce qu’elle entreprend pour exister aussi bien auprès de sa famille qu’à l’école et Brick, le «petit» dernier rempli de tocs qui passe sa vie dans ses livres, fan de la saga Planet Nowhere et qui ne s’intéresse qu’aux adultes cultivés. A priori, ces êtres, un peu caricaturaux sur lesquels tous les malheurs de leur petit monde semblent s’abattre, demeurent coûte que coûte, à l’image de leur fille cadette (the middle ?), empreints d’un espoir sans faille dans des jours meilleurs, espoir qui renaît dans chaque parcelle de répit que leur offrent aussi bien une note d’Axel un moins mauvaise que les autres, le fait que Brick se soit fait enfin un copain de son âge ou même que Sue décroche le poste de mascotte du club de foot alors qu’aucun autre élève du lycée ne s’était porter candidat pour s’affubler du fameux costume de poule géante.

Si la quatrième saison du sitcom marque un tournant dans la série, c’est parce que chaque personnage - enfants, parents, famille, voisins - enrichi à satiété de ceux avec qui il a vécu jusqu’alors, va aspirer à évoluer, à changer et ce changement, quelque soit l’âge ou l’expérience dudit personnage, ne va s’opérer que dans la manière dont chacun va se tourner vers de nouveaux référents culturels ou artistiques. Ainsi, Frankie, licenciée de sa concession de voitures, va-t-elle se mettre en quête d’un nouveau métier pour se donner une nouvelle chance et décide, suite au visionnement de quelques spots à la télé, de suivre une formation, sans trop savoir laquelle. Elle commande le catalogue des études proposé dans la publicité et commence par tirer au hasard le module d’études qui lui devrait lui convenir. Une fois, deux fois, trois fois… Les pages se rouvrent irrémédiablement sur «vendeuse en concession de voitures». Elle comprend alors qu’elle ne peut livrer son destin aux vicissitudes de la fatalité et va opter pour des études de secrétaire dentaire. Très vite, Frankie va partager les mêmes difficultés qu'Axl pour se concentrer sur les livres, pour étudier avec toute la rigueur attendue et va se laisser envahir par le doute. Paradoxalement, le fils aîné va alors se révéler comme éducateur et lui redonner confiance en elle. Filiation des rôles inversée. Axl saisit là une occasion de faire montre à sa mère qu’il a fait plus que retenir ce qu’il a appris d’elle, il se sert de cette éducation choisie pour en faire usage auprès de Frankie elle-même. L’héritier fait le choix de facto dans ce qu'il a hérité et de qui il l’a hérité pour maintenir avec force l’intégrité de la figure de sa mère qui n’est pas comme elle le déclare elle-même dans un excès de désespoir face aux savoirs qu’elle doit conquérir : «une merde».

À quelques mois d’entrer à l’Université grâce à la bourse qu’il risque de décrocher du fait de ses performances sportives, Axl va devoir redoubler d’efforts à cause d’un malheureux concours de circonstances qui l’immobilise, sa sœur lui ayant roulé sur le pied alors qu’elle espérait faire sa première expérience de conduite. Aussi va-t-il être obligé de prendre des cours de soutien n’étant plus dans la possibilité de tout miser sur son corps. C’est à cette occasion qu’il va rencontrer Cassidy, une lycéenne en charge de ce soutien scolaire, brillante, discrète et amoureuse, elle, d’un étudiant d’université. Il va découvrir des mots et une grammaire qui lui étaient inconnus jusqu’à cette rencontre et va se surprendre à tomber sous le charme de la jeune femme à qui il va dérober un baiser. Elle va, pour sa part, abandonner sa relation estudiantine à distance pour choisir Axl et ne décollera plus de sa bouche et de ses baisers jusqu’au jour où, c’est Axel qui va lui demander de prendre un peu de recul et d’entamer une vraie conversation entre deux émois de tendresse. Mais Cassidy reste indéfectiblement attachée aux lèvres d’Axl. Celui-ci va donc alors solliciter son petit frère érudit car il sait au fond de lui que son amour ne durera que s’il trouve d’autres voies que celles de son physique pour se rendre intéressant aux yeux de l’élue : «je savais que ce jour viendrait» lui déclare, fiérot, le jeune Brick ravi de transmettre à son grand frère les subtilités littéraires de l’Attrape-coeurs de Salinger et des Tournesols de Van Gogh. Nouvelle et savoureuse filiation inversée des rôles entre le petit et le grand frère. Dans son ouvrage l’Énigme du don, Maurice Godelier a écrit : « Il ne peut y avoir de société, il ne peut y avoir d'identité qui traverse le temps et serve de socle aux individus comme aux groupes qui composent une société, s'il n'existe des points fixes, des réalités soustraites (provisoirement mais durablement) aux échanges marchands». À  celles et ceux qui doutent parfois de l’utilité de défendre la place de la culture et donc de celle de notre jeunesse dont nous avons tant à apprendre en termes de filiation inversée, The Middle, saison 4, risque d’offrir des perspectives inédites et effectives de ce que signifie aujourd’hui encore l’idée de «faire société» autour, non pas de cultures qui seraient tantôt perçues comme trop savantes ou tantôt comme trop populaires, mais avant tout d’une culture commune réinventée par un héritage choisi, une transmission croisée.

Emmanuel Ethis & Damien Malinas