02 août 2013

L'OEUVRE et ses SUPPLÉMENTS : ça n'est pas que du bonus...


L’œuvre cinématographique: difficile de faire vivre un objet pensé à la fois comme objet d’art et objet de marché dont la valeur s’acquiert en brodant de curieux paradoxes où le film commercial devrait se contenter de son succès au box-office pour laisser aux autres films le seul bénéfice symbolique d’une exigence esthétique incomprise et incompréhensible à la grande masse des spectateurs. C’est du moins sur ce front idéologique bipolaire que se constituent les certifications que l’on attache aux œuvres, et que se réengagent régulièrement les polémiques où l’enjeu consiste à reconnaître dans un film la présence ou l’absence d’un acte de création afin de justifier chez ses spectateurs la transformation radicale d’un ou de sentiments partagés en un jugement socialement assuré. On se souvient des apories auxquelles on aboutit lorsqu’on repose l’antinomie kantienne relative au jugement de goût et au jugement esthétique : le jugement de goût ne se fonde pas sur des concepts, car, sinon on pourrait en discuter versus le jugement de goût se fonde sur des concepts, sinon, l’on ne pourrait pas même en discuter. Comme n’importe quelle œuvre d’art, le film est soumis à la double évaluation liée d’une part à une appréciation des caractéristiques spécifiques qui en définissent notamment l’authenticité et l’originalité, et d’autre part, à une estimation qui fluctue historiquement sur la hiérarchie sociale des valeurs esthétiques ; mais, contrairement aux biens d’arts uniques, le cinéma est un bien culturel obéissant à la circulation d’une production sur un marché qui replie presque entièrement le sens de cette double évaluation sur la pratique de l’œuvre cinématographique dans les salles ou à la télévision, tout en marginalisant, en apparence, les affects cultuels attachés à l’objectif d’acquisition d’une œuvre pensée et définie par sa rareté : nous soulignons en apparence car l’art cinématographique, à la fin des années 1970 grâce à la cassette vidéo, mais surtout aujourd’hui grâce au DVD et au Blu Ray a revigoré une part de ces stimulis sociaux dévolus à l’œuvre d’art conçue comme révélatrice de la dévotion que lui voue celui qui l'achète. En effet, les DVD et Blu Ray mis sur le marché sont non seulement promus pour leurs qualités de support exceptionnel en ce qui concernent le son et l’image qui plongent le spectateur dans ce que l’œuvre a de plus authentique, mais pour quelques temps encore, sont également valorisés pour leur caractère indégradable par l’acquéreur. Cet acquéreur est, en outre, de plus en plus sollicité par des « bonus », suppléments dont sont assortis ces supports numériques ; à côté du film, il est d’usage de trouver dorénavant un ensemble de documents inédits : scènes tournées non intégrées au montage final, photographies de plateau, interviews exclusives des comédiens et du réalisateur, extraits du synopsis, confidences de tournage, vidéo-clip et bande originale, et le désormais traditionnel making-off. Si les marchands parlent volontiers de ces suppléments comme d’une valeur ajoutée, on peut s’étonner de savoir que seule une minorité de spectateurs regardent l’ensemble des suppléments, et qu’environ 40% des acheteurs ne les consultent pas du tout. En réalité, il existe une grande différence entre le fait de posséder certains objets et le fait de les contempler, ce qui ne fait que souligner la constance anthropologique avec laquelle nous tentons d’instaurer entre eux et nous une sorte de lien temporel maîtrisé. Et, si l’on peut définir ce lien comme un processus d’appropriation de l’œuvre, il s’agit néanmoins de saisir ces décalages entre les moments d’acquisition et les moments de contemplations comme une manière de perpétuer, par l’entremise d’une temporalité domestique, la distance entre l’œuvre et son spectateur et donc, de garantir à la fois la force renouvelée de l’acte spectatoriel et la préservation de « l’aura » propre à l’œuvre.