Des propriétés flamboyantes de Beverly Hills aux lieux patinés par l’histoire de la Riviera française, les célébrités laissent, quand elles s’en vont, l’empreinte impalpable de leur existence entre les murs. Mais comment estimer la portée émotionnelle et pécuniaire de cette valeur ajoutée?La Pausa, la maison que Coco Chanel fit construire à Roquebrune sur la Côte d’Azur en 1928, vient d’être vendue pour un montant confidentiel. L’île de Paul Allen dans l’océan Pacifique, au nord de Seattle, attend toujours un acquéreur pour 13 millions de dollars. Quant à la propriété où a vécu Liz Taylor à Beverly Hills, de 1981 à sa mort, elle a trouvé preneur en un mois pour 8,6 millions de dollars. Qu’elle soit témoin de pans d’histoire, comme La Pausa où Coco Chanel a reçu, entre autres sommités, le duc de Westminster, Cocteau et Dali ou lieu de vie comme celle de Liz Taylor, une maison de star, une fois débarrassée de ses meubles et de ses objets-talismans et prête à accueillir son nouveau propriétaire, est-elle encore investie de l’aura magique de son illustre occupant ou bien n’est-elle plus qu’une coque vide?
Du haut de son Olympe inaccessible, la star éclabousse le commun des mortels de son halo incandescent. Sa célébrité tient à la fois de l’impudeur et du mystère puisqu’elle s’offre au public comme réceptacle à fantasmes tout en tissant autour de son intimité un rempart inviolable, qui la rend infréquentable. Pourtant, il arrive qu’elle disperse quelques fragments des attributs glorieux de son existence, eux bien palpables: des bijoux qui ont frôlé sa peau, des vêtements qui recèlent peut-être encore des traces de son parfum et des maisons dans lesquelles elle a vécu. Des vestiges de son humanité.
Lorsque Joe Gillis, obscur scénariste hollywoodien, pénètre inopinément dans la demeure-sanctuaire de l’actrice déchue Norma Desmond, dans le film de Billy Wilder Sunset Boulevard (1950), le spectateur découvre en même temps que lui le décor baroque et oppressant: l’escalier interminable, les colonnes de marbre, les tentures à pompons, les candélabres, les bouquets majestueux et des cadres à photos en pagaille sur des meubles couverts d’étoffes précieuses. Et c’est sur un écran escamoté par une tapisserie que l’actrice visionne inlassablement ses films, reflets de sa gloire passée. Chaque centimètre de la bâtisse porte l’empreinte de la vedette du muet recluse dans ses souvenirs, et le second rôle, tout comme le spectateur, avance tétanisé par l’atmosphère sacro-sainte que dégage l’endroit. La demeure grandiloquente où plane l’aura moribonde de Norma Desmond s’impose comme un des personnages principaux du film de Billy Wilder.
POUVOIR MAGIQUE ET CIRCULATION DE L'INTIME
De la même manière, dans les murs des demeures célèbres sont gravés des moments d’histoire, des éclats de vies privées mouvementées et des anecdotes fabuleuses. La Pausa, que Coco Chanel a voulue peinte à la chaux et dessinée selon les lignes pures de l’abbaye d’Aubazine où elle fut élevée, avec son cloître à colonnades et son escalier magistral, vit séjourner les personnages les plus illustres du monde des arts ou de celui, encore plus fermé, de la politique internationale. Un article de Vogue France, (juillet 1938) y évoque les séjours oisifs de ses hôtes: «En marge de la vie trop active de la Côte, La Pausa apparaît en effet comme quelque havre de grâce, où Mademoiselle Chanel se plaît à recevoir ses amis dans une atmosphère de sereine détente. Là, sans contrainte aucune, chacun peut laisser s’égrener les heures à l’ombre argentée des oliviers et parmi les champs de lavande en fleur.»
Comment ne pas être asphyxié par le souffle historique et romanesque qui a traversé les murs d’une demeure comme La Pausa, qui a accueilli le duc de Windsor, Aristote Onassis et Greta Garbo? Que représente le fait de fouler le même sol que «l’élite au sommet»? Marcher dans les pas de cette strate sociale dans laquelle se mêlent les gens de pouvoir, que ce pouvoir soit financier, artistique ou politique, serait une manière de «s’imprégner de l’énergie, de l’aimantation des stars», selon Emmanuel Ethis, président de l’Université d’Avignon et sociologue du cinéma.Le sociologue illustre son propos en faisant un parallèle avec le fameux tapis rouge du Festival de Cannes. «L’aura suppose qu’on garde une distance tandis que là on passe sur les mêmes lieux, on franchit les mêmes seuils, on passe par les mêmes portes, on peut être assis à la même place. Et la maison, c’est exactement la même chose», explique le sociologue. Il mentionne ce que Louis Marin, un sémiologue, appelle «l’effet tourniquet»: «Qu’est-ce qui fait qu’un lion est un lion? Le fait qu’il ait une couronne, une crinière? Ou bien est-ce que la crinière a de la valeur parce que c’est un lion qui est en dessous? En fait, l’un ne va pas sans l’autre, c’est ça l’effet tourniquet. Et la célébrité ne va pas sans sa maison et sans son apparat. Se saisir de l’apparat revient à faire comme dans la fable de la Fontaine où le geai se drape des plumes du paon. L’habit fait effectivement le moine car de la même façon que l’habit a été chargé de la valeur de la star, c’est parce que la maison a été habitée par elle, parce qu’on l’a imaginée parcourir cet endroit-là que ça lui donne une valeur prestigieuse.»
Pour le sociologue, la star étant un individu «consacré», au sens divin, tout ce qu’elle touche aura le même pouvoir thaumaturgique, donc bénéfique puisqu’il est censé guérir, même si dans l’imaginaire des cinéphiles, elle paraît vivre, comme le montre le film Sunset Boulevard, dans un musée dédié à sa propre gloire. Emmanuel Ethis explique comment la maison ouvre à «une circulation de l’intime. Ce qu’on découvre à travers les maisons de célébrités et ce pourquoi elles prennent de la valeur, c’est la manière dont elles font ce que vous faites quotidiennement: elles se lavent, elles s’habillent, elles mangent dans des décors singuliers, voilà aussi ce qui intrigue, cette relation à l’intime. Tout ce qui va relever de la stratégie de séduction va nous être montré par le cinéma. Et c’est fascinant. Dans les années 50 et 60, les actrices hollywoodiennes sont les premières à promouvoir ce qui relève des arts ménagers. Ce sont aussi les premières pourvoyeuses de produits de beauté qu’on trouve dans les salles de bains. La salle de bains de la star dévoile son secret «comment je m’ajuste». Là, elle est confrontée constamment au contrôle d’elle-même et de son image dans son miroir.»
On retrouvera l'intégralité de cet article en cliquant ici
Les événements relatés ici se sont vraiment déroulés et les personnes décrites ont toutes existé même si quelquefois elles semblent avoir quelque(s) ressemblance(s) avec des personnages imaginaires qui, comme le cinéma, nous aident "à préserver notre foi dans nos désirs d’un monde éclairé, face aux compromis que nous passons avec la manière dont le monde existe..."
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07 décembre 2011
24 novembre 2011
INTOUCHABLES, les raisons d'un succès par Frédéric Théobald (La Vie)
Derrière le triomphe de la comédie et du décapant duo François Cluzet et Omar Sy se devine une France moins frileuse qu’on ne le dit. Explications.
Driss, le jeune déshérité de la banlieue (Omar Sy), et Philippe, le grand bourgeois tétraplégique (François Cluzet). D’abord, il y a les chiffres, exceptionnels, qui pointent allègrement vers les firmaments du cinéma : plus de 5 millions d’entrées en deux semaines. Mieux que les Aventures de Tintin, lancées pourtant dans un grand fracas médiatique et marketing. Et ce n’est pas terminé ! Intouchables est parti pour trôner en haut du box-office 2011.Derrière ces chiffres, il y a aussi, à l’évidence, des spectateurs. Ce sont eux qui, par le bouche-à-oreille, font le succès du film d’Olivier Nakache et Vincent Toledano. Et pour Emmanuel Ethis, sociologue et cinéphile, auteur de Sociologie du cinéma et de ses publics (Armand Colin), Intouchables a cette vertu : il libère la parole. « Tout comme Des hommes et des dieux, ou le film iranien la Séparation, cette comédie nous offre les mots pour parler de la vie et nous donne envie d’échanger. Le cinéma, ne l’oublions pas, ne se résume pas à un face-à-face entre soi et l’écran. Réussi, il se meut en une invitation à la communication. »Parler, dialoguer, non pour broyer du noir, en écho à la crise, mais pour faire résonner une petite musique chaleureuse et positive. À travers cette amitié entre un exclu de la banlieue et un tétraplégique, Nakache et Toledano racontent une belle histoire, mais estampillée « vraie ». Tout comme La guerre est déclarée, de Valérie Donzelli, qui avait aussi su toucher au cœur les spectateurs en s’attachant au combat d’un couple confronté à la maladie de son enfant.
Faut-il alors stigmatiser des divertissements qui, à coups de bons sentiments, assommeraient la populace ? Voilà une critique, «vieille comme le spectacle de masse», qui hérisse Emmanuel Ethis. L’art, rappelle-t-il, loin de nous éloigner de la réalité, nous en rapproche. Mieux, loin de nous endormir, «le cinéma nous galvanise, il nous remplit d’énergie ». Et le rire, plus encore que les larmes, « permet de ne rien éluder des questions graves, de tout dire, mais gentiment, positivement». En d’autres temps, les films de Frank Capra (La vie est belle) ou les comédies italiennes (type Mes chers amis, de Monicelli) furent de puissants révélateurs des sociétés américaine et transalpine. La recette n’est donc pas nouvelle. Mais si Intouchables fait mouche, aujourd’hui, c’est, estime Emmanuel Ethis, parce qu’il met le doigt sur un problème sensible : l’altérité. Entre Driss, le jeune Noir déshérité, et Philippe, le grand bourgeois fortuné, le choc est moins social que culturel. Et le duo Nakache-Toledano ose un slogan simple : « Haut les cœurs ! » « Le film nous suggère que la solution n’est pas technocratique. Elle est entre nos mains, elle repose sur la confiance partagée », analyse Emmanuel Ethis. Et le bouche-à-oreille ne dit pas juste « c’est drôle », mais « vas-y, tu comprendras », bref, derrière le rire, il y a aussi « une quête de sens ». Là aussi, on pourrait évoquer de belles paroles. Ou saluer l’utopie, comme chez Guédiguian, qui dans les Neiges du Kilimandjaro, veut encore croire, avec le sourire, à une solidarité des pauvres. Pour Emmanuel Ethis, Intouchables fait néanmoins écho à une réalité. À un besoin de communication dans un monde qui clive. Et là c’est le président d’université qui s’exprime : «Avignon est une université populaire, qui totalise 48 % de boursiers, un record. Mais nos étudiants exultent de pouvoir se mélanger, de se confronter à d’autres milieux.» De fait, Intouchables, de par son large succès, fédère des publics différents. Bien sûr, c’est du cinéma, mais une France capable d’applaudir à Intouchables n’a probablement pas abdiqué la générosité.
Driss, le jeune déshérité de la banlieue (Omar Sy), et Philippe, le grand bourgeois tétraplégique (François Cluzet). D’abord, il y a les chiffres, exceptionnels, qui pointent allègrement vers les firmaments du cinéma : plus de 5 millions d’entrées en deux semaines. Mieux que les Aventures de Tintin, lancées pourtant dans un grand fracas médiatique et marketing. Et ce n’est pas terminé ! Intouchables est parti pour trôner en haut du box-office 2011.Derrière ces chiffres, il y a aussi, à l’évidence, des spectateurs. Ce sont eux qui, par le bouche-à-oreille, font le succès du film d’Olivier Nakache et Vincent Toledano. Et pour Emmanuel Ethis, sociologue et cinéphile, auteur de Sociologie du cinéma et de ses publics (Armand Colin), Intouchables a cette vertu : il libère la parole. « Tout comme Des hommes et des dieux, ou le film iranien la Séparation, cette comédie nous offre les mots pour parler de la vie et nous donne envie d’échanger. Le cinéma, ne l’oublions pas, ne se résume pas à un face-à-face entre soi et l’écran. Réussi, il se meut en une invitation à la communication. »Parler, dialoguer, non pour broyer du noir, en écho à la crise, mais pour faire résonner une petite musique chaleureuse et positive. À travers cette amitié entre un exclu de la banlieue et un tétraplégique, Nakache et Toledano racontent une belle histoire, mais estampillée « vraie ». Tout comme La guerre est déclarée, de Valérie Donzelli, qui avait aussi su toucher au cœur les spectateurs en s’attachant au combat d’un couple confronté à la maladie de son enfant.
Faut-il alors stigmatiser des divertissements qui, à coups de bons sentiments, assommeraient la populace ? Voilà une critique, «vieille comme le spectacle de masse», qui hérisse Emmanuel Ethis. L’art, rappelle-t-il, loin de nous éloigner de la réalité, nous en rapproche. Mieux, loin de nous endormir, «le cinéma nous galvanise, il nous remplit d’énergie ». Et le rire, plus encore que les larmes, « permet de ne rien éluder des questions graves, de tout dire, mais gentiment, positivement». En d’autres temps, les films de Frank Capra (La vie est belle) ou les comédies italiennes (type Mes chers amis, de Monicelli) furent de puissants révélateurs des sociétés américaine et transalpine. La recette n’est donc pas nouvelle. Mais si Intouchables fait mouche, aujourd’hui, c’est, estime Emmanuel Ethis, parce qu’il met le doigt sur un problème sensible : l’altérité. Entre Driss, le jeune Noir déshérité, et Philippe, le grand bourgeois fortuné, le choc est moins social que culturel. Et le duo Nakache-Toledano ose un slogan simple : « Haut les cœurs ! » « Le film nous suggère que la solution n’est pas technocratique. Elle est entre nos mains, elle repose sur la confiance partagée », analyse Emmanuel Ethis. Et le bouche-à-oreille ne dit pas juste « c’est drôle », mais « vas-y, tu comprendras », bref, derrière le rire, il y a aussi « une quête de sens ». Là aussi, on pourrait évoquer de belles paroles. Ou saluer l’utopie, comme chez Guédiguian, qui dans les Neiges du Kilimandjaro, veut encore croire, avec le sourire, à une solidarité des pauvres. Pour Emmanuel Ethis, Intouchables fait néanmoins écho à une réalité. À un besoin de communication dans un monde qui clive. Et là c’est le président d’université qui s’exprime : «Avignon est une université populaire, qui totalise 48 % de boursiers, un record. Mais nos étudiants exultent de pouvoir se mélanger, de se confronter à d’autres milieux.» De fait, Intouchables, de par son large succès, fédère des publics différents. Bien sûr, c’est du cinéma, mais une France capable d’applaudir à Intouchables n’a probablement pas abdiqué la générosité.
01 novembre 2011
THE SOCIAL NETWORK, un tout petit monde
Université d’Harvard, 2003. Dans un bar, une étudiante en droit décide de rompre avec son petit ami parce que selon elle, il n’est un «sale con» uniquement centré sur lui-même et un univers dont elle n’a pas la sensation de faire partie. Plutôt que de la retenir, Mark Zuckerberg – le «sale con» - qui se trouve être, lui, étudiant en informatique, décide de se venger. À cette fin, il met au point un programme qui permet à tout étudiant inscrit sur le réseau interne d’Harvard de choisir entre deux photos d’étudiantes appartenant chacune à deux facultés différentes de l’université, celle que l’on trouve la plus belle. Zuckerberg va bien sûr en profiter – c’était son but initial - pour déclasser son «ex». En quelques heures, le programme, conçu depuis sa chambre d’étudiant, rencontre un tel succès qu’il parvient à saturer puis à faire boguer le réseau du campus. À l’affut du type de talent développé par Zuckerberg, deux étudiants fortunés, les jumeaux Winklevoss, vont proposer à l’informaticien de développer un site plus sophistiqué pour faciliter les rencontres sur le campus d’Havard. Mais, cette commande initiale va évoluer et se transformer dans l’esprit de Zukerberg. En observant les comportements des étudiants de son université, en décodant ce qui se dit dans les interactions sociales des uns et des autres, il décide de mettre au point un site qui permettrait à tous de remplir une fiche avec sa description, ses photos, ses commentaires, son statut, ses orientations religieuses, sexuelles ou politiques, son parcours. Nous sommes en février 2004, et le site The Facebook fait son apparition sur le web. Plus de la moitié de la population undergraduate de l’université d’Harvard y était inscrite. Et, en quelques mois, après s’être ouvert aux universités de Stanford, Columbia et Yale, Facebook va se propager dans toutes les universités des Etats-Unis et du Canada jusqu’à atteindre le succès mondial que l’on connaît aujourd’hui.
Présentée ainsi, l’histoire vraie de Facebook et de ses créateurs n’aurait pu être qu’une chronique de plus à ajouter au répertoire des biographies de « ceux qui ont réussi leur vie ». Mais, le réalisateur David Fincher et le scénariste Aaron Sorkin s’en sont saisi pour en faire l’un des films de campus les plus achevés qui soit et raconter par le biais d’un film le processus de création du célèbre réseau social qui ne devient perceptible et intelligible précisément par ce que les ressorts d’un film de campus permettent de raconter. Ce film sorti sur les écrans en 2010 s’intitule The Social Network. La catchline inscrite sur l’affiche donne le ton : « Vous ne vous faites pas 500 millions d’amis sans vous faire quelques ennemis ». Celle-ci fait directement référence à la manière dont Facebook nous permet de nous construire notre réseau social sur la toile, interpellant ainsi très directement les utilisateurs et les accros à ce site qui, somme toute, sont susceptible d’être le premier public du film, en l’occurrence, le public étudiant. Mais d’évidence, après avoir vu The Social Network, on pourrait fort bien imaginer une autre catchline, sans doute moins accrocheuse d’un point de vue marketing, mais beaucoup plus descriptive de ce que raconte cet archétype du film de campus : « il y a des idées qui ne peuvent naître que dans les universités ». En effet, ce que nous montre le film de David Fincher, c’est que le campus est un environnement propice à la l’innovation, la création et l’expérimentation. Mieux il nous renvoie à notre propre contemporanéité où une invention ne naît plus nécessairement dans le laboratoire d’une université, mais dans la chambre d’un étudiant présenté apparemment asocial, mais de fait très attentif à toutes ces interactions sociales qu’il a du mal à vivre dans la « vraie vie ». En réalité, ce qui fait de The Social Network le film de campus par excellence, c’est qu’il nous fait prendre conscience que le véritable laboratoire d’Harvard ne serait pas ce lieu labellisé comme tel, bardé de postes informatiques et d’éprouvettes, mais bien le campus lui-même.
(Extrait de l'ouvrage à paraître en 2011 : Films de campus, l'université au cinéma par Emmanuel Ethis et Damien Malinas)
Présentée ainsi, l’histoire vraie de Facebook et de ses créateurs n’aurait pu être qu’une chronique de plus à ajouter au répertoire des biographies de « ceux qui ont réussi leur vie ». Mais, le réalisateur David Fincher et le scénariste Aaron Sorkin s’en sont saisi pour en faire l’un des films de campus les plus achevés qui soit et raconter par le biais d’un film le processus de création du célèbre réseau social qui ne devient perceptible et intelligible précisément par ce que les ressorts d’un film de campus permettent de raconter. Ce film sorti sur les écrans en 2010 s’intitule The Social Network. La catchline inscrite sur l’affiche donne le ton : « Vous ne vous faites pas 500 millions d’amis sans vous faire quelques ennemis ». Celle-ci fait directement référence à la manière dont Facebook nous permet de nous construire notre réseau social sur la toile, interpellant ainsi très directement les utilisateurs et les accros à ce site qui, somme toute, sont susceptible d’être le premier public du film, en l’occurrence, le public étudiant. Mais d’évidence, après avoir vu The Social Network, on pourrait fort bien imaginer une autre catchline, sans doute moins accrocheuse d’un point de vue marketing, mais beaucoup plus descriptive de ce que raconte cet archétype du film de campus : « il y a des idées qui ne peuvent naître que dans les universités ». En effet, ce que nous montre le film de David Fincher, c’est que le campus est un environnement propice à la l’innovation, la création et l’expérimentation. Mieux il nous renvoie à notre propre contemporanéité où une invention ne naît plus nécessairement dans le laboratoire d’une université, mais dans la chambre d’un étudiant présenté apparemment asocial, mais de fait très attentif à toutes ces interactions sociales qu’il a du mal à vivre dans la « vraie vie ». En réalité, ce qui fait de The Social Network le film de campus par excellence, c’est qu’il nous fait prendre conscience que le véritable laboratoire d’Harvard ne serait pas ce lieu labellisé comme tel, bardé de postes informatiques et d’éprouvettes, mais bien le campus lui-même.
(Extrait de l'ouvrage à paraître en 2011 : Films de campus, l'université au cinéma par Emmanuel Ethis et Damien Malinas)
21 septembre 2011
C'EST FIN, C'EST TRÈS FIN, ÇA SE MANGE SANS FAIM ! Même les bons mots ne durent qu'un temps...
Aux Gizmo, Kiki, Nono, Bouboule, Pépette et Zézette de tout poil
"C'est c'la oui..." Le Père Noël est une ordure ! C'est certain et les Bronzés font du ski, nul ne l'ignore, surtout pas Brice de Nice ou Rabbi Jacob. Tous ces films français sont emblématiques de notre art national de la réplique. Les succès populaires du cinéma français se construisent, surtout en ce qui concernent les comédies, grâce à ces dialogues marquants qui vont imprimer immédiatement la conscience des spectateurs et les transformer en "public" au plus pur sens du mot. "Eboueur ? Et pourquoi pas ramasser les poubelles pendant que vous y êtes !" En effet, le bon mot permet aux spectateurs de se reconnaître entre eux car il instruit un espace communautaire qui exclue tous ceux qui n'ont pas vu le film dont il est tiré et, corollaire oblige, instaure une complicité immédiate entre tous ceux qui l'ont vu. "Je n'aime pas dire du mal des gens, mais effectivement elle est gentille." Mais le bon mot, parce qu'il est attaché au film dont il est issu, devient très vite et très souvent un marqueur générationnel évident car il a du mal à s'installer sur la longue durée. Seul problème avec les bons mots qui ont bien marché : ils nous collent à la peau et n'ont de cesse de nous faire prendre le risque d'être ringardisé ou gentillement rattaché à l'image de celle ou celui qui tente le coup de la connivence avec autrui à l'aide d'ustensiles un peu usés. Le bon mot ringard fait de nous des Garcimore en puissance, susceptibles d'engendrer chez l'autre cette petite gêne compassée et l'on se rend bien compte d'ailleurs qu'il nous observe comme si l'on avait un écriteau clignotant sur le front sur lequel serait inscrit "dernières soldes d'il y a trois ans". "Thérèse n'est pas laide... elle n'a pas un physique facile, c'est tout."
Que faire ? Renoncer à cette part d'identité qui nous a apporté tant de bonheur ? Imaginez que celui qui nous dénigre sur un bon mot est un sale petit snob qui ne connaît rien à la vie ? Inventez une catégorie sociale type "on est des geeks" en espérant qu'à plusieurs, lorsqu'on sera très nombreux, on fera passer notre culture défraichie pour de la culture dominante et "hyper branchée" ? "C'est là que je me rends compte que je vous ai bien moins réussie que le porc." Et bien non, il n'y a rien à faire. Les films de notre vie nous marquent pour la vie avec leurs répliques : on en a bien profité, il nous ont enrichi le vocabulaire et se sont substitués le temps d'une génération ou d'un été à notre propre inventivité en termes de dialogues nous renvoyant par là même à notre besoin de parler la même langue. Notre langue se réinvente sans cesse et se partage. Quelle banalité énervante et douce que de se dire cela en pensant qu'un jour ou l'autre nous aussi on participera forcément à l'insu de notre plein gré à "notre" dîner de cons et qu'on est tous des Gremlins potentiels qui dérapont quand on leur donnera de l'eau après minuit. "Hey ! Mais il m'écrase la pomme des dents !"
Enfoirés va !...
"C'est c'la oui..." Le Père Noël est une ordure ! C'est certain et les Bronzés font du ski, nul ne l'ignore, surtout pas Brice de Nice ou Rabbi Jacob. Tous ces films français sont emblématiques de notre art national de la réplique. Les succès populaires du cinéma français se construisent, surtout en ce qui concernent les comédies, grâce à ces dialogues marquants qui vont imprimer immédiatement la conscience des spectateurs et les transformer en "public" au plus pur sens du mot. "Eboueur ? Et pourquoi pas ramasser les poubelles pendant que vous y êtes !" En effet, le bon mot permet aux spectateurs de se reconnaître entre eux car il instruit un espace communautaire qui exclue tous ceux qui n'ont pas vu le film dont il est tiré et, corollaire oblige, instaure une complicité immédiate entre tous ceux qui l'ont vu. "Je n'aime pas dire du mal des gens, mais effectivement elle est gentille." Mais le bon mot, parce qu'il est attaché au film dont il est issu, devient très vite et très souvent un marqueur générationnel évident car il a du mal à s'installer sur la longue durée. Seul problème avec les bons mots qui ont bien marché : ils nous collent à la peau et n'ont de cesse de nous faire prendre le risque d'être ringardisé ou gentillement rattaché à l'image de celle ou celui qui tente le coup de la connivence avec autrui à l'aide d'ustensiles un peu usés. Le bon mot ringard fait de nous des Garcimore en puissance, susceptibles d'engendrer chez l'autre cette petite gêne compassée et l'on se rend bien compte d'ailleurs qu'il nous observe comme si l'on avait un écriteau clignotant sur le front sur lequel serait inscrit "dernières soldes d'il y a trois ans". "Thérèse n'est pas laide... elle n'a pas un physique facile, c'est tout."
Que faire ? Renoncer à cette part d'identité qui nous a apporté tant de bonheur ? Imaginez que celui qui nous dénigre sur un bon mot est un sale petit snob qui ne connaît rien à la vie ? Inventez une catégorie sociale type "on est des geeks" en espérant qu'à plusieurs, lorsqu'on sera très nombreux, on fera passer notre culture défraichie pour de la culture dominante et "hyper branchée" ? "C'est là que je me rends compte que je vous ai bien moins réussie que le porc." Et bien non, il n'y a rien à faire. Les films de notre vie nous marquent pour la vie avec leurs répliques : on en a bien profité, il nous ont enrichi le vocabulaire et se sont substitués le temps d'une génération ou d'un été à notre propre inventivité en termes de dialogues nous renvoyant par là même à notre besoin de parler la même langue. Notre langue se réinvente sans cesse et se partage. Quelle banalité énervante et douce que de se dire cela en pensant qu'un jour ou l'autre nous aussi on participera forcément à l'insu de notre plein gré à "notre" dîner de cons et qu'on est tous des Gremlins potentiels qui dérapont quand on leur donnera de l'eau après minuit. "Hey ! Mais il m'écrase la pomme des dents !"
Enfoirés va !...
02 août 2011
SUPER 8 de J. J. Abrams, quand ne rien n’avoir à dire permet de tout raconter…
Premières images, premiers plans, premiers sons, premières notes de musique et le climat est posé. La dernière production Spielberg réalisée par J.J. Abrams – Super 8 – nous replonge instantanément dans le cinéma populaire américain de la deuxième moitié des années 1970 et du début des années 1980. Rencontres du troisième type, Star Wars, les Goonies,… l’imagerie d'une nouvelle cinéphilie s'installe, une cinéphilie qui elle-même s’appuyait sur ce cinéma d’anticipation des années 1950 dont les films de Jack Arnold apparaissaient comme la référence incontournable. Mais ce qu'a de singulier cette jeune cinéphilie, c'est qu'à l’époque, on s’essaie à faire soi-même du cinéma grâce à l’incursion de la caméra Super 8 dans un grand nombre de foyers aux États-Unis. C'est, de fait, une toute nouvelle génération qui va aborder le cinéma en tant que spectateur, mais également en tant que cinéastes amateurs puisque nombre de publicités ne vont avoir de cesse de lui dire «toi aussi tu peux faire du cinéma!». C’est pourquoi les héros de cette histoire qui, comme dans E.T. ou Stand By Me, sont des adolescents originaires d'une province plutôt rurale habités par cet univers cinématographique de référence, vont tenter précisément de reproduire ledit univers en Super 8. Ils en possèdent les codes. Lorsque, par hasard, ils filment le déraillement d’un véritable train – une "valeur ajoutée" et documentaire incontestable pour leur tournage amateur -, se posera très vite la question des plans manquants pour restituer l’action d’ensemble. Il s’agira alors pour ces derniers de mettre en scène l’explosion d'un train miniature, maquette fabriquée avec une rare passion du détail par l’un des jeunes protagonistes. Super 8, c’est l’apologie de l’anti-film suédé. On se souvient en effet comment dans le film de Michel Gondry, Soyez sympa, rembobinez, un vidéoclub retrouve un succès de fréquentation publique en proposant à la location les grandes productions cinématographiques revisitées par des parodies dont le ressort tient au décalage même avec le film original. Dans Super 8, au contraire, les codes maîtrisés fondent la quête de nos cinéastes en herbe. Au demeurant, lorsqu’au delà des effets spéciaux qu’ils tentent de reproduire, une adolescente du lycée propre à inspirer tous les émois de l'adolescence déboule dans leur casting et porte une interprétation magistrale de son personnage, ils seront bouleversés et, là encore, y verront une valeur ajoutée indéniable dixit, Charles Kaznyk, le jeune réalisateur à la super 8. Il faut dire que leur but ultime est de participer à un concours de films amateurs qu'ils espèrent sérieusement gagner.
De valeur ajoutée en valeur ajoutée, d’effets spéciaux réussis en performance d’acteur, Charles, qui ne doit pas avoir plus de 16 ans, va se retrouver très vite face à quelques interrogations existentielles d'importance – preuve d’une incroyable maturité et d’une parfaite réussite en termes de mise en abyme du film Super 8 - : «à quoi bon toutes ces images - déclare-t-il - puisque je n’ai aucune histoire, rien à raconter… Ok mes morts-vivants sont incroyablement convaincants, les scènes où mes héros se séparent sont émouvantes, mais qu’ai-je à dire vraiment, au fond ?». Dans cette petite ville de l’Ohio que les touristes traversent en en ignorant même le nom, où il faut attendre plus de trois jours pour recevoir le film super 8 que l’on a donné à développer à condition que le responsable du magasin ait pris soin d'écrire «Urgent» sur l’enveloppe d’expédition de la pellicule, il est particulièrement touchant de se demander encore et encore à quoi sert de prendre une caméra ou un stylo si l’on a rien à raconter. Au reste, même a 17 ans, nos jeunes réalisateurs nous apprennent que tout n’est pas bon à raconter. Ni la disparation de la mère de l’un d’eux, ni l’alcoolisme du père d’un autre, ni les secrets de famille dont chacun a conscience, mais dont tous savent que cela doit être conserver au creux d'une pudeur sans faille. Hors, dire ce qui ne doit pas l’être, c’est évidemment commencer à raconter beaucoup, c’est aussi renvoyer au sens de cette caméra-vérité qui fit le premier succès des frères Lumière. Et, lorsque par inadvertance la petite super 8 des gamins va filmer des images qui vont devenir la clef de l’histoire, nous réalisons, nous spectateurs, l’importance qu’il y a à se laisser surprendre par une image qui est toujours porteuse d’espoirs et de secrets. "Quand on ne voit pas ce qu’on ne voit pas, on ne voit même pas qu’on ne le voit pas" écrit l’historien Paul Veyne, l'auteur des Grecs ont-ils cru à leurs mythes?. Une citation qu'il serait bienvenue de faire figurer en introduction ou en conclusion de Super 8 car, d'évidence, ce film évoque, voire questionne, une petite part de nos mythes contemporains, ceux auxquels on aimerait encore croire un peu et ceux auxquels - ce n'est pas tout à fait la même chose -, adolescents, l'on sait avoir espéré ou aimé croire. À voir donc et à revoir.
[PS : Super 8 de J.J. Abrams sort sur tous les écrans le 3 août 2011. Pour prolonger le plaisir et l'intérêt, lire sans attendre le numéro 669 des Cahiers du Cinéma consacré à J.J. Abrams, à Super 8 et à la série TV Fringe.]
De valeur ajoutée en valeur ajoutée, d’effets spéciaux réussis en performance d’acteur, Charles, qui ne doit pas avoir plus de 16 ans, va se retrouver très vite face à quelques interrogations existentielles d'importance – preuve d’une incroyable maturité et d’une parfaite réussite en termes de mise en abyme du film Super 8 - : «à quoi bon toutes ces images - déclare-t-il - puisque je n’ai aucune histoire, rien à raconter… Ok mes morts-vivants sont incroyablement convaincants, les scènes où mes héros se séparent sont émouvantes, mais qu’ai-je à dire vraiment, au fond ?». Dans cette petite ville de l’Ohio que les touristes traversent en en ignorant même le nom, où il faut attendre plus de trois jours pour recevoir le film super 8 que l’on a donné à développer à condition que le responsable du magasin ait pris soin d'écrire «Urgent» sur l’enveloppe d’expédition de la pellicule, il est particulièrement touchant de se demander encore et encore à quoi sert de prendre une caméra ou un stylo si l’on a rien à raconter. Au reste, même a 17 ans, nos jeunes réalisateurs nous apprennent que tout n’est pas bon à raconter. Ni la disparation de la mère de l’un d’eux, ni l’alcoolisme du père d’un autre, ni les secrets de famille dont chacun a conscience, mais dont tous savent que cela doit être conserver au creux d'une pudeur sans faille. Hors, dire ce qui ne doit pas l’être, c’est évidemment commencer à raconter beaucoup, c’est aussi renvoyer au sens de cette caméra-vérité qui fit le premier succès des frères Lumière. Et, lorsque par inadvertance la petite super 8 des gamins va filmer des images qui vont devenir la clef de l’histoire, nous réalisons, nous spectateurs, l’importance qu’il y a à se laisser surprendre par une image qui est toujours porteuse d’espoirs et de secrets. "Quand on ne voit pas ce qu’on ne voit pas, on ne voit même pas qu’on ne le voit pas" écrit l’historien Paul Veyne, l'auteur des Grecs ont-ils cru à leurs mythes?. Une citation qu'il serait bienvenue de faire figurer en introduction ou en conclusion de Super 8 car, d'évidence, ce film évoque, voire questionne, une petite part de nos mythes contemporains, ceux auxquels on aimerait encore croire un peu et ceux auxquels - ce n'est pas tout à fait la même chose -, adolescents, l'on sait avoir espéré ou aimé croire. À voir donc et à revoir.
[PS : Super 8 de J.J. Abrams sort sur tous les écrans le 3 août 2011. Pour prolonger le plaisir et l'intérêt, lire sans attendre le numéro 669 des Cahiers du Cinéma consacré à J.J. Abrams, à Super 8 et à la série TV Fringe.]
23 juillet 2011
LA PETITE FABRIQUE DU SPECTATEUR chroniquée...
On pourra prolonger la lecture de La Petite fabrique du spectateur en écoutant ou en lisant les échos que l'ouvrage a suscité dans les médias qui l'ont chroniqué. Il suffit pour cela de cliquer sur le titre de l'article ou de l'émission indiqué ci-dessous :
Le Monde : Les Mille et une manières d'être festivalier par Clarisse Fabre
France Inter : Le Masque et la Plume par Vincent Josse (émission du 17 juillet 2011)
TF1 : le JT de TF1 du 16 juillet 2011 par Marion Gautier, présenté par Claire Chazal
France Inter : Ça vous dérange ? L'esprit d'Avignon a-t-il disparu ? émission du 5 juillet 2011 par Thomas Chauvineau
France Culture : La Grande Table, émission du 15 juillet 2011
Le Monde : Les Mille et une manières d'être festivalier par Clarisse Fabre
France Inter : Le Masque et la Plume par Vincent Josse (émission du 17 juillet 2011)
TF1 : le JT de TF1 du 16 juillet 2011 par Marion Gautier, présenté par Claire Chazal
France Inter : Ça vous dérange ? L'esprit d'Avignon a-t-il disparu ? émission du 5 juillet 2011 par Thomas Chauvineau
France Culture : La Grande Table, émission du 15 juillet 2011
11 juillet 2011
LA PETITE FABRIQUE DU SPECTATEUR : être et devenir festivalier à Cannes et à Avignon
Dans l’un des ouvrages qui portèrent le projet socio-sémiotique, La sémiosis sociale, publié à Vincennes en pleine effervescence des approches interdisciplinaires de la culture, Eliseo Veron observait que les chercheurs en communication analysent des processus, mais que ceux-ci ne se laissent saisir que par les marques qu’ils laissent. Un tel paradoxe habite à mon avis toute l’œuvre d’Emmanuel Ethis et ce petit livre, dense, mais chargé d’histoire en est précisément la marque spectaculaire. Avant tout, il condense aux yeux du lecteur actuel un itinéraire complexe, suivi personnellement et collectivement dans deux villes-spectacles qui, elles-mêmes, cristallisent à la fois des figures de la pratique culturelle, des formes de sa médiatisation et des débats intenses sur ses tenants et aboutissants. Ce volume réunit en effet des monographies (doublement frappées du fatidique chiffre 13). Ce sont en quelque sorte des instantanés, mais chacun d’entre eux est traversé par le temps long, celui des débats qui structurent le dialogue entre sociologie et sciences de la communication, comme celui des multiples investigations sur les lieux de pratiques, les carrières, les arènes.[…] Cet effet de texte particulier tient aussi au travail d’écriture, d’édition et de publication sur lequel repose l’intervention universitaire dans les espaces publics de la culture. Les fragments dont le lecteur dispose sont le résultat d’actes d’écriture et de réécriture. Ils proviennent du cahier d’observation, ont transité par l’article de recherche et le cours, ont éclairé l’interpellation publique des décideurs en même temps qu’ils nourrissaient par leur caractère significatif et en quelque sorte emblématique l’élaboration théorique d’une approche des spectateurs. Ils font finalement retour doublement, et vers les spectateurs lecteurs d’eux-mêmes, et vers les étudiants dont l’inventivité méthodologique et la pénétration du regard peuvent se nourrir d’exemples à discuter. Ces petits récits, économiques mais saisissants, portent donc également la trace, non d’une montée en généralité (pourquoi monterait-on lorsqu’on généralise ?) mais d’un va et vient constant entre le singulier et le transposable. Ou plutôt, dans la plus pure tradition de Roland Barthes, entre l’horizon inatteignable d’une science de la singularité, sensible à ce que celle-ci a de définitivement irréductible, et la possibilité bien réelle d’une lisibilité rendue crédible par le fait que le singulier, pour se singulariser, met en jeu et renforce des postures sociales.
C’est bien entendu ce qui donne toute son ambiguïté au titre, La petite fabrique du spectateur, car on ne pourra commencer à comprendre comment le spectateur se fabrique que si l’on accepte l’idée qu’on le fabrique aussi par les dispositifs qu’on emploie pour le connaître. Et d’abord, comme le romancier, pour le décrire et le raconter. À cette différence près, bien entendu, qu’ici il parle lui-même, certes cité et invoqué, mais dans la vérité de ses gestes et de ses paroles. C’est ce qui inspire le recours à la « fabrique », figure imagée de la po(ï)étique du savoir chère à l’auteur. Po(ï)étique, c’est-à-dire à la fois art de faire et désir d’écrire : les fragments mettent en mouvement, le temps d’un instant de lecture, si court soit-il, la circulation des discours que rend possible l’enchaînement des dispositifs d’observation, des formes de notation, des paroles consignées, des gestes dessinés. Et de ce fait, ils laissent percevoir que l’instantané tient dans ses marges ouvertes tous les espaces qui séparent et relient à la fois l’acteur, le médiateur, le spectateur, le chercheur, le lecteur. […] Ces récits entr’aperçus, fixés, transformés, réinterprétés sont aujourd’hui réunis, du moins certains d’entre eux, car encore une fois il a fallu choisir, éliminer, mettre en évidence.
[…] La nature du savoir et des questions que ce recueil formule tient à cela : une entreprise d’enquête qui nourrit une tradition universitaire nouvelle en matière d’approche des publics, un mode d’intervention, dans les orageux débats qui agitent le monde festivalier, qui tire sa force de pouvoir parler autrement du spectateur (celui que chacun revendique) et une chronique de presse qui se plie à la temporalité terriblement contraignante du quotidien, format de la rubrique comme périodicité de la production : un journal, un jour, une personne, une question. C’est ce que Marie-Ève Thérenty nomme la « poétique journalistique » et dont le caractère industriel donne des effets stylistiques et cognitifs paradoxaux, comme l’a montré Adeline Wrona pour Zola journaliste.C’est, pour finir, l’article de journal, puis son recueil en livre (une destinée dont l’histoire montre qu’elle est plus que fréquente) qui permet d’oser, au sein même de la recherche, une écriture qui vise la connaissance mais relève de la littérature. Art de faire, discipline du regard, audace du style. Donner à lire ensemble ces textes, que la presse a égrenés comme un florilège extrait d’une entreprise de longue haleine, c’est, bien sûr, en appeler à une nouvelle mise en mouvement de ce qu’ils citent, sans pouvoir ni vouloir le cerner.
Extrait de la préface du livre signée Yves Jeanneret (Sorbonne Paris – Celsa).
La petite fabrique du spectateur est éditée par les Éditions Universitaires d'Avignon (EUA)et est disponible depuis le 5 juillet 2011.Remerciements aux co-auteurs des textes de cet ouvrage : Jean-Louis Fabiani, Damien Malinas, Jean-Claude Passeron, Emmanuel Pedler et Paul Veyne et remerciements à celui qui a accompagné la fabrication de la petite fabrique, Guy Lobrichon. Merci enfin à Martine Boulangé...
C’est bien entendu ce qui donne toute son ambiguïté au titre, La petite fabrique du spectateur, car on ne pourra commencer à comprendre comment le spectateur se fabrique que si l’on accepte l’idée qu’on le fabrique aussi par les dispositifs qu’on emploie pour le connaître. Et d’abord, comme le romancier, pour le décrire et le raconter. À cette différence près, bien entendu, qu’ici il parle lui-même, certes cité et invoqué, mais dans la vérité de ses gestes et de ses paroles. C’est ce qui inspire le recours à la « fabrique », figure imagée de la po(ï)étique du savoir chère à l’auteur. Po(ï)étique, c’est-à-dire à la fois art de faire et désir d’écrire : les fragments mettent en mouvement, le temps d’un instant de lecture, si court soit-il, la circulation des discours que rend possible l’enchaînement des dispositifs d’observation, des formes de notation, des paroles consignées, des gestes dessinés. Et de ce fait, ils laissent percevoir que l’instantané tient dans ses marges ouvertes tous les espaces qui séparent et relient à la fois l’acteur, le médiateur, le spectateur, le chercheur, le lecteur. […] Ces récits entr’aperçus, fixés, transformés, réinterprétés sont aujourd’hui réunis, du moins certains d’entre eux, car encore une fois il a fallu choisir, éliminer, mettre en évidence.
[…] La nature du savoir et des questions que ce recueil formule tient à cela : une entreprise d’enquête qui nourrit une tradition universitaire nouvelle en matière d’approche des publics, un mode d’intervention, dans les orageux débats qui agitent le monde festivalier, qui tire sa force de pouvoir parler autrement du spectateur (celui que chacun revendique) et une chronique de presse qui se plie à la temporalité terriblement contraignante du quotidien, format de la rubrique comme périodicité de la production : un journal, un jour, une personne, une question. C’est ce que Marie-Ève Thérenty nomme la « poétique journalistique » et dont le caractère industriel donne des effets stylistiques et cognitifs paradoxaux, comme l’a montré Adeline Wrona pour Zola journaliste.C’est, pour finir, l’article de journal, puis son recueil en livre (une destinée dont l’histoire montre qu’elle est plus que fréquente) qui permet d’oser, au sein même de la recherche, une écriture qui vise la connaissance mais relève de la littérature. Art de faire, discipline du regard, audace du style. Donner à lire ensemble ces textes, que la presse a égrenés comme un florilège extrait d’une entreprise de longue haleine, c’est, bien sûr, en appeler à une nouvelle mise en mouvement de ce qu’ils citent, sans pouvoir ni vouloir le cerner.
Extrait de la préface du livre signée Yves Jeanneret (Sorbonne Paris – Celsa).
La petite fabrique du spectateur est éditée par les Éditions Universitaires d'Avignon (EUA)et est disponible depuis le 5 juillet 2011.Remerciements aux co-auteurs des textes de cet ouvrage : Jean-Louis Fabiani, Damien Malinas, Jean-Claude Passeron, Emmanuel Pedler et Paul Veyne et remerciements à celui qui a accompagné la fabrication de la petite fabrique, Guy Lobrichon. Merci enfin à Martine Boulangé...
01 juillet 2011
Festival d'Avignon : LA FABRIQUE DU VOLGELPIK
"être original, c'est essayer de faire comme tout le monde, mais sans y parvenir"...
«Oui, je sais, on peut comprendre ce que je suis rien qu’en regardant ma bibliothèque, mais c’est tout le monde comme ça, non ? De toute façon, j’ai rien à cacher » Les étagères d’Ingrid s’alignent sur deux longueurs de mur dans son deux-pièces de la rue Bourguet à Avignon. Tout y est scrupuleusement rangé par genre sur trois hauteurs : en bas, les ouvrages de théâtre – «tous achetés à la Mémoire du Monde en temps de festival » -, au milieu, les biographies de gens célèbres – «J’aime autant lire la bio de Gérard Philipe que celle de Lady Di ; tous ces people nous apprennent tant de choses sur nous-même et notre époque» -, en haut, les romans sentimentaux – «je possède deux cent cinquante Harlequin, et en tant qu’infirmière de formation, je garde un vrai penchant pour la collection Blanche… Oui, mes amies me demandent souvent ce que tout cela fait ensemble, elles ont du mal à imaginer comment Les illusions comiques d’Olivier Py suscitent autant d’intérêt que Rien ne résiste à l’amour de Rachel Jordan, collection Colombine,… mais je suis sûr qu’Olivier Py, lui, comprendrait… »
Ingrid, qui a quitté la Belgique pour venir travailler à Avignon voici quinze ans, a une manière très singulière de vivre le Festival : le soir, elle ne fréquente que les hauts-lieux du In et un peu le Off quand il accueille des acteurs de renom « comme le fait quelquefois le Chêne Noir avec Caubère ou Brigitte Fossey…» La journée, Ingrid se consacre à une toute autre activité… En effet, lorsqu’elle repère un comédien qu’elle aime paticulièrement programmé dans un spectacle, elle tente d’observer très scrupuleusement comment celui-ci prend ses quartiers d’été à Avignon. Elle le suit discrètement chaque fois que cela est possible pour cartographier heure par heure ses habitudes, « très vite, ils ont leurs routines, fréquentent les mêmes endroits tous les jours, vont acheter leurs journaux chez le même marchand, mènent une vie d’avignonnais,… c’est une ville qui force à cela… ». Ingrid conserve année après années précieusement ces jolis plans aux trajectoires colorées… « voici le plan Auteuil, le plan Huppert, le plan Py, et voici mon préféré, le Samy Frey… Il habitait aussi rue Bourguet, à trois maisons d’ici… C’est aussi ma plus belle réussite car, comme pour chacun d’entre eux, une fois que j’ai bien décrypté leurs trajets, je m’arrange pour croiser leur chemin par « hasard », plusieurs fois par jour, et ça marche, il suffit de trouver le truc, il y a toujours un moment où ils vous recconnaissent et vous abordent pour une raison ou pour une autre… Pour Samy, il ne restait plus qu’un seul exemplaire de son magazine préféré chez le marchand de journaux et j’étais là, juste avant lui pour l’acheter, et me faire une joie de lui offrir contre un café… J’adore cela… »
Ingrid a donné un nom à son passe-temps favori : la fabrique du Vogelpik. Elle considère que la vie est un peu comme ces jeux de fléchette auquel on aime faire croire qu’on gagne par pure coïncidence, alors même qu’on en possède une parfaite maîtrise… Sa version à elle du Jeu de l’amour et du hasard, une pièce qu’elle espère écrire un jour, illustrée par ces jolis plans d’Avignon, une pièce qui pourra trouver sa place sur n’importe quelle étagère de sa bibliothèque…
«Oui, je sais, on peut comprendre ce que je suis rien qu’en regardant ma bibliothèque, mais c’est tout le monde comme ça, non ? De toute façon, j’ai rien à cacher » Les étagères d’Ingrid s’alignent sur deux longueurs de mur dans son deux-pièces de la rue Bourguet à Avignon. Tout y est scrupuleusement rangé par genre sur trois hauteurs : en bas, les ouvrages de théâtre – «tous achetés à la Mémoire du Monde en temps de festival » -, au milieu, les biographies de gens célèbres – «J’aime autant lire la bio de Gérard Philipe que celle de Lady Di ; tous ces people nous apprennent tant de choses sur nous-même et notre époque» -, en haut, les romans sentimentaux – «je possède deux cent cinquante Harlequin, et en tant qu’infirmière de formation, je garde un vrai penchant pour la collection Blanche… Oui, mes amies me demandent souvent ce que tout cela fait ensemble, elles ont du mal à imaginer comment Les illusions comiques d’Olivier Py suscitent autant d’intérêt que Rien ne résiste à l’amour de Rachel Jordan, collection Colombine,… mais je suis sûr qu’Olivier Py, lui, comprendrait… »
Ingrid, qui a quitté la Belgique pour venir travailler à Avignon voici quinze ans, a une manière très singulière de vivre le Festival : le soir, elle ne fréquente que les hauts-lieux du In et un peu le Off quand il accueille des acteurs de renom « comme le fait quelquefois le Chêne Noir avec Caubère ou Brigitte Fossey…» La journée, Ingrid se consacre à une toute autre activité… En effet, lorsqu’elle repère un comédien qu’elle aime paticulièrement programmé dans un spectacle, elle tente d’observer très scrupuleusement comment celui-ci prend ses quartiers d’été à Avignon. Elle le suit discrètement chaque fois que cela est possible pour cartographier heure par heure ses habitudes, « très vite, ils ont leurs routines, fréquentent les mêmes endroits tous les jours, vont acheter leurs journaux chez le même marchand, mènent une vie d’avignonnais,… c’est une ville qui force à cela… ». Ingrid conserve année après années précieusement ces jolis plans aux trajectoires colorées… « voici le plan Auteuil, le plan Huppert, le plan Py, et voici mon préféré, le Samy Frey… Il habitait aussi rue Bourguet, à trois maisons d’ici… C’est aussi ma plus belle réussite car, comme pour chacun d’entre eux, une fois que j’ai bien décrypté leurs trajets, je m’arrange pour croiser leur chemin par « hasard », plusieurs fois par jour, et ça marche, il suffit de trouver le truc, il y a toujours un moment où ils vous recconnaissent et vous abordent pour une raison ou pour une autre… Pour Samy, il ne restait plus qu’un seul exemplaire de son magazine préféré chez le marchand de journaux et j’étais là, juste avant lui pour l’acheter, et me faire une joie de lui offrir contre un café… J’adore cela… »
Ingrid a donné un nom à son passe-temps favori : la fabrique du Vogelpik. Elle considère que la vie est un peu comme ces jeux de fléchette auquel on aime faire croire qu’on gagne par pure coïncidence, alors même qu’on en possède une parfaite maîtrise… Sa version à elle du Jeu de l’amour et du hasard, une pièce qu’elle espère écrire un jour, illustrée par ces jolis plans d’Avignon, une pièce qui pourra trouver sa place sur n’importe quelle étagère de sa bibliothèque…
25 juin 2011
GOÛT DE L'ENQUÊTE ET LUTTE DE CLASSES
"Quand je dirai ça à ma femme"...
Ce vendredi 24 juin, Peter Falk est mort. Il avait 83 ans. Comédien fétiche de Cassavetes, il a su accompagné ce cinéma américain-là qu’on dit indépendant. Il était en ce sens un merveilleux passeur car il avait su aussi ramener John le ténébreux dans « sa » série TV : Columbo. L’inspecteur Columbo a été et demeure l’un des personnages les plus populaires de la télévision. Chaque fois qu’il débarque sur une scène de crime, on croirait qu’il s’est gargarisé avant du slogan des récentes pub McDo : «venez comme vous êtes !»… Columbo vient comme il est avec son style mal fagoté de petit immigré italien qui laisse souvent penser à ceux qui le regardent avec mépris que son poste d’inspecteur est sûrement la promotion la plus importante qu’il n’aura jamais. Au reste, nombre de ses adversaires tenteront souvent de le déclasser en faisant appel à ses supérieurs. Columbo est un homme modeste qui exacerbe le dédain de classe de ceux qui toujours commettent des crimes de confort, de milieu, histoire de faciliter une vie – la leur – qui visiblement l’était déjà amplement.
Columbo, c’est l’entrée du populaire chez le notable. Et, les scénarii les plus aboutis de la série ont parfaitement su se saisir de l’idée de lutte de classes que la dégaine de l’inspecteur est susceptible d’inspirer. La condescendance des riches et des puissants y devient leur principale faiblesse. Columbo offrira aux spectateurs les plus populaires, «ceux de la classe dominée» une revanche télévisuelle, symbolique, une contrepartie culturelle à leur quotidien. Sans cynisme, avec une sorte de respect de la nature humaine. Car la plus belle revanche des classes populaires version Columbo, c’est bien de nous montrer qu’une enquête, elle, ne s’exerce jamais avec condescendance ni mépris, mais surtout avec passion et respect vis à vis de ceux qui pensent toujours, tout le temps, si bien nous manipuler. Une leçon de vie.
Ce vendredi 24 juin, Peter Falk est mort. Il avait 83 ans. Comédien fétiche de Cassavetes, il a su accompagné ce cinéma américain-là qu’on dit indépendant. Il était en ce sens un merveilleux passeur car il avait su aussi ramener John le ténébreux dans « sa » série TV : Columbo. L’inspecteur Columbo a été et demeure l’un des personnages les plus populaires de la télévision. Chaque fois qu’il débarque sur une scène de crime, on croirait qu’il s’est gargarisé avant du slogan des récentes pub McDo : «venez comme vous êtes !»… Columbo vient comme il est avec son style mal fagoté de petit immigré italien qui laisse souvent penser à ceux qui le regardent avec mépris que son poste d’inspecteur est sûrement la promotion la plus importante qu’il n’aura jamais. Au reste, nombre de ses adversaires tenteront souvent de le déclasser en faisant appel à ses supérieurs. Columbo est un homme modeste qui exacerbe le dédain de classe de ceux qui toujours commettent des crimes de confort, de milieu, histoire de faciliter une vie – la leur – qui visiblement l’était déjà amplement.
Columbo, c’est l’entrée du populaire chez le notable. Et, les scénarii les plus aboutis de la série ont parfaitement su se saisir de l’idée de lutte de classes que la dégaine de l’inspecteur est susceptible d’inspirer. La condescendance des riches et des puissants y devient leur principale faiblesse. Columbo offrira aux spectateurs les plus populaires, «ceux de la classe dominée» une revanche télévisuelle, symbolique, une contrepartie culturelle à leur quotidien. Sans cynisme, avec une sorte de respect de la nature humaine. Car la plus belle revanche des classes populaires version Columbo, c’est bien de nous montrer qu’une enquête, elle, ne s’exerce jamais avec condescendance ni mépris, mais surtout avec passion et respect vis à vis de ceux qui pensent toujours, tout le temps, si bien nous manipuler. Une leçon de vie.
04 juin 2011
DE LA CULTURE À L'UNIVERSITÉ (suites)...
Voici deux extraits des « retours de presse » consacrés au travail de notre commission Culture et Université suite à la conférence organisée par la Conférence des Présidents d'Université ce 26 mai 2011 à la Défense (merci à Clarisse Fabre du Monde et à Élodie Lestrade de l’AEF)
Culture à l'université... Peut mieux faire
Parce que les étudiants sont un peu l'angle mort des politiques culturelles. Parce que leur budget culture tourne autour de 6 ou 7 euros par mois. Parce que une trentaine d'universités en France seulement sont équipées d'un lieu conçu pour une activité artistique, galerie d'exposition, studio d'enregistrement ou salle de répétition. Parce que l'esprit ciné-club a tendance à se perdre...
Pour toutes ces raisons, il y avait urgence à rassembler des réflexions et des idées pour ancrer la culture dans l'université, de la "fac" de lettres à celle de médecine. Sans négliger les nombreuses initiatives qui existent déjà, de Montpellier à Lille, et ne demandent qu'à se répandre.
En mars 2009, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Valérie Pécresse, avait installé une commission culture et université et chargé son président, Emmanuel Ethis, sociologue et président de l'université d'Avignon, de formuler des "préconisations" pour que la culture ne soit pas qu'un "accessoire" dans un cursus.
Intitulé "De la culture à l'université, 128 propositions", le document a été remis à la ministre en octobre 2010. Il serait peut-être tombé dans l'oubli, si la Conférence des présidents d'université (CPU) n'avait décidé de le faire connaître à un plus grand nombre. Jeudi 26 mai, Emmanuel Ethis présentait une synthèse de ce travail lors d'une rencontre organisée par la CPU, à la Défense (Hauts-de-Seine) - en l'absence de Mme Pécresse et du ministre de la culture, Frédéric Mitterrand. Les 128 propositions ont été éditées (Armand Colin) et 3 000 exemplaires circulent actuellement dans les facultés. Le rapport est téléchargeable sur le "socioblog" de M. Ethis.
Entre autres pistes, il s'agirait de développer les moyens attribués aux radios étudiantes, de promouvoir un dispositif du type "étudiants au cinéma", d'organiser des cafés littéraires mensuels, de créer un statut d'étudiant associé à un festival.
Les experts vont jusqu'à proposer que les cérémonies étudiantes, comme les remises de diplôme, soient davantage ritualisées de manière à véhiculer un "imaginaire" des universités françaises...
La culture doit nourrir le rayonnement international, lit-on entre les lignes, ce que demandait la ministre dans sa lettre de mission, en mars 2009 : les campus en France doivent devenir des hauts lieux de production culturelle […] pour "attirer des étudiants" et "refonder l'image des universités".
Clarisse Fabre
Extrait de l'Article paru dans l'édition du Monde du 29.05.11
«La culture doit être pleinement intégrée à la politique de l'établissement»(Emmanuel Ethis, commission «culture et université»)
« Il est important que la CPU se saisisse de la question de la culture ». C'est ce que déclare Emmanuel Ethis, président de la commission « culture et université » (AEF n°138426) et de l'université d'Avignon et des Pays de Vaucluse, lors du séminaire de la CPU intitulé « la culture dans l'enseignement supérieur » et organisé jeudi 26 mai 2011 en marge des RUE (rencontres universités-entreprises), au Cnit-La Défense. Louis Vogel, président de l'université Panthéon-Assas (Paris-II) et de la CPU, estime de son côté que ce séminaire est l'occasion pour les présidents d'université de « s'engager plus avant dans des actions concrètes visant à porter la culture », mais aussi de « rendre hommage à ceux qui contribuent au foisonnement de la dimension culturelle » des universités françaises.
Les universités sont « autant de lieux pour la diffusion de la culture en France », affirme Emmanuel Ethis. Le séminaire est l'occasion de présenter le travail de la commission qu'il a présidé et de développer certaines des 128 propositions qui figurent dans le rapport remis en octobre 2010 à Valérie Pécresse, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (AEF n°138426).
« Il ne faut pas s'économiser en matière de culture et ne pas considérer cela comme un phénomène décoratif. Il faut au contraire que la culture soit pleinement intégrée à la politique de l'établissement », affirme-t-il. « Il est nécessaire que nous nous adressions aux présidents d'université pour qu'ils prennent en compte la culture » dans leurs budgets et leurs plans quinquennaux.
Extrait de la Dépêche AEF n°150693
Paris, Vendredi 27 mai 2011, 18:12:41
Culture à l'université... Peut mieux faire
Parce que les étudiants sont un peu l'angle mort des politiques culturelles. Parce que leur budget culture tourne autour de 6 ou 7 euros par mois. Parce que une trentaine d'universités en France seulement sont équipées d'un lieu conçu pour une activité artistique, galerie d'exposition, studio d'enregistrement ou salle de répétition. Parce que l'esprit ciné-club a tendance à se perdre...
Pour toutes ces raisons, il y avait urgence à rassembler des réflexions et des idées pour ancrer la culture dans l'université, de la "fac" de lettres à celle de médecine. Sans négliger les nombreuses initiatives qui existent déjà, de Montpellier à Lille, et ne demandent qu'à se répandre.
En mars 2009, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Valérie Pécresse, avait installé une commission culture et université et chargé son président, Emmanuel Ethis, sociologue et président de l'université d'Avignon, de formuler des "préconisations" pour que la culture ne soit pas qu'un "accessoire" dans un cursus.
Intitulé "De la culture à l'université, 128 propositions", le document a été remis à la ministre en octobre 2010. Il serait peut-être tombé dans l'oubli, si la Conférence des présidents d'université (CPU) n'avait décidé de le faire connaître à un plus grand nombre. Jeudi 26 mai, Emmanuel Ethis présentait une synthèse de ce travail lors d'une rencontre organisée par la CPU, à la Défense (Hauts-de-Seine) - en l'absence de Mme Pécresse et du ministre de la culture, Frédéric Mitterrand. Les 128 propositions ont été éditées (Armand Colin) et 3 000 exemplaires circulent actuellement dans les facultés. Le rapport est téléchargeable sur le "socioblog" de M. Ethis.
Entre autres pistes, il s'agirait de développer les moyens attribués aux radios étudiantes, de promouvoir un dispositif du type "étudiants au cinéma", d'organiser des cafés littéraires mensuels, de créer un statut d'étudiant associé à un festival.
Les experts vont jusqu'à proposer que les cérémonies étudiantes, comme les remises de diplôme, soient davantage ritualisées de manière à véhiculer un "imaginaire" des universités françaises...
La culture doit nourrir le rayonnement international, lit-on entre les lignes, ce que demandait la ministre dans sa lettre de mission, en mars 2009 : les campus en France doivent devenir des hauts lieux de production culturelle […] pour "attirer des étudiants" et "refonder l'image des universités".
Clarisse Fabre
Extrait de l'Article paru dans l'édition du Monde du 29.05.11
«La culture doit être pleinement intégrée à la politique de l'établissement»(Emmanuel Ethis, commission «culture et université»)
« Il est important que la CPU se saisisse de la question de la culture ». C'est ce que déclare Emmanuel Ethis, président de la commission « culture et université » (AEF n°138426) et de l'université d'Avignon et des Pays de Vaucluse, lors du séminaire de la CPU intitulé « la culture dans l'enseignement supérieur » et organisé jeudi 26 mai 2011 en marge des RUE (rencontres universités-entreprises), au Cnit-La Défense. Louis Vogel, président de l'université Panthéon-Assas (Paris-II) et de la CPU, estime de son côté que ce séminaire est l'occasion pour les présidents d'université de « s'engager plus avant dans des actions concrètes visant à porter la culture », mais aussi de « rendre hommage à ceux qui contribuent au foisonnement de la dimension culturelle » des universités françaises.
Les universités sont « autant de lieux pour la diffusion de la culture en France », affirme Emmanuel Ethis. Le séminaire est l'occasion de présenter le travail de la commission qu'il a présidé et de développer certaines des 128 propositions qui figurent dans le rapport remis en octobre 2010 à Valérie Pécresse, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (AEF n°138426).
« Il ne faut pas s'économiser en matière de culture et ne pas considérer cela comme un phénomène décoratif. Il faut au contraire que la culture soit pleinement intégrée à la politique de l'établissement », affirme-t-il. « Il est nécessaire que nous nous adressions aux présidents d'université pour qu'ils prennent en compte la culture » dans leurs budgets et leurs plans quinquennaux.
Extrait de la Dépêche AEF n°150693
Paris, Vendredi 27 mai 2011, 18:12:41
20 mai 2011
PROTOCOLE VERSUS PRIVILÈGES : deux régimes de fonctionnement au Festival de Cannes
Lorsqu’on traverse le Festival de Cannes d’une compétition à l’autre, d’une sélection à l’autre, qu’on s’attarde au Short Film Corner ou au Marché du Film, on a très vite le sentiment de faire un tour du monde d’où l’on aperçoit les nouveaux modes de représentation se mettre en œuvre(s), les nouvelles idéologies dominantes s’exprimer d’un pays à l’autre, les formes émergentes s’installer dans les marges. De la sorte, il n’existe aucun équivalent au Festival de Cannes qui jamais n’a dérogé au premier article de son règlement qui définit ainsi l’institution cinématographique : «le festival international du film a pour objet, dans un esprit d’amitié et de coopération universelle, de révéler et de mettre en valeur des œuvres de qualité en vue de servir l’évolution de l’art cinématographique et de favoriser le développement de l’industrie du film dans le monde». Les responsables de la manifestation côté artistique - Thierry Frémaux et Gilles Jacob - et côté économique - Jérôme Paillard – mettent une énergie tout à fait incroyable à consolider cette plate-forme du cinéma où, sur le plan culturel, les relations diplomatiques et politiques se rejouent chaque année en dix jours sur les quelques centaines de mètres carrés qui forment la Croisette. Cet aspect relationnel est généralement invisible et invisibilisé. Et pour cause, son invisibilité est une condition nécessaire pour garantir la réussite de la rencontre.
On imagine pourtant combien il est difficile de faire coexister dans un espace aussi réduit des représentants du monde entier où la diversité culturelle doit être préservée et tous les invités traités avec toute la reconnaissance qu’ils méritent. On imagine, dans le même sens, quelles conséquences pourraient avoir le fait qu’un invité de marque international s’aperçoive qu’il est moins bien traité qu’un autre invité d’un autre pays. Pour peu que les deux pays aient des relations diplomatiques difficiles sur d’autres plans que le plan culturel et l’on débouche sur l’incident diplomatique. De fait, le Festival de Cannes fait ressortir la place des uns et des autres en présentant une forme saisissante, lorsqu’on prend le temps de l’observer, des échanges nationaux et internationaux. Et c’est parce que le temps et l’espace de la manifestation sont délimités qu’on y ressent toujours une tension palpable qui, pour les festivaliers qui possèdent ces codes de lecture, s’impose comme un objet d’expérience concrète. Ces codes de lecture ne sont, au reste, pas très compliqués à saisir en termes de fonctionnement puisque, pour que les uns et les autres se sentent reconnus et qu’aucun heurt n’ait lieu, ce sont le protocole de la république et le protocole diplomatique qui régulent l’étiquette et la préséance. On respecte la règle et chacun voit sa place définie. Quand les demandes pour assister à une projection très attendue excèdent l’offre de places d’une salle, on admet alors le sens des priorités.
Ce qui fonctionne fort bien dans le Palais des Festivals ou dans les grands palaces tend à disparaître sur certains autres lieux qui espèrent tirer bénéfice de leur présence cannoise. On trouve les exemples les plus saisissant lorsque certaines grandes chaines de TV tentent de faire du terrain cannois leur terrain de jeu ou de promotion. Cela surprend un peu sur le sens de l’expression en actes que tente de donner ces entreprises d’elles-mêmes… Un peu, un court moment. Car l’on comprend très vite que l’on entre là dans un tout autre régime. Celui du marketing et de la communication dévoyée où pour exister, l’on substitue au protocole diplomatique un système de privilèges. Ces chaines qui n’ont quelquefois qu’un lointain rapport avec le cinéma investissent dans l’organisation de fête pour exister à Cannes en recréant là une sorte de "monde de la nuit". À l’entrée de ces fêtes le régime protocolaire laisse définitivement la place au régime des privilèges par lequel, ceux qui en sont les instigateurs d’un soir font montre d’un pouvoir symbolique bien dérisoire : «toi tu rentres, toi tu rentres pas»… Ce pouvoir de physionomistes de boites de nuit qui s’assoie sur le respect de tout type de protocole semble procurer à ceux qui l’exercent une jouissance certaine lorsqu’ils préfèrent faire entrer au faciès. Curieusement se recréée là un espace privé qui n’a plus grand chose à voir avec l’espace public. C’est une question que le sociologue Norbert Elias avait commencé à développer dans son bel ouvrage La société de Cour. Une société qui substitue à son protocole un régime de privilèges signe à la fois sa faiblesse et ses failles. Elle est la porte ouverte à toutes les violences symboliques.
Protocole versus privilèges. Lorsque Lars von Trier prétend «comprendre Hitler» en conférence de presse, la direction du Festival de Cannes, force protocolaire oblige, va réagir en réunissant un Conseil d’Administration qui va déclarer le réalisateur «persona non grata» au Festival de Cannes «avec effet immédiat». Dans les fêtes de la chaine cryptée, au contraire, on va encore trouver une minorité qui pense qu’en prenant le parti de l’artiste dont il faudrait saisir le « joke » et la provocation on exprime son appartenance à une soi-disant avant-garde décalée. Protocole versus privilèges. Il arrive que ce petit monde cannois fasse penser à notre société tout entière où les cartes, lorsqu’elles se brouillent, déhiérarchisent le sens même de ce que l’on appelle nos valeurs. Cette semaine, le président de la Région Île-de-France présent à Cannes, a refusé de monter les marches « par solidarité » avec Dominique Strauss-Kahn. Les articles de presse qui ont rapporté ses propos ne précisent pas s’il s’est aussi abstenu de participer à la fête de la chaine cryptée. Protocole versus privilèges. Seuls ceux qui étaient de la fête le savent.
[La version définitive de ce texte est à retrouver sur le site Paris-Louxor]
On imagine pourtant combien il est difficile de faire coexister dans un espace aussi réduit des représentants du monde entier où la diversité culturelle doit être préservée et tous les invités traités avec toute la reconnaissance qu’ils méritent. On imagine, dans le même sens, quelles conséquences pourraient avoir le fait qu’un invité de marque international s’aperçoive qu’il est moins bien traité qu’un autre invité d’un autre pays. Pour peu que les deux pays aient des relations diplomatiques difficiles sur d’autres plans que le plan culturel et l’on débouche sur l’incident diplomatique. De fait, le Festival de Cannes fait ressortir la place des uns et des autres en présentant une forme saisissante, lorsqu’on prend le temps de l’observer, des échanges nationaux et internationaux. Et c’est parce que le temps et l’espace de la manifestation sont délimités qu’on y ressent toujours une tension palpable qui, pour les festivaliers qui possèdent ces codes de lecture, s’impose comme un objet d’expérience concrète. Ces codes de lecture ne sont, au reste, pas très compliqués à saisir en termes de fonctionnement puisque, pour que les uns et les autres se sentent reconnus et qu’aucun heurt n’ait lieu, ce sont le protocole de la république et le protocole diplomatique qui régulent l’étiquette et la préséance. On respecte la règle et chacun voit sa place définie. Quand les demandes pour assister à une projection très attendue excèdent l’offre de places d’une salle, on admet alors le sens des priorités.
Ce qui fonctionne fort bien dans le Palais des Festivals ou dans les grands palaces tend à disparaître sur certains autres lieux qui espèrent tirer bénéfice de leur présence cannoise. On trouve les exemples les plus saisissant lorsque certaines grandes chaines de TV tentent de faire du terrain cannois leur terrain de jeu ou de promotion. Cela surprend un peu sur le sens de l’expression en actes que tente de donner ces entreprises d’elles-mêmes… Un peu, un court moment. Car l’on comprend très vite que l’on entre là dans un tout autre régime. Celui du marketing et de la communication dévoyée où pour exister, l’on substitue au protocole diplomatique un système de privilèges. Ces chaines qui n’ont quelquefois qu’un lointain rapport avec le cinéma investissent dans l’organisation de fête pour exister à Cannes en recréant là une sorte de "monde de la nuit". À l’entrée de ces fêtes le régime protocolaire laisse définitivement la place au régime des privilèges par lequel, ceux qui en sont les instigateurs d’un soir font montre d’un pouvoir symbolique bien dérisoire : «toi tu rentres, toi tu rentres pas»… Ce pouvoir de physionomistes de boites de nuit qui s’assoie sur le respect de tout type de protocole semble procurer à ceux qui l’exercent une jouissance certaine lorsqu’ils préfèrent faire entrer au faciès. Curieusement se recréée là un espace privé qui n’a plus grand chose à voir avec l’espace public. C’est une question que le sociologue Norbert Elias avait commencé à développer dans son bel ouvrage La société de Cour. Une société qui substitue à son protocole un régime de privilèges signe à la fois sa faiblesse et ses failles. Elle est la porte ouverte à toutes les violences symboliques.
Protocole versus privilèges. Lorsque Lars von Trier prétend «comprendre Hitler» en conférence de presse, la direction du Festival de Cannes, force protocolaire oblige, va réagir en réunissant un Conseil d’Administration qui va déclarer le réalisateur «persona non grata» au Festival de Cannes «avec effet immédiat». Dans les fêtes de la chaine cryptée, au contraire, on va encore trouver une minorité qui pense qu’en prenant le parti de l’artiste dont il faudrait saisir le « joke » et la provocation on exprime son appartenance à une soi-disant avant-garde décalée. Protocole versus privilèges. Il arrive que ce petit monde cannois fasse penser à notre société tout entière où les cartes, lorsqu’elles se brouillent, déhiérarchisent le sens même de ce que l’on appelle nos valeurs. Cette semaine, le président de la Région Île-de-France présent à Cannes, a refusé de monter les marches « par solidarité » avec Dominique Strauss-Kahn. Les articles de presse qui ont rapporté ses propos ne précisent pas s’il s’est aussi abstenu de participer à la fête de la chaine cryptée. Protocole versus privilèges. Seuls ceux qui étaient de la fête le savent.
[La version définitive de ce texte est à retrouver sur le site Paris-Louxor]
18 mai 2011
CANNES 2011, quelques contributions sociologiques...
Sur le site de Paris-Louxor, on retrouvera toutes les contributions de la jeune équipe de sociologues installées à Cannes cette année, doctorants inscrits sous ma direction. L'on trouvera également un texte que j'ai écrit avec Damien Malinas et qui fait référence à notre première enquête cannoise sur les sosies. Il s'intitule : "La vraie disparition d'Elizabeth Taylor". J'ai également consacré un texte au régimes protocolaires des fonctionnements cannois. Enfin on pourra deux autres contributions de Damien Malinas sur les toilettes du Festival et sur le Magic Garden. Vous pouvez consulter l'ensemble de ces textes en cliquant ici et profitez-en pour vous attarder sur ce site particulièrement intéressant.Sur le site de l'Express, on trouvera un petit article sur notre travail sociologique actuel au Festival de Cannes. Un article signé Julien Welter intitulé "Cannes vu par un sociologue" que l'on peut consulté en cliquant ici. On pourra aussi consulter le supplément Cannes de l'express signé du même journaliste autour des films qui mettent en scène des collectifs.
01 mai 2011
"LES INÉGALITÉS SONT PLUS FORTES QUE JAMAIS !": un entretien avec Sylvain Bourmeau et René Solis pour le quotiden Libération à propos du bilan du Conseil de la Création Artistique
Déjeuner d’adieu, vendredi à l’Elysée : Nicolas Sarkozy recevait Marin Karmitz et les membres du Conseil de la création artistique, venus remettre au Président leur bilan et leur tablier. En deux ans et quelque d’existence, le Conseil aura eu le temps d’impulser seize projets d’envergure variable et d’en réaliser douze.
Sociologue, président de l’université d’Avignon et membre du Conseil, Emmanuel Ethis en dresse le principe et le bilan.
Libération : COMMENT LA DÉCISION D’ARRÊTER A-T-ELLE ÉTÉ PRISE ?
Emmanuel Ethis : La création du Conseil n’avait été accompagnée d’aucune préconisation de durée, seulement d’une incitation à réfléchir. La décision de mettre un terme à notre mission a été prise collectivement, après quelques mois de maturation. Nous avons estimé qu’avec seize projets pilotes expérimentaux, notre mission était remplie. Cela n’avait pas de sens d’en d’empiler des milliers.
Libération : CE N’EST PAS SI FRÉQUENT, QU’UN ORGANISME DÉCIDE DE S’AUTODISSOUDRE…
E.E. : Le but du jeu n’était pas de durer à tout prix. Il nous fallait réfléchir sur des territoires en friche, nous interroger sur la démocratisation culturelle, sur la circulation des idées à l’étranger. Tous les membres du Conseil étaient bénévoles, et nous avons eu une totale liberté. Et je crois que tous étaient habités par le sens de l’intérêt général. Nous nous sommes rapidement mis d’accord sur une logique de travail en trois temps : réfléchir à des projets, les expérimenter et les évaluer. Nous ne prétendions pas être un opérateur culturel, sûrement pas un ministère de la Culture bis ; seulement un laboratoire d’idées, hors du temps politique.
Libération : VOUS N’AVEZ PAS LE SENTIMENT D’AVOIR ÉTÉ INSTRUMENTALISÉS PAR SARKOZY ?
E.E. : Non. Et Marin Karmitz ne donne pas précisément le sentiment d’être instrumentalisable.
Libération : LE CONSEIL N’A POURTANT PAS ÉTÉ ÉPARGNÉ PAR LES CRITIQUES...
E.E. : La critique est normale et toute instance doit s’y soumettre, il ne faudrait pas néanmoins que ces critiques oblitèrent le positif.
Libération : JUSTEMENT, QUE RETENEZ-VOUS ?
E.E. : Beaucoup de choses : le festival Imaginez maintenant, tourné vers les créateurs de moins de 30 ans, l’Orchestre des jeunes… En tant qu’universitaire, je me sens fortement interpellé par tout notre système de formation, et par la question de l’émergence des nouveaux talents. A l’université d’Avignon, 48 % des étudiants sont boursiers et 70 % travaillent. Je vois de vrais talents autour de moi et je sais pourtant que beaucoup ne trouveront pas les débouchés à la hauteur de leurs capacités. Je constate que beaucoup d’institutions culturelles sont tenues par une génération qui s’ouvre peu aux jeunes. Le projet de cinémathèque de l’étudiant, que j’ai défendu, s’inscrit dans cette réflexion. Il existe en France un climat de suspicion que l’Hadopi symbolise très bien. Avec des internautes considérés comme des pirates en puissance. Les étudiants ont vécu cela comme une agression. Il faut sortir de l’environnement répressif. La cinémathèque de l’étudiant vise cela : ouvrir le plus largement possible l’accès aux œuvres et à la documentation. Au nom de la «protection» des œuvres, on voudrait priver les nouvelles générations d’accéder aux films ! Qu’est-ce que cela veut dire, alors qu’on sait qu’un étudiant n’a en moyenne pas plus de 6 ou 7 euros par mois à consacrer à la culture, soit moins que le prix d’une place de cinéma ?
Libération : LA DÉMOCRATISATION CULTURELLE EST-ELLE EN PANNE ?
E.E. : Les inégalités sont plus fortes que jamais. Mais elles prennent des formes nouvelles et nous obligent à réfléchir autrement. Ainsi, l’opposition entre «haute» et «basse culture», telle que développée par Bourdieu, ne correspond plus vraiment à ce que l’on observe. On entre en culture par des tas de chemins, dans un monde de croisements où chacun se forge ses expériences. L’inégalité d’accès à la culture frappe particulièrement les étudiants et les gens qui gagnent moins de 1 000 euros par mois. Et il ne faut pas imaginer que c’est parce qu’ils n’en ont pas envie, ou par faute d’accompagnement, ou parce qu’ils manquent des outils pour comprendre. Non, tout simplement, ils ne peuvent pas. Et il ne faut surtout pas se réfugier derrière l’idée qu’Internet permettrait l’accès à la culture pour tous.
L’exemple du Festival d’Avignon est édifiant : rien ne remplace le fait d’être ensemble, la parole, les débats, les conflits, le souvenir qu’offre l’expérience d’un spectacle vivant. C’est ainsi que l’on se forge une identité culturelle personnelle. Et c’est là que les inégalités sont fortes.
Libération : PENSEZ-VOUS QUE LES POLITIQUES NE RÉPONDENT PAS À CES QUESTIONS ?
E.E. : Il faudrait admettre que la culture est aussi une question de justice sociale, pas moins importante que l’accès à l’éducation et à la santé.
(Entretien conduit par Sylvain Bourmeau et René Solis à retrouver en intégralité dans le quotidien Libération du 30 avril 2011 ou en cliquant ici)
Sociologue, président de l’université d’Avignon et membre du Conseil, Emmanuel Ethis en dresse le principe et le bilan.
Libération : COMMENT LA DÉCISION D’ARRÊTER A-T-ELLE ÉTÉ PRISE ?
Emmanuel Ethis : La création du Conseil n’avait été accompagnée d’aucune préconisation de durée, seulement d’une incitation à réfléchir. La décision de mettre un terme à notre mission a été prise collectivement, après quelques mois de maturation. Nous avons estimé qu’avec seize projets pilotes expérimentaux, notre mission était remplie. Cela n’avait pas de sens d’en d’empiler des milliers.
Libération : CE N’EST PAS SI FRÉQUENT, QU’UN ORGANISME DÉCIDE DE S’AUTODISSOUDRE…
E.E. : Le but du jeu n’était pas de durer à tout prix. Il nous fallait réfléchir sur des territoires en friche, nous interroger sur la démocratisation culturelle, sur la circulation des idées à l’étranger. Tous les membres du Conseil étaient bénévoles, et nous avons eu une totale liberté. Et je crois que tous étaient habités par le sens de l’intérêt général. Nous nous sommes rapidement mis d’accord sur une logique de travail en trois temps : réfléchir à des projets, les expérimenter et les évaluer. Nous ne prétendions pas être un opérateur culturel, sûrement pas un ministère de la Culture bis ; seulement un laboratoire d’idées, hors du temps politique.
Libération : VOUS N’AVEZ PAS LE SENTIMENT D’AVOIR ÉTÉ INSTRUMENTALISÉS PAR SARKOZY ?
E.E. : Non. Et Marin Karmitz ne donne pas précisément le sentiment d’être instrumentalisable.
Libération : LE CONSEIL N’A POURTANT PAS ÉTÉ ÉPARGNÉ PAR LES CRITIQUES...
E.E. : La critique est normale et toute instance doit s’y soumettre, il ne faudrait pas néanmoins que ces critiques oblitèrent le positif.
Libération : JUSTEMENT, QUE RETENEZ-VOUS ?
E.E. : Beaucoup de choses : le festival Imaginez maintenant, tourné vers les créateurs de moins de 30 ans, l’Orchestre des jeunes… En tant qu’universitaire, je me sens fortement interpellé par tout notre système de formation, et par la question de l’émergence des nouveaux talents. A l’université d’Avignon, 48 % des étudiants sont boursiers et 70 % travaillent. Je vois de vrais talents autour de moi et je sais pourtant que beaucoup ne trouveront pas les débouchés à la hauteur de leurs capacités. Je constate que beaucoup d’institutions culturelles sont tenues par une génération qui s’ouvre peu aux jeunes. Le projet de cinémathèque de l’étudiant, que j’ai défendu, s’inscrit dans cette réflexion. Il existe en France un climat de suspicion que l’Hadopi symbolise très bien. Avec des internautes considérés comme des pirates en puissance. Les étudiants ont vécu cela comme une agression. Il faut sortir de l’environnement répressif. La cinémathèque de l’étudiant vise cela : ouvrir le plus largement possible l’accès aux œuvres et à la documentation. Au nom de la «protection» des œuvres, on voudrait priver les nouvelles générations d’accéder aux films ! Qu’est-ce que cela veut dire, alors qu’on sait qu’un étudiant n’a en moyenne pas plus de 6 ou 7 euros par mois à consacrer à la culture, soit moins que le prix d’une place de cinéma ?
Libération : LA DÉMOCRATISATION CULTURELLE EST-ELLE EN PANNE ?
E.E. : Les inégalités sont plus fortes que jamais. Mais elles prennent des formes nouvelles et nous obligent à réfléchir autrement. Ainsi, l’opposition entre «haute» et «basse culture», telle que développée par Bourdieu, ne correspond plus vraiment à ce que l’on observe. On entre en culture par des tas de chemins, dans un monde de croisements où chacun se forge ses expériences. L’inégalité d’accès à la culture frappe particulièrement les étudiants et les gens qui gagnent moins de 1 000 euros par mois. Et il ne faut pas imaginer que c’est parce qu’ils n’en ont pas envie, ou par faute d’accompagnement, ou parce qu’ils manquent des outils pour comprendre. Non, tout simplement, ils ne peuvent pas. Et il ne faut surtout pas se réfugier derrière l’idée qu’Internet permettrait l’accès à la culture pour tous.
L’exemple du Festival d’Avignon est édifiant : rien ne remplace le fait d’être ensemble, la parole, les débats, les conflits, le souvenir qu’offre l’expérience d’un spectacle vivant. C’est ainsi que l’on se forge une identité culturelle personnelle. Et c’est là que les inégalités sont fortes.
Libération : PENSEZ-VOUS QUE LES POLITIQUES NE RÉPONDENT PAS À CES QUESTIONS ?
E.E. : Il faudrait admettre que la culture est aussi une question de justice sociale, pas moins importante que l’accès à l’éducation et à la santé.
(Entretien conduit par Sylvain Bourmeau et René Solis à retrouver en intégralité dans le quotidien Libération du 30 avril 2011 ou en cliquant ici)
27 avril 2011
CONSEIL DE LA CRÉATION ARTISTIQUE : quelles lignes pour le politique et la culture à venir ?
Après plusieurs mois de travail bénévole et plus d'un an avant les échéances électorales présidentielles de notre pays, le Conseil de la Création Artistique a choisi d'arrêter son activité et de mettre sur la table du politique un bilan visant à réfléchir ce que devrait être les lignes les plus stratégiques pour repenser l'avenir culturel et artistique de la France. Voici les cinq axes principaux et récapitulatifs qui fondent ses principales préconisations (nota : en cliquant sur le titre de cet article, on accède au bilan entier du CCA) :
1. Promouvoir la créativité des jeunes générations
La première édition d’imaginez maintenant a été initiée par le Conseil, à partir d’une commande de Martin Hirsch alors Haut commissaire à la Jeunesse. Du 1er au 4 juillet 2010, nous avons organisé dans neuf villes de France métropolitaines et d’Outre-mer une manifesta-
tion nationale dont l’objectif était de repérer et rendre visible la créativité des jeunes de toutes disciplines et métiers d’art confondus. Mille deux cents jeunes artistes de moins de trente ans ont investi dans chaque ville un lieu de patrimoine pour lui donner vie par la force de leurs imaginaires et de leurs créations. Mille six cents étudiants ont été impliqués dans la conduite du projet dans le cadre de leur cursus pédagogique. Plus de trois cents propositions artistiques ont été présentées au public. Imaginez Maintenant a été l’op- portunité pour 63 % des artistes présents de créer une œuvre entièrement nouvelle. L’adhésion du public et des jeunes artistes à la manifestation est venue conforter l’intuition première d’Imaginez maintenant : la créativité de la jeunesse est multiple, foisonnante et décloisonnée ; elle a besoin d’être soutenue et accom- pagnée par des projets d’envergure qui la rendent visible au plus grand nombre. 94 % des visiteurs ont estimé qu’il fallait rééditer ce type de manifestation pour valoriser les jeunes créateurs. Cent mille visiteurs de tous âges ont assisté à la manifestation.
2. Relier le réel et le virtuel, outil de démocratisation culturelle
Le numérique est l’instrument par excellence de la transversalité: il permet notamment aux artistes de transférer la valeur créative de leurs œuvres sur un support à dimension mondiale et de mettre la culture à la portée de tous. Le numérique doit devenir, pour le monde de la culture, une création à part entière avec son propre langage, pour que les œuvres aillent à la rencontre de tous les publics et surtout de ceux qui aujourd’hui ne fréquentent pas spontanément les institutions culturelles. Les services publics de la télé- vision devront largement y participer.
Le Conseil a élaboré, en partenariat avec la Réunion des Musées Nationaux, à l’occasion de l’exposition Monet au Grand Palais, un site www.monet2010.com: il s’agit d’un programme d’informations de qualité, de visite virtuelle de l’exposition et de plusieurs complé- ments ludiques. Entre septembre 2010 et février 2011, le site, disponible en cinq langues, a reçu plus de 2,5 millions de visites pour une durée moyenne de connexion de 7 à 8 minutes. Il a été récompensé par deux prix (un prix dans la catégorie Sites événemen- tiels et le Prix Spécial) au Grand Prix Stratégie /Amaury Médias 2011 attribués chaque année aux meilleurs dispositifs digitaux.
Le Centre Pompidou mobile est un espace d’exposi- tion nomade du Centre Pompidou, de 1000m2 qui se déplace de région en région pour permettre l’accés aux œuvres originales à tous ceux qui en sont éloignés. Le Centre Pompidou Mobile devrait être inauguré à l’automne 2011 avec une exposition sur le thème de la couleur.
Le Conseil a proposé à l’État et la Ville de Paris, de valoriser pleinement les atouts de la ville et de lui redonner sa place de capitale mondiale de l’art. Paris Ouest Cultures aurait pour centre la Tour Eiffel qui serait reliée aux établissements culturels de premier plan qui l’entourent : la Cité de l’architecture et du patrimoine, universcience, l’établissement public de la Rmn et du Grand Palais, la Mona Bismark Foundation, le musée d’Art moderne de la Ville de Paris, le musée Galliera, le musée Guimet, le musée de l’Homme, le musée national de la Marine, le musée du Quai Branly, le Palais de Tokyo, le Petit Palais (musée des beaux-arts de la Ville de Paris), le Théâtre national de Chaillot, le Théâtre des Champs-Élysées. Il faudrait aussi compter sur l’implantation proche des grandes salles de vente (Christies, Sotheby’s, Artcurial, Drouot Montaigne)...
Une association réunissant l’État, la Ville de Paris et ces diverses institutions devrait être mise en place pour mener à bien des actions communes allant de la création d’un site Internet commun à des événements à vocation internationale plusieurs fois par an.
3. initier les jeunes générations à la culture
Avec le soutien du Ministère de la Ville et de Mécénat Musical Société Générale, le Conseil de la création artistique a initié l’Orchestre des jeunes DEMOS. Il s’agit d’un projet d’éducation musicale et orchestrale rassemblant 450 jeunes âgés de 7 à 12 ans sans pratique musicale antérieure. Il a débuté en janvier 2010 et se développe sur trois ans. Cette expérimentation est encadrée par des musiciens professionnels de l’Orchestre de Paris et de l’Orchestre Symphonique Divertimento, des pédagogues, des animateurs et des éducateurs sociaux. Ce dispositif, unique en France, est basé sur un apprentissage très intensif et encadré de la pratique orchestrale, en direction de jeunes habitants des quartiers populaires de la capitale et proche de Paris, ne disposant pas des ressources économiques, sociales ou culturelles pour pratiquer et découvrir la musique classique dans les institutions existantes. Une démarche innovante a été élaborée, associant une pédagogie collective et un suivi social et éducatif très appuyé, impliquant, outre les musiciens professionnels, de nombreux experts du champ social. Deux concerts ont eu lieu en juillet 2010 à la salle Pleyel à Paris.
Les évaluateurs jugent que la transmission du goût pour l’apprentissage d’un instrument, dans le cadre du projet DEMOS, est une réussite. Le taux de satisfaction des enfants s’élève à 85 % (alors que seulement 15 % d’entre eux ont abandonné). L’envie de continuer d’apprendre est partagée par une très large majorité des enfants. L’adhésion au dispositif de la part des musiciens, des travailleurs sociaux et des collectivités repose sur la complémentarité des compétences - sociales, éducatives et musicales - mises en œuvre dans ce projet. Les évaluateurs signalent également une forte adhésion des trente cinq structures socia- les participantes : l’Orchestre des jeunes DEMOS est considéré comme un véritable outil éducatif permet- tant l’apprentissage de l’assiduité, de la concentration, du respect de l’autre, de la socialisation et de l’écoute. Enfin, les évaluateurs soulignent que le projet favorise le développement de liens sociaux entre les familles et les habitants, les enfants et les équipes éducatives, certains quartiers cloisonnés, et entre les jeunes et les institutions.
Avec l’aide du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, le Conseil a soutenu la création d’une Cinémathèque en ligne pour les étudiants. Il s’agit de former les spectateurs de demain et de préserver la diversité de la production cinématographique. En 2011, s’ouvrira la Cinémathèque de l’Etudiant, plateforme numérique en VOD grâce à laquelle chaque étudiant pourra visionner gratuitement 451 films du
patrimoine mondial du cinéma. Concrètement, au moment de l’inscription en faculté, les 2,2 millions d’étudiants des 85 universités françaises auront un code d’accès à leur espace numérique personnel qui leur permettra de consulter sur leur ordinateur le catalogue de longs-métrages via un travelling sur l’histoire du cinéma. Un comité de sélection a fait des choix, qui vont du muet jusqu’à nos jours, avec un contenu éditorialisé, élaboré par des spécialistes du cinéma. L’offre de films proposera une découverte du patrimoine du cinéma mondial, elle s’adressera à tous les étudiants, aux mathématiciens comme aux philosophes. Les étudiants pourront découvrir les films dans leur contexte historique et artistique. La conception du site de la cinémathèque tient compte d’une étude menée auprès d’étudiants pour s’inscrire dans les habitudes des digital natives, elle sera ludique et participative. Mais elle devra servir également aux professeurs et aux étudiants comme une « aide aux devoirs » et proposer des contenus pédagogiques conséquents.
4. les échanges culturels avec les pays étrangers
La reconnaissance et la diffusion de la culture française à l’étranger font partie intégrante de la transversalité. Afin de favoriser la circulation de notre culture, il s’agit de se mettre à l’écoute des pays étrangers et d’identifier ce qui, dans la création contemporaine française, éveille l’intérêt de leur public pour créer les conditions d’un véritable dialogue.
C’est cette démarche qui a guidé le projet Walls and bridges: une série d’événements à New York autour des sciences humaines et sociales. La programmation a été établie grâce à un travail d’enquête de plus d’un an mené par Guy Walter et son équipe de la Villa Gillet auprès d’intellectuels, de journalistes et d’universitai-res américains. Trois éditions ont été programmées: en janvier, au printemps et à l’automne 2011. La première saison de Walls and Bridges a d’ores et déjà rassemblé 42 personnalités américaines et françaises dans 8 lieux différents de New York (dont la presti- gieuse New York Public Library). 1 500 auditeurs ont déjà assisté à ces débats intellectuels de très haute tenue dont 74 % de citoyens des États-Unis, parmi lesquels 69 % ne fréquentaient jamais ou rarement des événements liés à la culture française. 87 % des participants ont déclaré que les débats étaient intellectuellement stimulants et 79 % très novateurs. Cette manifestation a été très bien relayée par le New York Times et le New Yorker.
Le Conseil de la Création a soutenu le projet de coopération franco-algérienne pour le développement d’échanges artistiques en faveur de la danse porté par abou et nawal lagraa. Ceux-ci ont formé la première compagnie de danse contemporaine algérienne en collaboration avec le Ballet national algérien. Nya, leur première création a été représentée le 18 septembre 2010 à Alger.
5. le financement de la culture
La transversalité concerne aussi les modes de finance- ment entre les secteurs privé et public. Face à la crise économique et la stagnation des moyens financiers de l’État, il faut se préoccuper d’articuler les fonds privés et publics. Les fonds de dotation sont particulièrement adaptés à cet usage. C’est pourquoi le Conseil a mené une étude dans ce domaine concernant son propre fonctionnement.
1. Promouvoir la créativité des jeunes générations
La première édition d’imaginez maintenant a été initiée par le Conseil, à partir d’une commande de Martin Hirsch alors Haut commissaire à la Jeunesse. Du 1er au 4 juillet 2010, nous avons organisé dans neuf villes de France métropolitaines et d’Outre-mer une manifesta-
tion nationale dont l’objectif était de repérer et rendre visible la créativité des jeunes de toutes disciplines et métiers d’art confondus. Mille deux cents jeunes artistes de moins de trente ans ont investi dans chaque ville un lieu de patrimoine pour lui donner vie par la force de leurs imaginaires et de leurs créations. Mille six cents étudiants ont été impliqués dans la conduite du projet dans le cadre de leur cursus pédagogique. Plus de trois cents propositions artistiques ont été présentées au public. Imaginez Maintenant a été l’op- portunité pour 63 % des artistes présents de créer une œuvre entièrement nouvelle. L’adhésion du public et des jeunes artistes à la manifestation est venue conforter l’intuition première d’Imaginez maintenant : la créativité de la jeunesse est multiple, foisonnante et décloisonnée ; elle a besoin d’être soutenue et accom- pagnée par des projets d’envergure qui la rendent visible au plus grand nombre. 94 % des visiteurs ont estimé qu’il fallait rééditer ce type de manifestation pour valoriser les jeunes créateurs. Cent mille visiteurs de tous âges ont assisté à la manifestation.
2. Relier le réel et le virtuel, outil de démocratisation culturelle
Le numérique est l’instrument par excellence de la transversalité: il permet notamment aux artistes de transférer la valeur créative de leurs œuvres sur un support à dimension mondiale et de mettre la culture à la portée de tous. Le numérique doit devenir, pour le monde de la culture, une création à part entière avec son propre langage, pour que les œuvres aillent à la rencontre de tous les publics et surtout de ceux qui aujourd’hui ne fréquentent pas spontanément les institutions culturelles. Les services publics de la télé- vision devront largement y participer.
Le Conseil a élaboré, en partenariat avec la Réunion des Musées Nationaux, à l’occasion de l’exposition Monet au Grand Palais, un site www.monet2010.com: il s’agit d’un programme d’informations de qualité, de visite virtuelle de l’exposition et de plusieurs complé- ments ludiques. Entre septembre 2010 et février 2011, le site, disponible en cinq langues, a reçu plus de 2,5 millions de visites pour une durée moyenne de connexion de 7 à 8 minutes. Il a été récompensé par deux prix (un prix dans la catégorie Sites événemen- tiels et le Prix Spécial) au Grand Prix Stratégie /Amaury Médias 2011 attribués chaque année aux meilleurs dispositifs digitaux.
Le Centre Pompidou mobile est un espace d’exposi- tion nomade du Centre Pompidou, de 1000m2 qui se déplace de région en région pour permettre l’accés aux œuvres originales à tous ceux qui en sont éloignés. Le Centre Pompidou Mobile devrait être inauguré à l’automne 2011 avec une exposition sur le thème de la couleur.
Le Conseil a proposé à l’État et la Ville de Paris, de valoriser pleinement les atouts de la ville et de lui redonner sa place de capitale mondiale de l’art. Paris Ouest Cultures aurait pour centre la Tour Eiffel qui serait reliée aux établissements culturels de premier plan qui l’entourent : la Cité de l’architecture et du patrimoine, universcience, l’établissement public de la Rmn et du Grand Palais, la Mona Bismark Foundation, le musée d’Art moderne de la Ville de Paris, le musée Galliera, le musée Guimet, le musée de l’Homme, le musée national de la Marine, le musée du Quai Branly, le Palais de Tokyo, le Petit Palais (musée des beaux-arts de la Ville de Paris), le Théâtre national de Chaillot, le Théâtre des Champs-Élysées. Il faudrait aussi compter sur l’implantation proche des grandes salles de vente (Christies, Sotheby’s, Artcurial, Drouot Montaigne)...
Une association réunissant l’État, la Ville de Paris et ces diverses institutions devrait être mise en place pour mener à bien des actions communes allant de la création d’un site Internet commun à des événements à vocation internationale plusieurs fois par an.
3. initier les jeunes générations à la culture
Avec le soutien du Ministère de la Ville et de Mécénat Musical Société Générale, le Conseil de la création artistique a initié l’Orchestre des jeunes DEMOS. Il s’agit d’un projet d’éducation musicale et orchestrale rassemblant 450 jeunes âgés de 7 à 12 ans sans pratique musicale antérieure. Il a débuté en janvier 2010 et se développe sur trois ans. Cette expérimentation est encadrée par des musiciens professionnels de l’Orchestre de Paris et de l’Orchestre Symphonique Divertimento, des pédagogues, des animateurs et des éducateurs sociaux. Ce dispositif, unique en France, est basé sur un apprentissage très intensif et encadré de la pratique orchestrale, en direction de jeunes habitants des quartiers populaires de la capitale et proche de Paris, ne disposant pas des ressources économiques, sociales ou culturelles pour pratiquer et découvrir la musique classique dans les institutions existantes. Une démarche innovante a été élaborée, associant une pédagogie collective et un suivi social et éducatif très appuyé, impliquant, outre les musiciens professionnels, de nombreux experts du champ social. Deux concerts ont eu lieu en juillet 2010 à la salle Pleyel à Paris.
Les évaluateurs jugent que la transmission du goût pour l’apprentissage d’un instrument, dans le cadre du projet DEMOS, est une réussite. Le taux de satisfaction des enfants s’élève à 85 % (alors que seulement 15 % d’entre eux ont abandonné). L’envie de continuer d’apprendre est partagée par une très large majorité des enfants. L’adhésion au dispositif de la part des musiciens, des travailleurs sociaux et des collectivités repose sur la complémentarité des compétences - sociales, éducatives et musicales - mises en œuvre dans ce projet. Les évaluateurs signalent également une forte adhésion des trente cinq structures socia- les participantes : l’Orchestre des jeunes DEMOS est considéré comme un véritable outil éducatif permet- tant l’apprentissage de l’assiduité, de la concentration, du respect de l’autre, de la socialisation et de l’écoute. Enfin, les évaluateurs soulignent que le projet favorise le développement de liens sociaux entre les familles et les habitants, les enfants et les équipes éducatives, certains quartiers cloisonnés, et entre les jeunes et les institutions.
Avec l’aide du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, le Conseil a soutenu la création d’une Cinémathèque en ligne pour les étudiants. Il s’agit de former les spectateurs de demain et de préserver la diversité de la production cinématographique. En 2011, s’ouvrira la Cinémathèque de l’Etudiant, plateforme numérique en VOD grâce à laquelle chaque étudiant pourra visionner gratuitement 451 films du
patrimoine mondial du cinéma. Concrètement, au moment de l’inscription en faculté, les 2,2 millions d’étudiants des 85 universités françaises auront un code d’accès à leur espace numérique personnel qui leur permettra de consulter sur leur ordinateur le catalogue de longs-métrages via un travelling sur l’histoire du cinéma. Un comité de sélection a fait des choix, qui vont du muet jusqu’à nos jours, avec un contenu éditorialisé, élaboré par des spécialistes du cinéma. L’offre de films proposera une découverte du patrimoine du cinéma mondial, elle s’adressera à tous les étudiants, aux mathématiciens comme aux philosophes. Les étudiants pourront découvrir les films dans leur contexte historique et artistique. La conception du site de la cinémathèque tient compte d’une étude menée auprès d’étudiants pour s’inscrire dans les habitudes des digital natives, elle sera ludique et participative. Mais elle devra servir également aux professeurs et aux étudiants comme une « aide aux devoirs » et proposer des contenus pédagogiques conséquents.
4. les échanges culturels avec les pays étrangers
La reconnaissance et la diffusion de la culture française à l’étranger font partie intégrante de la transversalité. Afin de favoriser la circulation de notre culture, il s’agit de se mettre à l’écoute des pays étrangers et d’identifier ce qui, dans la création contemporaine française, éveille l’intérêt de leur public pour créer les conditions d’un véritable dialogue.
C’est cette démarche qui a guidé le projet Walls and bridges: une série d’événements à New York autour des sciences humaines et sociales. La programmation a été établie grâce à un travail d’enquête de plus d’un an mené par Guy Walter et son équipe de la Villa Gillet auprès d’intellectuels, de journalistes et d’universitai-res américains. Trois éditions ont été programmées: en janvier, au printemps et à l’automne 2011. La première saison de Walls and Bridges a d’ores et déjà rassemblé 42 personnalités américaines et françaises dans 8 lieux différents de New York (dont la presti- gieuse New York Public Library). 1 500 auditeurs ont déjà assisté à ces débats intellectuels de très haute tenue dont 74 % de citoyens des États-Unis, parmi lesquels 69 % ne fréquentaient jamais ou rarement des événements liés à la culture française. 87 % des participants ont déclaré que les débats étaient intellectuellement stimulants et 79 % très novateurs. Cette manifestation a été très bien relayée par le New York Times et le New Yorker.
Le Conseil de la Création a soutenu le projet de coopération franco-algérienne pour le développement d’échanges artistiques en faveur de la danse porté par abou et nawal lagraa. Ceux-ci ont formé la première compagnie de danse contemporaine algérienne en collaboration avec le Ballet national algérien. Nya, leur première création a été représentée le 18 septembre 2010 à Alger.
5. le financement de la culture
La transversalité concerne aussi les modes de finance- ment entre les secteurs privé et public. Face à la crise économique et la stagnation des moyens financiers de l’État, il faut se préoccuper d’articuler les fonds privés et publics. Les fonds de dotation sont particulièrement adaptés à cet usage. C’est pourquoi le Conseil a mené une étude dans ce domaine concernant son propre fonctionnement.
18 avril 2011
RUSTINE POWER... Lorsque Cannes devient un lieu de cruauté ordinaire...
"On compare parfois la cruauté de l'homme à celle des fauves, c'est faire injure à ces derniers". (Dostoïevski)
Festival de Cannes. Année 2000. Colette porte une robe à fleurs un peu sale et fripée. Elle a aussi dans la poche une capuche de plastique mauve, "des fois qu'il pleuve, il y a toujours un jour où il pleut pendant le festival". Rue de la pompe à quelques centaines de mètres du Palais, elle avance d'un pas lourd et lent, les yeux baissés. Au revers de sa robe, elle porte une accréditation pour cinéphiles un peu différente des "forum" actuelles... elle date d'au moins cinq ans. Cinq longues années depuis lesquelles elle n'est plus rentrée dans le Palais : "Je sais bien qu'elle est plus bonne mais y'en a plein qui l'ignorent, c'est ce qui compte pour moi". Colette habite Grasse, se lève à six heures chaque matin et rejoint la ville festivalière "un peu à pied, un peu en bus". Sa mère voulait qu'elle profite de Cannes pour se faire remarquer par un homme du cinéma. C'est vrai qu'elle en a eu des occasions, elle en a fréquenté des fêtes cannoises, mais c'était il y a 20 ans. Elle les a bien essayé, et souvent, ces numéros de téléphone laissés au petit matin. En vain. Sa flamme cannoise ne s'est pourtant jamais tout à fait éteinte. L'autre soir, elle a cru pouvoir rentrer à la party d'Austin Power au Palm Beach. Un jeune attaché de presse lui a fait croire qu'en se présentant à l'entrée de la soirée avec, accroché au front l'auto-collant publicitaire d'Austin, elle passerait les filtres. À 22H00, Colette est venue, "en tenue", L'attaché de presse et ses amis, aussi. Colette s'est confondu en explications devant les vigies, à cinq reprises, jusqu'à l'heure où toutes les bonnes gueules rentrent "même sans invit'". Les vigies ont fait leur travail, sans zèle, ni passion. Colette a fini par décoller la vignette sans trop l'abîmer, l'a rangée avec sa capuche, et a quitté les lieux, hagarde et silencieuse. La bande de l'attaché de presse, elle, ne s'est pas amusée du spectacle de Colette plus de quatre minutes avant de regagner le chaud de l'Austin Party. Le hasard a fait que le lendemain, Colette et l'attaché ont tous deux accepté de répondre au même questionnaire d'enquête "sociologique" sur le Festival et ses publics. Et, à la question, "Y-a-t-il des lieux, autres que le Palais que vous fréquentez et où se fait, selon vous, la vie du Festival?", l'un et l'autre ont bien coché la même case ; une seule différence entre eux, minime, s'est pourtant perpétuée sur l'imprimé : l'attaché de presse a appliqué son stylo avec un petit peu plus de force.
Festival de Cannes. Année 2000. Colette porte une robe à fleurs un peu sale et fripée. Elle a aussi dans la poche une capuche de plastique mauve, "des fois qu'il pleuve, il y a toujours un jour où il pleut pendant le festival". Rue de la pompe à quelques centaines de mètres du Palais, elle avance d'un pas lourd et lent, les yeux baissés. Au revers de sa robe, elle porte une accréditation pour cinéphiles un peu différente des "forum" actuelles... elle date d'au moins cinq ans. Cinq longues années depuis lesquelles elle n'est plus rentrée dans le Palais : "Je sais bien qu'elle est plus bonne mais y'en a plein qui l'ignorent, c'est ce qui compte pour moi". Colette habite Grasse, se lève à six heures chaque matin et rejoint la ville festivalière "un peu à pied, un peu en bus". Sa mère voulait qu'elle profite de Cannes pour se faire remarquer par un homme du cinéma. C'est vrai qu'elle en a eu des occasions, elle en a fréquenté des fêtes cannoises, mais c'était il y a 20 ans. Elle les a bien essayé, et souvent, ces numéros de téléphone laissés au petit matin. En vain. Sa flamme cannoise ne s'est pourtant jamais tout à fait éteinte. L'autre soir, elle a cru pouvoir rentrer à la party d'Austin Power au Palm Beach. Un jeune attaché de presse lui a fait croire qu'en se présentant à l'entrée de la soirée avec, accroché au front l'auto-collant publicitaire d'Austin, elle passerait les filtres. À 22H00, Colette est venue, "en tenue", L'attaché de presse et ses amis, aussi. Colette s'est confondu en explications devant les vigies, à cinq reprises, jusqu'à l'heure où toutes les bonnes gueules rentrent "même sans invit'". Les vigies ont fait leur travail, sans zèle, ni passion. Colette a fini par décoller la vignette sans trop l'abîmer, l'a rangée avec sa capuche, et a quitté les lieux, hagarde et silencieuse. La bande de l'attaché de presse, elle, ne s'est pas amusée du spectacle de Colette plus de quatre minutes avant de regagner le chaud de l'Austin Party. Le hasard a fait que le lendemain, Colette et l'attaché ont tous deux accepté de répondre au même questionnaire d'enquête "sociologique" sur le Festival et ses publics. Et, à la question, "Y-a-t-il des lieux, autres que le Palais que vous fréquentez et où se fait, selon vous, la vie du Festival?", l'un et l'autre ont bien coché la même case ; une seule différence entre eux, minime, s'est pourtant perpétuée sur l'imprimé : l'attaché de presse a appliqué son stylo avec un petit peu plus de force.
08 avril 2011
MARSEILLE, une architecture cinématographique
Marseille. Comment la forme d'une ville devient-elle source ou support d'inspiration pour le cinéaste ? Quelles transformations subit la ville elle-même lorsqu'elle endosse dans l'espace filmique le rôle du décor ? Quelle place la ville filmée laisse-t-elle au spectateur ? Quels nouveaux liens crée-t-elle avec lui ? Autant de questions qui jalonnent l'univers de recréation de la ville au cinéma ; autant d'architectures qui invariablement nous ramènent à la dialectique du film et de la mise en scène du réel.
Le cinéma, irréalisation de la ville
"Le CINEMA puise dans un fonds commun. Le cinématographe fait un voyage de découverte sur une planète inconnue" . En exacerbant avec certitude cet aphorisme, on se souvient sans doute que Robert Bresson visait à opposer non sans une certaine véhémence ceux qui employaient les moyens du cinématographe pour créer à ceux qui reproduisaient grâce à la caméra-outil une sorte de théâtre filmé. Cette restriction définitoire, cynique et janséniste du vocable "cinématographe" conduisit pourtant Bresson à insuffler à ses films une troublante liberté spirituelle et une créativité rigoriste à l'endroit même où bon nombre de réalisateurs se seraient probablement délestés d'une contrainte devenue trop prégnante pour être constructive. Peu à peu le cinéma bressonien se composa suivant l'idée récurrente de ce que le réalisateur appelle ses modèles : synonymes d'un refus systématique de toute psychologie romanesque les modèles sont choisis pour leur seule apparence externe - apparence de l'acteur, reflet d'une vie intérieure, apparence du lieu, décor d'une esthétique minimaliste. "Bâtis ton film sur du blanc, sur le silence et l'immobilité" , […] "Vois ton film comme une combinaison de lignes et de volumes en mouvements en dehors de ce qu'il figure et signifie" . Sans doute Bresson n'avait-il en tissant ses aphorismes nullement la conscience de théoriser l'esthétique des architectures cinématographiques sous la forme de non-lieux, pièges modernes de nos dérélictions spectatorielles, expressions de nos appartenances renouvelées à des territoires apparemment désinvestis. En effet, depuis longtemps, outre les réalisateurs comme Bresson, les théoriciens du cinéma se sont penchés sur la nature et le devenir du réel lorsqu'il est intentionnellement utilisé en tant que cadres de référence sur lesquels s'appuient généralement les réalisations filmiques narratives ou documentaires. Saillante, cette question apparaît particulièrement chaque fois que la description en images vise à installer la vraisemblance désirée d'un caractère identitaire symboliquement marqué. Et, ce n'est pas sans difficultés que se loge le problème de la diégèse géographiée : fonctionnellement, il interroge la manière dont le film vise à construire le regard du spectateur en mettant en scène non des lieux, mais l'idée ou l'imaginaire des lieux.
Là où les points de vue du spectateur et du réalisateur se rejoignent
En conséquence, un ethnographe qui s'interrogerait à propos de Marseille en tant qu'architecture cinématographique ne serait probablement pas étonné de la fréquence de ces sites qui systématiquement et historiquement sont prélevés à la Ville pour devenir décors , mais plutôt du point de vue et de l'usage qu'il en est fait lorsque s'y dissolvent les inventions narrative ou documentaire ; car, même si leurs intentions sont initialement différentes, l'une et l'autre font cause commune par les itinéraires forcés qu'elles empruntent. Assurément, la meilleure trace que nous pourrions trouver de nos attitudes de spectateurs serait celle de nos propres films si à l'occasion d'un détour par Marseille, équipés d'un camescope à stabilisateur d'images intégré, nous nous amusions à glaner çà et là quelques cartes postales en mouvement, micro-catalyses de nos souvenirs anticipés. Qu'y verrions-nous par delà les rituels décomptes anecdotiques ? Des lieux reconstruits sous contraintes visuellement imposées qui ne font que réaffirmer chaque fois combien la ville filmée est d'abord celle de nos espaces mentaux socialement investis. Car même lorsque l'on tente de parler d'un Marseille plus intime ou plus personnel, de la cité que l'on habite, on est inévitablement ré-aimanter vers le Marseille par lequel on circule. Que l'on se souvienne des trajectoires velléitaires empruntées par René Allio en quête d'un Marseille authentique dans l'Heure exquise ; alors même qu'il prétend que l'on ne connaît pas Marseille si l'on a fait que traverser son centre, immanquablement la trouée vers le centre s'opère. Marseille dressée entre deux de ses organes l'escalier d'une part, la Cannebière et le Vieux Port de l'autre. Notre caméra comme celle de René Allio circule à l'image de cette balle de flipper qui ricocherait dans les travées de la cité en scandant le caractère et le cheminement spécifiques que Marseille lui impulse. Et, tout comme au flipper, c'est inéluctablement le mouvement global qui domine en fin de partie, car l'on perd toujours au flipper, et à Marseille, on aboutit toujours au Vieux Port.
Ville-décor ou décor-ville
Peut-être est-ce cinématographiquement le destin des villes portuaires. Que l'on pense à Cherbourg, Rochefort, ou Marseille filmées par Jacques Demy et devenues le temps d'une idylle les architectures colorées, supports de nos exils spectatoriels. Est-il possible de mesurer en deçà de la narration le rôle de la ville-décor, de l'importance qu'elle revêt dans ces situations si quotidiennes ? En devenant matière à fiction, le film fonctionne en recréant de toute part les lieux de son expression. La transformation sémiotique de la ville prend corps au sens où Bresson imaginait les décors-modèles qu'il filmait. Par la force inhérente au procès cinématographique qui lie à la fois le créateur à sa création, et la création au spectateur, les lieux filmiques sont ceux où les regards convergent antérieurement à l'identification des lieux filmés pour eux-mêmes. Afin de mieux comprendre cette instance, revenons à Trois places pour le 26 qui met en scène le "vieux" Montand (Yves) qui se rend à Marseille pour préparer à l'opéra une tournée internationale retraçant sa carrière, et particulièrement la vie du "jeune" Montand à Marseille. Du Vieux-Port-réel où il retrouve ses anciennes amours au Vieux-Port-carton-pâte de l'opéra où elles sont mises en scène, où donc se noue à nos yeux de spectateurs le rapport le plus authentiquement référé à la ville ? Dans la vraie ville filmée ou dans la ville pastichée, justement pointée parce qu'elle représente pour Montand le lieu symbolique de sa jeunesse ? C'est vraisemblablement entre ces deux pôles que le caractère signifiant porté par la ville va trouver sa place, c'est-à-dire jouer son rôle d'interpellation sociale. Dissoute dans une histoire, la ville-décor lui offre de la vraisemblance, alors qu'à l'opposé, balisé symboliquement par la narration, le décor-ville, comme l'est le Marseille parodié de Trois Places, lui en fait perdre au profit d'un enrichissement de la palette du réalisateur. Car en effet, comment Demy pouvait-il évoquer avec autant de force la nostalgie de la jeunesse si ce n'est en donnant à Montand la possibilité de réactualiser par sa matérialisation la ville de son passé. La ville ne produit du sens que lorsqu'elle est, de la sorte, aspirée par les signifiances sociales qui tisseront autant de connivences avec le spectateur qu'il est permis d'en imaginer, excédant jusqu'à la grammaire cinématographique qui lui a donné corps. C'est ainsi qu'à son tour, le cinéaste fait l'expérience d'une nouvelle poétique de l'espace.
Le cinéma, irréalisation de la ville
"Le CINEMA puise dans un fonds commun. Le cinématographe fait un voyage de découverte sur une planète inconnue" . En exacerbant avec certitude cet aphorisme, on se souvient sans doute que Robert Bresson visait à opposer non sans une certaine véhémence ceux qui employaient les moyens du cinématographe pour créer à ceux qui reproduisaient grâce à la caméra-outil une sorte de théâtre filmé. Cette restriction définitoire, cynique et janséniste du vocable "cinématographe" conduisit pourtant Bresson à insuffler à ses films une troublante liberté spirituelle et une créativité rigoriste à l'endroit même où bon nombre de réalisateurs se seraient probablement délestés d'une contrainte devenue trop prégnante pour être constructive. Peu à peu le cinéma bressonien se composa suivant l'idée récurrente de ce que le réalisateur appelle ses modèles : synonymes d'un refus systématique de toute psychologie romanesque les modèles sont choisis pour leur seule apparence externe - apparence de l'acteur, reflet d'une vie intérieure, apparence du lieu, décor d'une esthétique minimaliste. "Bâtis ton film sur du blanc, sur le silence et l'immobilité" , […] "Vois ton film comme une combinaison de lignes et de volumes en mouvements en dehors de ce qu'il figure et signifie" . Sans doute Bresson n'avait-il en tissant ses aphorismes nullement la conscience de théoriser l'esthétique des architectures cinématographiques sous la forme de non-lieux, pièges modernes de nos dérélictions spectatorielles, expressions de nos appartenances renouvelées à des territoires apparemment désinvestis. En effet, depuis longtemps, outre les réalisateurs comme Bresson, les théoriciens du cinéma se sont penchés sur la nature et le devenir du réel lorsqu'il est intentionnellement utilisé en tant que cadres de référence sur lesquels s'appuient généralement les réalisations filmiques narratives ou documentaires. Saillante, cette question apparaît particulièrement chaque fois que la description en images vise à installer la vraisemblance désirée d'un caractère identitaire symboliquement marqué. Et, ce n'est pas sans difficultés que se loge le problème de la diégèse géographiée : fonctionnellement, il interroge la manière dont le film vise à construire le regard du spectateur en mettant en scène non des lieux, mais l'idée ou l'imaginaire des lieux.
Là où les points de vue du spectateur et du réalisateur se rejoignent
En conséquence, un ethnographe qui s'interrogerait à propos de Marseille en tant qu'architecture cinématographique ne serait probablement pas étonné de la fréquence de ces sites qui systématiquement et historiquement sont prélevés à la Ville pour devenir décors , mais plutôt du point de vue et de l'usage qu'il en est fait lorsque s'y dissolvent les inventions narrative ou documentaire ; car, même si leurs intentions sont initialement différentes, l'une et l'autre font cause commune par les itinéraires forcés qu'elles empruntent. Assurément, la meilleure trace que nous pourrions trouver de nos attitudes de spectateurs serait celle de nos propres films si à l'occasion d'un détour par Marseille, équipés d'un camescope à stabilisateur d'images intégré, nous nous amusions à glaner çà et là quelques cartes postales en mouvement, micro-catalyses de nos souvenirs anticipés. Qu'y verrions-nous par delà les rituels décomptes anecdotiques ? Des lieux reconstruits sous contraintes visuellement imposées qui ne font que réaffirmer chaque fois combien la ville filmée est d'abord celle de nos espaces mentaux socialement investis. Car même lorsque l'on tente de parler d'un Marseille plus intime ou plus personnel, de la cité que l'on habite, on est inévitablement ré-aimanter vers le Marseille par lequel on circule. Que l'on se souvienne des trajectoires velléitaires empruntées par René Allio en quête d'un Marseille authentique dans l'Heure exquise ; alors même qu'il prétend que l'on ne connaît pas Marseille si l'on a fait que traverser son centre, immanquablement la trouée vers le centre s'opère. Marseille dressée entre deux de ses organes l'escalier d'une part, la Cannebière et le Vieux Port de l'autre. Notre caméra comme celle de René Allio circule à l'image de cette balle de flipper qui ricocherait dans les travées de la cité en scandant le caractère et le cheminement spécifiques que Marseille lui impulse. Et, tout comme au flipper, c'est inéluctablement le mouvement global qui domine en fin de partie, car l'on perd toujours au flipper, et à Marseille, on aboutit toujours au Vieux Port.
Ville-décor ou décor-ville
Peut-être est-ce cinématographiquement le destin des villes portuaires. Que l'on pense à Cherbourg, Rochefort, ou Marseille filmées par Jacques Demy et devenues le temps d'une idylle les architectures colorées, supports de nos exils spectatoriels. Est-il possible de mesurer en deçà de la narration le rôle de la ville-décor, de l'importance qu'elle revêt dans ces situations si quotidiennes ? En devenant matière à fiction, le film fonctionne en recréant de toute part les lieux de son expression. La transformation sémiotique de la ville prend corps au sens où Bresson imaginait les décors-modèles qu'il filmait. Par la force inhérente au procès cinématographique qui lie à la fois le créateur à sa création, et la création au spectateur, les lieux filmiques sont ceux où les regards convergent antérieurement à l'identification des lieux filmés pour eux-mêmes. Afin de mieux comprendre cette instance, revenons à Trois places pour le 26 qui met en scène le "vieux" Montand (Yves) qui se rend à Marseille pour préparer à l'opéra une tournée internationale retraçant sa carrière, et particulièrement la vie du "jeune" Montand à Marseille. Du Vieux-Port-réel où il retrouve ses anciennes amours au Vieux-Port-carton-pâte de l'opéra où elles sont mises en scène, où donc se noue à nos yeux de spectateurs le rapport le plus authentiquement référé à la ville ? Dans la vraie ville filmée ou dans la ville pastichée, justement pointée parce qu'elle représente pour Montand le lieu symbolique de sa jeunesse ? C'est vraisemblablement entre ces deux pôles que le caractère signifiant porté par la ville va trouver sa place, c'est-à-dire jouer son rôle d'interpellation sociale. Dissoute dans une histoire, la ville-décor lui offre de la vraisemblance, alors qu'à l'opposé, balisé symboliquement par la narration, le décor-ville, comme l'est le Marseille parodié de Trois Places, lui en fait perdre au profit d'un enrichissement de la palette du réalisateur. Car en effet, comment Demy pouvait-il évoquer avec autant de force la nostalgie de la jeunesse si ce n'est en donnant à Montand la possibilité de réactualiser par sa matérialisation la ville de son passé. La ville ne produit du sens que lorsqu'elle est, de la sorte, aspirée par les signifiances sociales qui tisseront autant de connivences avec le spectateur qu'il est permis d'en imaginer, excédant jusqu'à la grammaire cinématographique qui lui a donné corps. C'est ainsi qu'à son tour, le cinéaste fait l'expérience d'une nouvelle poétique de l'espace.
07 avril 2011
VOIR ENSEMBLE. Un entretien d'Emmanuel Ethis avec Emmanuelle Lallement
Dans le cadre de la réflexion sur le devenir du Louxor, PARIS-LOUXOR a entrepris d’interroger celles et ceux qui font et pensent la culture dans la ville. Il est venu pour quelques heures à Paris et repart aussitôt pour Avignon. Rendez-vous est donc donné au Train Bleu, gare de Lyon, dans les salons lambrissés du Big Ben Club. Vieux fauteuils club, thé vert et pâtisseries, serveurs affairés, autour de nous des VRP en transit, des touristes en partance, des couples au départ, bref l’atmosphère est très cinématographique. Emmanuel Ethis est sociologue de la culture et président de l’Université d’Avignon. Passionné de cinéma, il a consacré plusieurs ouvrages au «rendez-vous» cinématographique, à l’expérience du spectateur, à la réception des œuvres filmiques et à l’analyse des publics et des spectateurs de cinéma et des grands festivals (Cannes, Avignon,…).
« Le cinéma c’est le voir ensemble par excellence »
Comment concevez-vous la place du cinéma dans la ville ?
Un cinéma contribue à la mémoire d’un quartier, il façonne les relations d’attachement au quartier, même pour les gens qui se ne s’y rendent pas. Les gens se disent « j’ai un cinéma chez moi et j’ai la possibilité d’y aller un jour ». On est forcément fier d’avoir un cinéma près de chez soi, un beau cinéma, avec une programmation, un cinéma qui représente quelque chose. Car un cinéma est toujours un lieu de vie, un lieu qui vit non seulement au rythme de la programmation qu’il diffuse mais aussi au rythme du quartier. Il y a une interaction particulière qui se crée quand le cinéma est en ville, moins quand il est hors les villes. Savoir que des gens vont visiter ce cinéma place un quartier en situation d’accueillant, et ce n’est pas rien.
Quelles sont vos observations sur la place du cinéma à Avignon ?
Nous avons crée à Avignon l’Observatoire des pratiques cinématographiques. C’est la ville française qui d’après les statistiques du CNC connaît la plus grosse fréquentation cinéma par siège. Pendant 4 ans d’enquête, on a pu mettre en évidence que le public du cinéma à Avignon avait été multiplié par 2,5 et que 67% des spectateurs avaient des lieux en commun. Il y a donc une très bonne circulation des spectateurs entre les différentes salles. Les programmations sont différentes, parce que le goût du cinéma entraine le goût du cinéma et parce que le goût du cinéma dans la ville implique une volonté de changer de décor et d’aiguiser une curiosité. Il existe donc une curiosité non concurrentielle de cinéma. C’est intégré à la vie des gens. A Avignon, le Pathé Palace, le Capitole et l’Utopia sont des cinémas qui ont une place singulière dans la vie des gens, dans la dynamique des quartiers, dans l’appréhension culturelle des lieux. En tant qu’habitants on habite avec le cinéma qui est à côté de chez soi. Mais il y a aussi le multiplexe Pathé Cap Sud qui est dans une zone urbaine dense, avec beaucoup d’habitat populaire, et dans une zone commerciale importante, on remarque plusieurs années après son ouverture que le lieu reste beau, qu’il est respecté. Les gens sont touchés d’avoir dans leur quartier un vrai beau cinéma et non pas une énième MJC ou un quelconque centre culturel.
Le cinéma est-il toujours un enjeu de démocratisation de la culture ?
En sociologie culturelle on est très soucieux de l’idée de démocratisation culturelle et on sait que le cinéma reste la pratique culturelle dominante des Français. Le cinéma est certes inscrit dans le secteur privé mais il est la pratique culturelle la mieux partagée. Il est populaire par excellence. Dans un quartier populaire c’est donc très important. Mais le cinéma ne doit pas être un lieu intimidant au contraire un lieu dans lequel on aime à se retrouver. Le cinéma c’est le voir ensemble par excellence, on y partage des points communs, cela favorise la communication. Faire émerger ces formes là est important.
De quoi est faite l’expérience du spectateur dans le lieu cinéma?
Le lieu cinématographique est aussi un lieu de mémoire. J’ai longtemps étudié les publics de cinéma et il est évident que la mémoire du spectateur se construit aussi par rapport à un lieu et non par rapport à ce qu’il voit, aux films. Les exploitants ne s’en rendent pas toujours compte. Mais la manière dont on entre, la manière dont on y est accueilli, la manière dont on y vit, ça construit des souvenirs singuliers. A Avignon on a le cinéma Pathé Cap Sud, c’est un cinéma qui ressemble à l’intérieur à un cinéma type « dernière séance », avec des hôtesses d’accueil, des fauteuils rouges, avec un stand de confiserie et on se rend compte que les gens interagissent beaucoup. C’est un lieu d’échange, dans les files, dans la salle, dans les espaces communs. La programmation est alors un point d’appui.
La réouverture du Louxor, qu’est-ce que cela vous évoque ?
Le Louxor renvoie à tous les ciné-palaces majestueux mais populaires, il va pouvoir offrir plus que ce que nous permet d’acheter une place de cinéma. C’est un enjeu de démocratisation culturelle important. Le Louxor peut être porteur de ces logiques là et peut être fort réussi dans un quartier comme Barbès. Marin Karmiz a fait aussi des expériences de cinéma dans des quartiers populaires, il montre que cela peut changer la vie d’un quartier, que cela instaure une logique de respect par rapport à un lieu culturel. Le Louxor peut drainer des populations extérieures au quartier, à condition qu’il y ait des programmations singulières, des films qu’on ne peut pas voir ailleurs, et qu’on verra dans des conditions singulières. La programmation « cinéma du sud » est sans doute une bonne idée, mais sans faire une mono-programmation. La personnalité d’un cinéma ne vient jamais d’une couleur unique. Jean Cocteau disait qu’être original c’est essayer de faire comme tout le monde mais sans y parvenir. A l’échelle du Louxor, ce serait donc faire comme tout le monde, faire une programmation populaire mais sans démagogie et introduire des nuances grâce à l’apport des films du sud.
(Cher Sociobloguers, je vous invite à cliquer sur le site de référence Paris-Louxor. Remerciements à Emmanuelle Lallement, à Frédéric Poletti et à Laurent Laborie)
« Le cinéma c’est le voir ensemble par excellence »
Comment concevez-vous la place du cinéma dans la ville ?
Un cinéma contribue à la mémoire d’un quartier, il façonne les relations d’attachement au quartier, même pour les gens qui se ne s’y rendent pas. Les gens se disent « j’ai un cinéma chez moi et j’ai la possibilité d’y aller un jour ». On est forcément fier d’avoir un cinéma près de chez soi, un beau cinéma, avec une programmation, un cinéma qui représente quelque chose. Car un cinéma est toujours un lieu de vie, un lieu qui vit non seulement au rythme de la programmation qu’il diffuse mais aussi au rythme du quartier. Il y a une interaction particulière qui se crée quand le cinéma est en ville, moins quand il est hors les villes. Savoir que des gens vont visiter ce cinéma place un quartier en situation d’accueillant, et ce n’est pas rien.
Quelles sont vos observations sur la place du cinéma à Avignon ?
Nous avons crée à Avignon l’Observatoire des pratiques cinématographiques. C’est la ville française qui d’après les statistiques du CNC connaît la plus grosse fréquentation cinéma par siège. Pendant 4 ans d’enquête, on a pu mettre en évidence que le public du cinéma à Avignon avait été multiplié par 2,5 et que 67% des spectateurs avaient des lieux en commun. Il y a donc une très bonne circulation des spectateurs entre les différentes salles. Les programmations sont différentes, parce que le goût du cinéma entraine le goût du cinéma et parce que le goût du cinéma dans la ville implique une volonté de changer de décor et d’aiguiser une curiosité. Il existe donc une curiosité non concurrentielle de cinéma. C’est intégré à la vie des gens. A Avignon, le Pathé Palace, le Capitole et l’Utopia sont des cinémas qui ont une place singulière dans la vie des gens, dans la dynamique des quartiers, dans l’appréhension culturelle des lieux. En tant qu’habitants on habite avec le cinéma qui est à côté de chez soi. Mais il y a aussi le multiplexe Pathé Cap Sud qui est dans une zone urbaine dense, avec beaucoup d’habitat populaire, et dans une zone commerciale importante, on remarque plusieurs années après son ouverture que le lieu reste beau, qu’il est respecté. Les gens sont touchés d’avoir dans leur quartier un vrai beau cinéma et non pas une énième MJC ou un quelconque centre culturel.
Le cinéma est-il toujours un enjeu de démocratisation de la culture ?
En sociologie culturelle on est très soucieux de l’idée de démocratisation culturelle et on sait que le cinéma reste la pratique culturelle dominante des Français. Le cinéma est certes inscrit dans le secteur privé mais il est la pratique culturelle la mieux partagée. Il est populaire par excellence. Dans un quartier populaire c’est donc très important. Mais le cinéma ne doit pas être un lieu intimidant au contraire un lieu dans lequel on aime à se retrouver. Le cinéma c’est le voir ensemble par excellence, on y partage des points communs, cela favorise la communication. Faire émerger ces formes là est important.
De quoi est faite l’expérience du spectateur dans le lieu cinéma?
Le lieu cinématographique est aussi un lieu de mémoire. J’ai longtemps étudié les publics de cinéma et il est évident que la mémoire du spectateur se construit aussi par rapport à un lieu et non par rapport à ce qu’il voit, aux films. Les exploitants ne s’en rendent pas toujours compte. Mais la manière dont on entre, la manière dont on y est accueilli, la manière dont on y vit, ça construit des souvenirs singuliers. A Avignon on a le cinéma Pathé Cap Sud, c’est un cinéma qui ressemble à l’intérieur à un cinéma type « dernière séance », avec des hôtesses d’accueil, des fauteuils rouges, avec un stand de confiserie et on se rend compte que les gens interagissent beaucoup. C’est un lieu d’échange, dans les files, dans la salle, dans les espaces communs. La programmation est alors un point d’appui.
La réouverture du Louxor, qu’est-ce que cela vous évoque ?
Le Louxor renvoie à tous les ciné-palaces majestueux mais populaires, il va pouvoir offrir plus que ce que nous permet d’acheter une place de cinéma. C’est un enjeu de démocratisation culturelle important. Le Louxor peut être porteur de ces logiques là et peut être fort réussi dans un quartier comme Barbès. Marin Karmiz a fait aussi des expériences de cinéma dans des quartiers populaires, il montre que cela peut changer la vie d’un quartier, que cela instaure une logique de respect par rapport à un lieu culturel. Le Louxor peut drainer des populations extérieures au quartier, à condition qu’il y ait des programmations singulières, des films qu’on ne peut pas voir ailleurs, et qu’on verra dans des conditions singulières. La programmation « cinéma du sud » est sans doute une bonne idée, mais sans faire une mono-programmation. La personnalité d’un cinéma ne vient jamais d’une couleur unique. Jean Cocteau disait qu’être original c’est essayer de faire comme tout le monde mais sans y parvenir. A l’échelle du Louxor, ce serait donc faire comme tout le monde, faire une programmation populaire mais sans démagogie et introduire des nuances grâce à l’apport des films du sud.
(Cher Sociobloguers, je vous invite à cliquer sur le site de référence Paris-Louxor. Remerciements à Emmanuelle Lallement, à Frédéric Poletti et à Laurent Laborie)
26 mars 2011
C' dans l'air / HOLLYWOOD, la fin des monstres sacrés : à retrouver sur France 5 dans l'émission du 25 mars 2011 !
Icône de l’âge d’or du cinéma hollywoodien à la vie tumultueuse, l’actrice Elizabeth Taylor est décédée mercredi 23 mars à l’âge de 79 ans. Une disparition qui raisonne comme la fin d’une génération de stars... Sa vie a longtemps défrayé la chronique, ses yeux d’améthyste ont ensorcelé les hommes et servi de référence aux femmes de toute une époque.Son nom était aussi fameux en son temps, des années 1950 à 1970, que celui de Brigitte Bardot ou Sophia Loren... Elizabeth Taylor, l’enfant star devenue l’actrice aux deux Oscar s’est éteinte, dans la nuit de mardi à mercredi 23 mars 2011, à Los Angeles. Elle avait 79 ans. Monstre sacré tombé dans le chaudron d’Hollywood dès l’âge de 10 ans, comédienne à la filmographie époustouflante - plus de 60 films dont Géant, La Chatte sur un toit brûlant, Cléopâtre, Reflets dans un œil d’or, Qui a peur de Virginia Woolf ? -, Elisabeth Taylor s’était imposée comme l’incarnation de la star hollywoodienne, à la fois extravagante, fantastique, capricieuse, glorieuse et amoureuse. Une femme libre, croqueuse d’hommes - huit mariages dont deux avec le même homme, Richard Burton -, glamour, people. Sans oublier ses dépendances à l’alcool et aux antidépresseurs dans les années 1970, puis ses multiples cures d’amaigrissement, et son engagement à partir de 1985 dans la lutte contre le SIDA. Star mondiale adulée du public, diva éblouissante et fascinante, actrice légendaire et engagée, Elizabeth Taylor a marqué le cinéma et l’imaginaire collectif. Avec sa disparition, c’est toute une page de l’histoire d’Hollywood, celles des monstres sacrés, qui semble se tourner...
Retrouvez le débat de l'émission du 25 mars 2011 de C' dans l'air, présentée par Yves Calvi, avec Henry-Jean Servat, Journaliste et écrivain, Colombe Pringle, Directrice de la rédaction de l’hebdomadaire Point de vue, Janie Samet, journaliste de mode et Emmanuel Ethis, sociologue du cinéma en cliquant ici
Retrouvez le débat de l'émission du 25 mars 2011 de C' dans l'air, présentée par Yves Calvi, avec Henry-Jean Servat, Journaliste et écrivain, Colombe Pringle, Directrice de la rédaction de l’hebdomadaire Point de vue, Janie Samet, journaliste de mode et Emmanuel Ethis, sociologue du cinéma en cliquant ici