"Un confrère est un personnage sans aucun talent qui fait, inexplicablement le même métier que vous". [Pierre Daninos]
Dans les rues de Cannes, évidemment, les passants ont, en période de Festival, le regard aux aguets, prêt à repérer un visage connu ; la méprise est souvent de mise, et il arrive couramment que l’on prenne quelqu’un pour une vedette dans le doute d’une vague ressemblance : ceci fonctionne suivant le double a priori cannois bien connu (1) qu’un acteur est très différent dans la vie et au cinéma, et (2) qu’au Festival on peut croiser les acteurs n’importe où. Néanmoins, on peut imaginer que ce jeu de la méprise ne soit pas le fait que de celui qui se trompe. Beaucoup se laisse prendre au doute que suscitent ceux qui régulièrement sont pris pour une fausse Liz Taylor, une fausse Deneuve, un faux Travolta, Hanks ou Cruise. Il faut comprendre que ces derniers qui possèdent une vague ressemblance avec une star viennent souvent chercher à Cannes le lieu légitime d’une reconnaissance. Ce qui est mis en évidence ici repose le problème de la relation galvanisatrice que le cinéma est susceptible de susciter chez son spectateur. L’acteur à l’écran propose, à son insu, une expérience du monde et exalte là un pouvoir de type normatif faisant ainsi l’objet d’une identification plus ou moins durable et qui s’extériorise avec plus ou moins de force. Il y a là quelque chose qui relève pleinement de la construction d’un soi social qui passe, plus ou moins fugitivement, par le mode de la ressemblance avec des personnages de fiction qu’on aime, allant souvent jusqu’à en stigmatiser des attitudes vestimentaires ou physiques. Il faut noter qu’à Cannes, ce trait ne se combine qu’exceptionnellement avec une volonté de rencontrer, en chair et en os, celui ou celle qui est l’objet de l’identification.
En effet, cette volonté de rencontre s’appuie généralement à Cannes sur des arguments de raisons qui reposent rarement sur la simple curiosité : ce qui anime les spectateurs cannois peut se résumer dans le désir de confronter la représentation qu’ils se font d’un acteur à sa réalité propre. Il faut remarquer que ce désir de rencontre est loin d’être patent chez tous les spectateurs du Festival. La plupart se contentent du “ voir ”, car il faut bien saisir que “ rencontrer ” effectivement quelqu’un que l’on admire, ou pour qui l’on a de la sympathie, peut parfaitement mettre en péril le système de représentations qu’un individu a échafaudé à distance, et dans lequel il puise une certaine stabilité de référence. La rencontre, en réduisant la distance, est en passe d’ébranler les affects qui supportent ce système de représentations : ceux qui la souhaitent en sont totalement conscients et c’est précisément cet “ ébranlement ” qu’ils espèrent, et auquel ils se sont préparés. Les expressions - “ il est mieux dans la réalité ”, “ elle est moins bien que dans les films ”, “ ils sont abordables ”, “ ils sont simples ” ou “ ils sont comme tout le monde ” - définissent la palette la plus communément utilisée par nos festivaliers lorsqu’ils rapportent leur rencontre avec un acteur. En ce sens, ou peut dire que la mesure qui est prise dans le temps de cette rencontre repose les termes d’une relation faite de distance et de proximité qui exprime, en premier lieu, la relativité de la position du spectateur face à l’acteur. L’acteur est préservé, le spectateur, aussi.