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26 janvier 2012

LE FILS DU GRELOT...

"Seule la discrétion permet une véritable liberté dans les rapports : tout peut être dit, si on s'interdit juste certaines choses" (Hector Bianciotti)

Passage à l’heure d’été. Réglage des pendules et des montres. Un moment privilégié pour Damien : l’occasion de rappeler au moins vingt fois le 3699 pour ajuster ses trotteuses sur le timbre informé de cet homme et de cette femme qui, tour à tour, énoncent le temps à haute voix. «je suis sûr que ce sont des vrais humains qui causent à l’horloge parlante, pas des voix de synthèse à deux balles, vraie chaleur et joli ton policé d’instit’ de 35 ans. Quand j’étais gamin, y’avait juste une femme qui parlait, j’aimais déjà bien sa voix à elle, je suis sûr qu’elle avait les jambes lisses – quand on est petit, c’est la première proximité physique qu’on a avec les femmes, les jambes ; d’ailleurs elles le savent bien les femmes et entretiennent tout cela savamment en nous prenant sur leurs genoux pour contrer les hommes qui, eux, veulent toujours nous installer sur leurs épaules -… bref, jusqu’à 6 ans, chaque fois qu’il m’arrivait de me retrouver seul chez moi, j’appelais l’horloge parlante, et je peux même avouer que j’ai appris très tôt à lire l’heure grâce à cette femme aux jambes lisses à qui je dois la faveur de quelques regards d’adultes admiratifs de mes précocités temporelles».

Damien aime à jouir de ces euphories conversationnelles qui l’entraînent vers de magnifiques digressions sur le monde où toutes les inconnues qui ont la voix douce au téléphone ont forcément les jambes lisses ; Damien, qui étudie la sociologie des publics des festivals à l'Université d'Avignon, reste persuadé que l’envers du sens est «sensuel avant d’être signifiant». Dans son studio bien éclairé, un grand mur blanc laqué, avec une seule affiche grand format, Jeanne et le garçon formidable : sur l’affiche elle-même, sont stratégiquement épinglées, c’est-à-dire presque invisibles au premier regard, une repro format carte postale du film d’Hitchcock, Le Crime était presque parfait, et une petite photo de famille, large famille pleine de demis frères et sœurs qui entourent le papa ; Damien est le seul qui ne pose pas sur l’image, il semble surpris par le flash, l’oreille rivée sur son cellulaire. «C’est un petit peu ma vie qu’est ramassée là, le cinéma, la famille et le fil de mes mots téléphonés sur lequel vacillent mes actes « funamburlesques »… C’est vrai, j’adore ce portable ; chaque fois qu’il grelotte, moi, j’ai chaud. Mais bon, si je téléphone sur la photo, c’est pas pour faire le cake, c’est juste qu’on venait de me l’offrir ce portable, pour mon anniversaire… Et là, drôle de coïncidence - d’ailleurs, je préfère dire « connivence du hasard » -, car l’après-midi qui suivait, on a maté une rediff du Crime était presque parfait… et pile au moment où Grace Kelly reçoit l’appel qui devait lui être fatal, mon portable se met à sonner… comme dans le film, personne à l’autre bout, ni Ray Miland, ni personne,.. . j’ai été un instant saisi de stupeur avant de remercier ma famille de m’avoir offert un beau téléphone cinématographique et interactif».

Et, c’est armé de ce fabuleux objet que Damien a rencontré «Le Garçon formidable»… «On a tous, un jour, entendu ou vu dans certains des films, là une adresse, là un numéro de téléphone ; on s’est tous dit que ce serait drôle d’appeler ou d’écrire et on a tous des amis qui nous en disuadent sous prétexte que ce sont des coordonnées bidons mises à dispo par les postes et télécommunications pour le cinéma… Moi, j’ai bien écouté Virginie Ledoyen après sa nuit d’amour avec Mathieu Demy, elle se met à chanter son numéro de téléphone ; et – avantage du portable - je l’ai composé aussitôt ce fameux 04.90.16.25.23* !… Une tonalité, trois sonneries, on décroche… Je commence à bredouiller quelques mots à propos du film, un type super cool me répond, m’explique que c’est bien la première fois qu’on l’appelle à ce sujet, qu’il a bien aimé le film lui aussi. Cela nous a fait rire, on a décidé d’aller boire un verre ensemble, nous confiant l’un à l’autre comme on le fait parfois avec des inconnus. Je lui ai parlé du téléphone, de ma passion du cinéma, et lui, il m’a parlé longuement de sa mère, une femme sublimement belle à la voix si douce et aux jambes… si lisses».