« Savez-vous – disait Jean Renoir - ce qui me préoccupe quand un film est terminé ? J'aime que le film donne au spectateur l'impression qu'il n'est pas fini. Parce que je crois qu'une œuvre d'art où le spectateur et le critique n'apportent pas leur part n'est pas une œuvre d'art. J'aime que ceux qui regardent le film construisent parallèlement leur propre histoire »…
Beaubourg. Sortie de l’exposition Coïncidences fatales, Hitchcock et l’art. Bernard range soigneusement son carnet de dessins fraîchement orné de ses nouveaux crobars inspirés des décors du maître. “ Maître, il l’est, sir Alfred, au plus pur sens du mot, celui de la maîtrise, celle qui nous laisse croire aux coïncidences comme si de rien n’était ; la seule fatalité de ces histoires-là, c’est celle dans laquelle nous tombons, nous, ses spectateurs…, avec lui peu de place pour notre imaginaire propre, le sien a déjà tout raflé, jusqu’au moindre détail, du plus chic au plus toc… Chez Hitchcock, il n’y a guère que les versions françaises des films qui pêchent un peu, car il arrive que les héros disent “ revolver ” quand ils ont à la main un “ pistolet ” et vice-versa… Un revolver c’est quand il y a un barillet qui tourne sur lui-même et que donc les balles sont en révolution, d’où le mot”…
Bernard a le sens du détail. À presque 43 ans, après avoir suivi une formation aux Beaux-Arts, passé un diplôme de mécanique générale et un brevet de pilote, pour le fun, il a ouvert une carrosserie automobile qui, depuis trois ans, s’est spécialisée dans la personnalisation sur mesure des voitures, une bien belle activité qui relie entre eux tous ses talents : la customisation. “ Obsession toute hitchcockienne que d’arranger les objets du monde avec quelques coups de peinture et de marteau pour faire rentrer tout cela dans le format de nos exigences rêvées. À ceux qui pensent que le cinéma ou le tuning sont des mensonges, on peut répondre comme Cocteau qu’alors, ce sont des mensonges qui disent la vérité, du moins une vérité qui nous correspond un peu mieux. Pour moi, un film réussi, c’est comme des vacances qu’on prendrait au bon moment. Car je ne sais pas si vous avez remarqué, mais les vacances, on les programme toujours à l’avance, et quand on part - en tous les cas, c’est comme ça pour moi - on n’est jamais tout à fait au diapason ”.
Pour répondre à cette volonté de mise en harmonie de son monde à lui, Bernard a construit ce qu’il appelle sa “ vidéo à moteur ” ; dans un petit hangar derrière sa carrosserie, est installée une réplique de sa voiture fixée devant un immense écran sur lequel il projette de drôles de vidéos en format géant : “ ça aussi, ça m’a été inspiré par les trucages les plus visibles des Oiseaux quand Tippi Hedren traverse un lac sur une petite barque dont on voit bien qu’elle n’est pas réellement sur l’eau, ou comme tous ces films de la même époque où on voit des acteurs de face au volant d’une voiture avec en arrière-plan un décor défilant qu’on nous fait passer pour la réalité. Moi, ce sont les vidéos de mes routes de vacances que je me projette à volonté… Et là, pour le coup, juste quand j’en ai envie, je me balance la musique qui convient, et c’est reparti pour les plages de l’été qu’il neige ou qu’il vante. Mise à part une jolie blonde froide et platine sur la banquette, une qui m’aiderait à croire un peu plus encore à ces voyages sans avoir trop la mort aux trousses, mise à part cela, j’insiste, c’est presque le bonheur ”. Bernard confie que ce serait la plus dingue des coïncidences que de trouver une fille qui pourrait entrer à point dans ses rêves domestiques, qu’elle n’existe sans doute pas, qu’on ne peut pas customiser les femmes, qu’il assume ses choix, que quelquefois la solitude lui pèse un peu, que c’est peut-être sa passion qui l’a éloigné de celle qu’il aurait pu rencontrer… Il cite Hitchcock citant lui-même Oscar Wilde “ chacun tue l’objet de son amour ” : drôle de vertige des citations dont il use comme d’une conjuration pour justifier, presqu’à son corps défendant, la vie qui semble aller avec.