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01 septembre 2016

LE DILEMME DE GROUCHO ou le miroir "reformant"...

Pour tous ces étudiants qui, une fois diplômés, ne souhaitent plus qu'être des avocats d'affaires alors même qu'ils rêvaient sincèrement de changer le monde lorsqu'ils ont commencé leurs études...


“Roxanne, j’en suis raide dingue d’amour, elle le sait, mais elle pourra jamais imaginer que je suis sincère,… Roxanne, c’est pas seulement la meilleure souffleuse et fileuse de verre que je connaisse - insiste Lewis -, c’est surtout une artiste à qui les autres comprennent rien, tout ça parce qu’elle parle à personne,… Ils la croient hautaine et prétentieuse, mais moi, elle m’a parlé vraiment une fois ou deux, Roxanne, et je peux jurer qu’elle est tout l’inverse de cela… Son problème, c’est qu’elle souffre, comme je dis, du dilemme de Groucho… Le Groucho des Marx Brothers, celui qui a dit je ne sais plus où qu’il refuserait d’adhérer à un club qui accepterait comme membres des gens comme lui… Et bien Roxanne, c’est un peu pareil, et tout ça – d’après ce que j’ai compris - juste à cause d’un dessin animé, Blanche-Neige, les sept nains, sa foutue belle mère et cette satanée histoire de miroir qui a dû la traumatiser à vie… ” Il est vrai qu’on ne comprend pas toujours ces cliquets qui s’immiscent un jour en vous et semblent si bien vous dire ce que vous devez être, qu’il vous est impossible de faire marche arrière. 

Le dilemme de Groucho pour Roxanne, c’est pathologique : il lui est foncièrement impossible d’imaginer que ceux qui s’intéressent à elle présentent un quelconque intérêt puisque précisément ils s’intéressent à elle. Du coup, elle s’enferme dans la folle solitude de ceux qui ne voient de sens à la vie que dans la performance, dans le fait de se surpasser… “Sans doute histoire d’atteindre ces fameux autres, ceux qui ne s’intéresseront jamais à vous et qui sont eux, bien naturellement intéressants car hors de votre portée ” : première conséquence ravageuse, selon Lewis, du dilemme de Groucho sur la jolie Roxanne. Confidence prolongée, Lewis revient sur ce miroir déterminant, “la cause initiale” selon lui, le miroir de la belle-mère de Blanche-Neige : Roxanne, lui a avoué un jour que c’est ce miroir-là qui lui avait à la fois donné la passion pour les miroirs qu’elle confectionne aujourd’hui, mais qu’il avait également généré en elle une profonde mortification. Elle devait avoir cinq ans lorsqu’elle a vu ce Disney avec “cette magnifique belle-mère qui questionne sans cesse son miroir pour savoir si elle est bien la plus belle, elle”… Et ce miroir étrange qui ne renvoie d’autre image que celle d’un feu follet grostesquement parlant et sans complaisance qui lui dit “oui” jusqu’au jour où Blanche-Neige, sans qu’on sache réellement pourquoi, viendra la faire chuter de son piédestal.  

De qui ce miroir devenait-il le ventriloque cruel ? Contre ce dernier, la petite Roxanne - version enfant- s’est rangée du côté de la méchante belle-mère, en passant secrètement le serment de fuir “tous les miroirs qu’elle ne saurait pas apprivoiser”. Et, ce pacte de cécité volontaire, elle l’a si bien tenu, qu’elle a esquivé tous les reflets d’elle-même, au point d’à peine se reconnaître lorsqu’une vitrine de magasin ou un rétroviseur lui renvoyaient son image par accident. Singulièrement, cette méconnaissance de soi s’est prolongée dans la fuite de ceux qui manifestaient explicitement un intérêt pour elle. Peur probable d’être trahie un jour… En définitive, il est difficile de croire que Roxanne soit devenue par hasard l’une des plus brillantes souffleuses de verre en Europe. “Souffleuse, un beau métier, elle fait dire au verre ce qu’il oublie, elle en prévient les défaillances comme le souffleur du théâtre prévient celles de l’acteur qui perd la mémoire.” Pour le cinéma, elle a fabriqué un accessoire célèbre, le beau miroir convexe de The Servant, le film de Losey. La seconde conséquence du dilemme de Groucho, “créative celle-là”,  est cette pièce fascinante que Roxanne a aménagée chez elle. Une sorte de micro-galerie des glaces où chaque parcelle de mur supporte ce qu’elle appelle “ses miroirs reformants”. Ce qu’ils reforment, ces miroirs, “c’est ce club fermé que Roxanne s’est fait pour elle seule, un club qui - précise Lewis - accepte sans tout à fait d’ailleurs les accepter des gens comme elle” ; car chaque surface réfléchissante a été travaillée et polie pour métamorphoser Roxanne là en Marilyn, là en Ava, là en Elisabeth. Face à la porte d’entrée, on peut même surprendre entre deux ombres le reflet de Roxanne qui reforme, fugace, la silhouette de la fameuse belle-mère "Blanche Neigeuse". Roxanne a bien tenu toutes ses promesses, elle a apprivoisé et discipliné ses miroirs, des miroirs qui ne lui disent jamais qu’elle est la plus belle, mais qu’elle n’est peut-être pas – l’illusion est velléitaire – aussi seule que Lewis l’imagine.