"On peut
affirmer sans absurdité qu'il n'existe en Amérique qu'un seul homme achevé et
qui n'ait pas à rougir : le jeune père de famille marié, blanc, citadin,
nordique, hétérosexuel, protestant, diplômé d'université, employé à plein
temps, en bonne santé, d'un bon poids, d'une taille suffisante et pratiquant un
sport. Tout homme américain est enclin à considérer le monde par les yeux de ce
modèle, en quoi l'on peut parler d'un système de valeurs commun"[1].
Le modèle présenté ici, non sans ironie, par Erving Goffman vise à montrer à
chacun d’entre nous comment fonctionnent ce que le sociologue appelle nos
« attentes normatives ». Pour le dire autrement, nos attentes
normatives sont des fictions que l’on fait tous vivre au fond de nous et qui
construisent, à notre insu, une représentation de l’être humain improbable,
idéalisée, stylisée à l’extrême. Et, c’est en mesurant les individus que l’on
rencontre à l’aune de ces fictions que l’on appréhende le monde. C’est la
raison majeure pour laquelle on ne rencontre jamais «le prince charmant» dans
le monde réel alors même qu’on a une vision assez précise de ce que recouvre
l’idée même de «prince charmant». Le cinéma a joué un rôle majeur pour donner
des visages et des corps à nos personnages fictionnels. De fait, le défi que
doit relever l’industrie hollywoodienne avec les films de campus est d’autant
plus intéressant qu’elle est dans l’obligation de « coller » avec les
aspirations et la culture de la jeunesse. C’est pourquoi ces films occupent une
place si singulière dans l’économie du cinéma anglo-saxon car s’y éprouvent
souvent de talents inconnus – qu’ils soient scénaristes ou comédiens – en phase
avec la génération des publics auxquels ces films s’adressent en priorité.
Parmi les figures imposées de chaque début de film de
campus, la mise en scène d’une jeunesse qu’on découvre en général sous son
aspect le plus lisse incarnée par des personnages qui ont surtout l’apparence
de stéréotypes sociaux. Il y a tout d’abord les héros masculins. Dans la
majorité des films, il s’agit de garçons qui portent en eux les aspirations de
leurs famille ou de leurs proches et qui offrent une version juvénile et
souvent immaculée de ce qu’Orrin E. Klapp désigne sous la notion de « type
social ». Le type social au cinéma c’est « une norme de comportement collectif correspondant à tel ou tel rôle,
définie et utilisée par un groupe social : une idéalisation des façons
d’être ou d’agir qu’on attend des autres »[2]. Le nouveau film de campus proposé cette année par Disney - Monstres Academy (Monsters University en anglais) va s'emparer très directement de ce jeu normatif pour précisément amplifié l'idée que la démocratisation d'un savoir partagé à l'Université permet avant tout de s'individualiser au milieu des autres si ces autres-là partagent le même projet de vie. À découvrir impérativement donc au cinéma le 10 juillet...
[1] Erving Goffman, Stigmate, les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de
Minuit, 1975, p.151.
[2] Cf. Orrin E. Klapp, « The Creation
of Popular Heroes : Heroes, Villains and Fools as Agents of Social
Control » in American Jounal of
Sociology, vol. 54, n°2, septembre 1948, p. 135-141. On peut retrouver ces
références dans l’ouvrage de Richard Dyer, Le
Star-système hollywoodien, Paris, L’Harmattan, 2004.