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04 août 2012

RIPLEY, REPLAY : nos premières impressions sont en réalité une question de genre...

"Le genre humain vit grâce à quelques hommes" (Lucain, poète romain 39/65)


Le fameux maillot de bain jaune canari de Tom Ripley - Matt Damon
Dans Le Talentueux Monsieur Ripley, remake du film Plein Soleil de René Clément, le réalisateur Anthony Minghella reprend fidèlement la trame du récit écrit par Patricia Highsmith et raconte comment, dans l’Italie des années 50, un jeune homme, Tom Ripley, va assassiner un bellâtre indolent et riche pour s’approprier non seulement son identité, mais aussi sa personnalité. Le talent de Ripley, compulsif, dépasse de loin, la plus belle des capacités à l’imitation. Car être l’autre ne nécessite pas simplement d’imiter ses gestes, son physique, sa voix ou son allure ; se substituer à quelqu’un oblige aussi à se réinventer sa mémoire, son enfance, ses amours d’adolescence, s’installer dans ses goûts et ses dégoûts, se recréer ses souvenirs. On croît l’opération improbable sous le regard social de l’entourage, et pourtant, on repère comment Ripley, de manière très crédible, va remplir les lacunes de sa connaissance de l’autre par des projections plausibles. Inférences logiques et conscientes où l’on admet que notre interprétation d’autrui se fonde sur un très petit nombre d’hypothèses à propos de la nature humaine, une interprétation qui nous conduit à nous fier, malgré nous, aux premières impressions. 


Il n’existe pas, en réalité, de «premières impressions». Nous allons à la rencontre de l’autre avec une mémoire génératrice de catégories qui dépendent à la fois d’un contexte de situation et de l’activation de nos expériences passées qui constituent à eux seuls de véritables rails interprétatifs. Parmi ces catégories, il en est une à la fois descriptive et prescriptive qui intéresse directement la poïétique du questionnaire en matière de culture lorsqu’elle fabrique ses interrogations sur le jugement de valeurs : le genre. Tom Ripley est un jeune homme d’extraction populaire à l’enfance malheureuse, ce qui a fait de lui un type plutôt timide et réservé, de prime abord poli, pour ne pas dire obséquieux. Et, c’est en s’appuyant sur les acquis conscients de cette enfance malheureuse et cette extraction populaire, qu’il interprète le genre de Philippe Greenleaf, sa future victime qu’il ne connaît absolument pas, gosse de riche capricieux trainant avec les jeunes gens au genre douteux dans les boîtes de Naples. Le genre intervient ici pour faire symboliser Ripley dans une « régime de vérité », sorte de bocal mental depuis lequel il déduit tout autant qu’il induit comment il peut habiter le personnage de Greenleaf. Le genre se découvre toujours comme la partie visible de l’iceberg. Il est amusant de noter au passage comment nous avons formé des locutions « pratiques » pour parler de l’autre en employant le mot « genre », et ce, comme s’il y avait une entente préalable sur ce que l’on met derrière ce mot « genre », qui, à sa manière, s’impose, lui aussi, comme un mot-ascenseur : « avoir mauvais (ou bon) genre », « c’est une fille dans son genre », « se donner un genre », « ce n’est pas ton genre »; dans ces formes expressives, l’emploi de ce mot renvoie à un usage déterminant et discriminant sur le plan socio-culturel, qui subordonne les valeurs individuelles à l’interprétation que l’on donne des normes esthétiques dominantes. 

03 août 2012

Est-ce bien MARILYN MONROE qu'on aperçoit dans Sept ans de réflexion?

« C'est une histoire que conte un idiot, une histoire pleine de bruit et de fureur, mais vide de signification. » (Shakespeare)


Il y a un an, au début mois d’août 2011, les chaînes d’information font leurs choux gras autour d’images extraites d’un soi-disant film pornographique datant de 1946 et qui aurait pour principale « actrice » Marilyn Monroe. Mikel Barsa, l’homme en charge à Buenos Aires de la vente aux enchères du film, précise que la future star serait mineure sur les images que l’on peut visionner en cliquant ici (reportage BFM TV)Et ce serait précisément parce qu’elle est mineure qu’il était dangereux, à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale, de détenir le film pour l’officier américain qui l’a vendu en quittant Paris car il ne voulait pas rentrer avec l’objet aux Etats-Unis. Ce film daterait donc de la même année durant laquelle Norma Jean Baker convient avec les premiers studios hollywoodiens qui l’embauchent de changer son nom en Marilyn Monroe, un nom qui ne sera même pas mentionné au générique de Scudda Hoo ! Scudda Hay ! le tout premier film qu'elle tourne et dans lequel Elle joue le rôle d’une paysanne qui prononce un "Hello" qui sera d’ailleurs coupé au montage. Si l’on émet l’hypothèse – peu probable – que Norma Jean ait tourné un porno, Marilyn Monroe, elle, n’en a donc, bel et bien, tourné aucun ! La sociologie moderne, tout comme le nouveau roman, la philosophie foucaldienne ou l’histoire veynienne, nous ont appris que nos vies se sauraient se concevoir comme des récits linéaires dotés de sens tant en termes de déroulement successif d’événements que de signification prise par chacun de ces événements dans leur succession. C’est ce qu’exprime la citation mise en exergue de ce texte et extraite de la fin de Macbeth où Shakespeare définit très simplement et très profondément nos vies comme étant des anti-histoires. Comme le souligne Pierre Bourdieu, «produire une histoire de vie, traiter la vie comme une histoire, c'est‑à‑dire comme le récit cohérent d'une séquence signifiante et orientée d'événements, c'est peut‑être sacrifier à une illusion rhétorique, à une représentation commune de l'existence, que toute une tradition littéraire n'a cessé et ne cesse de renforcer. C'est pourquoi il est logique de demander assistance à ceux qui ont eu à rompre avec cette tradition sur le terrain même de son accomplissement exemplaire. Comme l'indique Alain Robbe‑Grillet, « l'avènement du roman moderne est précisément lié à cette découverte : le réel est discontinu, formé d'éléments juxtaposés sans raison dont chacun est unique, d'autant plus difficiles à saisir qu'ils surgissent de façon sans cesse imprévue, hors de propos, aléatoire»».


Entretenir l’idée d’histoires de vie comme succession d’étapes plus ou moins consciemment pensées par les individus eux-mêmes, c’est aussi, à l’échelle de nos sociétés, entretenir le mythe des origines en tant que clef d’explication cardinale pour comprendre d’où nous venons ou pire, ce qu’en réalité nous sommes authentiquement. Terrain douteux sur lequel tous les fascismes ont fait fortune, l’illusion biographique dénoncée depuis longtemps par l’anthropologie, l’ethnologie et la sociologie, demeure cependant un système d’accroche dont beaucoup de médias ne parviennent pas à se départir pour aguicher leurs audiences. Comme le montre une nouvelle fois l’affaire du porno de Marilyn, comme l’a montré très récemment aussi la lecture de Freud tordue par Onfray et tant d'autres histoires de vie reconstruites a posteriori, il reste encore un long chemin à parcourir pour que l’illusion biographique sorte durablement de nos espaces publics de réflexion sur l’autre et sur le monde. Voici plusieurs années maintenant que nos cursus universitaires ont inscrit cette question au programme de leurs premières années de licence et, sans doute, serait-il bienvenu de conseiller à certains de nos journalistes, voire certains de nos essayistes, de reprendre (ou tout simplement prendre) le chemin de nos universités. Ils auraient ainsi peut-être l’occasion de traiter avec nous et en contrôle continu la question de fonds suivante : est-ce Norma Jean Baker ou bien Marilyn Monroe qu'on aperçoit dans le Sept ans de réflexion de Billy Wilder en train de profiter de l'air du métro sous sa robe ? 


Et pour les plus rotors d'entre nous, en guise d'épilogue, une question subsidiaire : est-ce Norma Jean Baker ou bien Marilyn Monroe qu'on aperçoit dans la publicité Dior réalisée en 2011 par Jean-Jacques Annaud ?