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28 septembre 2007

LE CINÉMA, UNE ACTIVITÉ DE COMMUNICATION SINGULIÈRE...

"Ceux qui naissent à peu près sains bénéficient de toutes les faveurs. Un petit défaut d'esprit, un grain de légèreté en trop , une faille dans l'organisme attirent des châtiments inexplicables. Les événements de notre vie nous ressemblent : cela double l'injustice." (Jacques Chardonne)

"Un bonheur sans nuages ne dure jamais longtemps". Si tout le monde peut comprendre parfaitement la signification de cette phrase, aphorisme presque banal, c'est qu'elle habite toutes les situations dans lesquelles chacun aurait pu l'employer. Pourtant, un tel prêt-à-porter linguistique n'exprime rien d'autre qu'une éminente abstraction qui résume en huit mots classiquement agencés les représentations les plus variées, de l'incendie ravageur de sa maison d'enfance jusqu'à la mort du poisson rouge tombé par mégarde dans l'eau de vaisselle. Ainsi, en liant une réalité concrète à une formulation abstraite, le langage revêt sa principale fonction : agir sur l'auditeur en fondant sur l'expérience sociale mutuelle le prédicat communicationnel de l'expression d'une pensée. Lorsqu'un cinéaste décide de partager sa vision d'un bonheur désenchanté, il dérive vers une matérialisation narrative en images qui court-circuite en partie le flottement arbitraire et conventionnel du langage. Les amants du film les Parapluies de Cherbourg déchirés par leur séparation prêtent leur enveloppe charnelle, leurs attitudes, leur intimité fictive à l'expression d'un désespoir auquel on nous demande implicitement d'adhérer à travers eux. Mais nous le demande-t-on réellement ? En mettant en scène une œuvre filmique, un réalisateur se soucie-t-il de communiquer à autrui sa vision du bonheur sans nuages ? On peut en douter car ce serait imaginer l'auteur ou le réalisateur comme s'inquiétant de toute part de son interlocuteur, en prenant soin de n'être ni trop redondant, ni trop confus. Les "major compagnies" américaines, aux aguets de toutes les réactions d'un auditoire sur lequel elles testent de bout en bout le film, changent jusqu'à la virgule du scénario pour configurer leur produit à ce qu'elles pensent être la mesure du "spectateur moyen" ; mais, elles ne font rien d'autre que proportionner les effets d'une création en repoussant l'échéance d'une livraison aux publics, tout en mutilant de concert le sens d'une expression "authentique". L'intention d'art s'efforce d'être déplacée vers une intention délibérée de communication par l'emploi saturé de connotations qu'on imagine accessibles au plus grand nombre. Ce déplacement conduit néanmoins à isoler l'existence d'un phénomène communicatif qui reste à définir, mais qui est manifestement présent dans toute œuvre qu'elle soit ou non conçue avec l'intention préalable de communiquer.

Selon Luis J. Prieto , c'est uniquement dans l'interprétation d'un acte sémique par le récepteur, et éventuellement dans l'interprétation des circonstances qui comptent pour cet acte que l'on atteint les conditions préalables à l'appropriation d'une œuvre. Le phénomène communicatif ne préexisterait pas à l'œuvre, mais serait le résultat de pratiques propres à en baliser les fonctions et, par voie de conséquence, à en conventionnaliser l'usage. En effet, c'est dans ce qu'elle possède de conventionnel que la traduction filmique des fragments de la réalité fictionnelle trouve un écho chez le spectateur qui l'appréhendera tantôt dans une dimension artistique ("authentique"), tantôt sous les traits d'un divertissement. La seule variabilité du statut d'un film laisse entrevoir à quel point "aucune image n'a jamais contraint quiconque à lui donner un sens où son inconscient ne trouve quelque profit et dont sa culture ne lui procure la clef" .

En se demandant si un film est ou non une œuvre d'art, on perçoit déjà combien il fonctionne socialement comme s'il en était une. En revanche, dés que l'on s'attache à décrire comment un film "fonctionne", sur quoi s'appuie le "sens" qu' il génère, on s'égare souvent sur les voies multiples et composites qu'emprunte cet objet polymorphe : photographie mouvante mise en séquence, son phonétique, son musical, bruit. Et, "même si l'on définit le cinéma en termes technico-sensoriels, ce que l'on doit mettre en avant est une combinaison spécifique de plusieurs matières de l'expression, et non une matière de l'expression spécifique" . De fait, on peut difficilement parler de langue filmique, et si l'on s'aventure à décrire un langage, c'est avant tout dans la préservation de structures formelles recomposées dans les limites qu'autorise le dispositif cinématographique. En conséquent, toute œuvre filmique s'entendrait telle une variation sur thème qui relèverait d'une activation de formes et de contenus au coeur d'un ensemble fictif constitué par l'addition de tous les films. Chaque film serait en soi une des transformations créée depuis une base, fond commun génératif sans cesse réagencé sous le joug d'une certaine "interfilmicité" .

Toutefois, ce qui définit structurellement un film ne permet pas d'atteindre la nature profonde de la relation qui se noue avec le spectateur et qui dépasse les frontières d'un "arrêt sur iconicité". L'interfilmicité ne témoigne que d'une continuité de l'expression filmique qui, dans ses contours les plus stables, revêt a posteriori une forme communicationnelle qui n'est qu'un des pendants du contrat avec le public : elle conforme la narration filmique au registre d'interpellation spécifique de la cinématographie. Mais le "pacte" ne se scelle réellement que dans l'activité interprétative du spectateur qui se laisse ou ne se laisse pas entraîner par les vertus agogiques de l'oeuvre cinématographique.