29 novembre 2007

REBELLES CULTURELS, vauriens authentiques…

À tous ceux qui se font appeler "Lolita"

France 3, un dimanche soir de l'année 2004. Interrogé chez Fogiel dans la rubrique « les rebelles de la télé-réalité », aux côtés d’Olivia Ruiz de la Star Ac’1, Steeve est la nouvelle star : une nouvelle star construite à l’image de sa vraie-fausse pygmalionne Marianne James et voilà que la télé-réalité reprend ici un nouveau souffle dans la soi-disante découverte et la valorisation d’un non-conformiste qu’elle s’empresse de nous vendre comme tel. Une bien belle opération qui aura permis, au bout du compte, de conquérir un de ces paradoxes au sommet comme savent en fabriquer nos médias : d’une part, il y a les pseudo-histoires d’amour de Steeve avec une autre candidate de l’émission qui continuent à alimenter comme jamais les magazines midinettes (une candidate virée avant lui, ce qui permet de tenir là la trame d’une merveilleuse romance type Harlequin, où l’homme finalement victorieux épouse la belle en partageant avec elle les fruits du succès qu’elle aurait pu potentiellement avoir si elle avait terminé à sa place) ; et, d’autre part, il y a l’élection de Steeve qui vise – c’est là sa véritable victoire - à déculpabiliser une grande partie de l’audimat, celle-là même qui se pense garante des valeurs les plus légitimes des mondes culturels enfin en mesure de revendiquer par la charge de ses SMS l’avènement d’un nouveau subversif dans lequel elle peut se reconnaître : une parfaite illusion de bataille gagnée contre la télé-réalité elle-même.

Le piège médiatique qui se dresse ici ne manque pas de cynisme. Un cynisme socialement instruit et orchestré au rythme de cet accouchement généralisé du rebelle qui se trouverait en chacun de nous. Même le présentateur de l’émission de M6, Benjamin Castaldi, va offrir, dans ce mouvement d’insoumission généralisée, en sacrifice à la déesse médiatique son pseudo-secret de famille, un secret en forme de revanche où le but est de transformer en courage son ultra-symbolique meurtre du père. La télévision, non contente d’être un miroir pour elle-même, prétend aujourd’hui non seulement nous démontrer qu’elle est le plus parfait miroir du monde social et cela, non pas en montrant la société, mais en révélant la part maudite qui est en chacun de nous et qu’elle nous permet d’exprimer mieux que nous ne saurions le faire chez un psychanalyste. La télévision construit enfin ce « nous » que chantait Michel Berger dans son « on a tous en nous quelque chose de Tennessee » en fondant dans ses harmonies subtiles la sauvagerie de notre Soi social.

On a longtemps cru que l’art était le lieu idéal où s’exprimait dans sa pleine dimension la part créative de l’individu, part créative souvent assimilée à la domestication de sa part d’originalité et d’authenticité que l’on identifiait, souvent par coquetterie, à un caractère rebelle. Jean Cocteau disait fort justement qu’ être original, c’est tenter de faire comme tout le monde mais sans y parvenir ; bien entendu, cette rébellion-là était élaborée, résultait d’une difficulté d’être, convertie en art plutôt qu’en dépression. Le rebelle du jour, lui, n’est pas dépressif. Il porte une mèche de cheveux très travaillée par une batterie de coiffeurs qui pensent que lui cacher les yeux est ce qui convient le mieux à l’idée que le public se fait du rebelle. Archétype stéréotypé, cet apprêtement de la mèche résonne comme l’ultime affranchissement de cette logique télévisuelle, tremplin social de la rébellion où il n’est même plus utile de lancer un regard caméra pour tenter de séduire le téléspectateur de M6 qui découvrirait, dans les yeux, le rebelle médiatiquement soumis qu’il s’est élu. Rébellion, cheveux longs, le raccourci ne souffre aucun détour. Si la télévision est un miroir, alors ce miroir vient de perdre ici ses capacités de réfléchir. Quant à Steeve, lui, il tient déjà les paroles du texte qu’il pourra écrire d'ici quelques années, en 2007 ou 8 : « je ne suis pas un rebelle, faut pas croire ce que disent les médias ! ». La boucle sera bouclée et l’on applaudira comme chaque fois.

27 novembre 2007

ÊTRE POLITIQUE ? dix ans plus tard...

"Cette intelligence ne nous sert qu'à remplacer ces impressions qui te font aimer et souffrir par des fac-similés affaiblis qui font moins de chagrin et donnent moins de tendresse" (Marcel Proust)

1997. Voici dix ans, on assistait à l’élection de Madame Mégret à la Mairie de Vitrolles, à la proposition des lois Debré sur les certificats d'hébergement censées contrer - disait-on - la vague d'immigration clandestine, à la signature d'intellectuels appelant à la désobéissance prétendue civique de cette loi, à la tempérance des partis de gauche qui tentaient de prendre des positions de bon droit en préservant une possible dérogation légale dans leur espace privé. Rétrospectivement on peut se demander au fond comment on continue aujourd’hui à s’interroger sur l’ « Être politique » ? La question s'est-elle à ce point dissoute dans l'indécence de la vulgarisation des faits de la quotidienneté que chacun des actes civiques que nous commettons semblent voiler les accès qui y mènent ? Donoso Cortès a en son temps livré une formulation subtile de ce que nous pourrions appeler pour aller vite le mal en politique : ou bien ce mal est dans la société même et alors les révolutions et les bouleversements sociaux sont inutiles, sans espoir d'un perfectionnement possible de la société, la seule solution étant de trouver chaque fois dans les conditions données les institutions les mieux adaptées temporairement, ou bien ce mal est accidentel et historique et il faut alors en expliquer l'origine, la cause, trouver le remède qui fera de l'homme le rédempteur de la société et de lui-même.
Tant bien que mal seule la compréhension du premier terme de ce dilemme nous reste apparemment accessible. La société contemporaine, que certains ont perçu comme vulnérable, l'est avant tout par sa manière d'envisager notre devenir dans les termes d'un tout adapté qui sont aussi les signes d'un renoncement presqu'endurant à nous définir nous-mêmes, c'est-à-dire d'un renoncement à ne pas externaliser notre raison d'être sociale vers des institutions que nous ne faisons que rêver et que nous parcourons ensuite comme des fantômes peureux. Car les fantômes ont une façon bien à eux de prendre possession des lieux : ils les hantent et en chassent les vivants en les terrorisant. C'est tout. Ils n'ont rien d'autre à revendiquer. Certes, on comprend très bien les véritables fantômes : ils sont morts et n'ont de fait plus de raison de vivre. Leurs anciennes valeurs - que nous appelons par pis-aller civiques - ont le sens des dépouilles. Elle ne sont plus habitées et ne valent que pour elles-mêmes. Le droit pour le droit. Le travail pour le travail. Dieu pour Dieu. Dent pour dent. La discipline pour la discipline. Mais à quoi bon imiter les fantômes ? A imaginer qu'il suffit de crier très fort nos anciennes valeurs pour les invoquer, faisons-nous autre chose que faire tourner des tables. Était-ce donc si douloureux de naître que nous oublions à quel degré l'intensité de vivre est miraculeusement sensuelle précisément parce qu'elle a du sens. Un sens. Celui d'une quête réitérée de la grâce dont nous parlions plus haut. Cette grâce qui s'épanouit dans le geste du danseur qui sait pourquoi il a répété tant de fois son jeté abattu ou sa volte. Pour reprendre un exemple cher à Paul Veyne, ce sont tous ces micro-glissements de sens qui nous empêcherons toujours de prendre la publicité pour de l'apparat lorsqu'elle n'est que propagande. L'apparat comme la danse requiert la grâce. Si elle semble parfois nous échapper, c'est surtout parce que nous la cherchons avec en tête l'idée de trouver un astre puissamment lumineux.
Mais ne nous y trompons pas, la grâce, tout comme l'élégance, se contente souvent de scintiller, discrètement.

15 novembre 2007

RECONNAITRE, NE PAS RECONNAITRE, ETRE PRIS POUR : à Cannes, la méprise n'est pas toujours un hasard

"Un confrère est un personnage sans aucun talent qui fait, inexplicablement le même métier que vous". [Pierre Daninos]

Dans les rues de Cannes, évidemment, les passants ont, en période de Festival, le regard aux aguets, prêt à repérer un visage connu ; la méprise est souvent de mise, et il arrive couramment que l’on prenne quelqu’un pour une vedette dans le doute d’une vague ressemblance : ceci fonctionne suivant le double a priori cannois bien connu (1) qu’un acteur est très différent dans la vie et au cinéma, et (2) qu’au Festival on peut croiser les acteurs n’importe où. Néanmoins, on peut imaginer que ce jeu de la méprise ne soit pas le fait que de celui qui se trompe. Beaucoup se laisse prendre au doute que suscitent ceux qui régulièrement sont pris pour une fausse Liz Taylor, une fausse Deneuve, un faux Travolta, Hanks ou Cruise. Il faut comprendre que ces derniers qui possèdent une vague ressemblance avec une star viennent souvent chercher à Cannes le lieu légitime d’une reconnaissance. Ce qui est mis en évidence ici repose le problème de la relation galvanisatrice que le cinéma est susceptible de susciter chez son spectateur. L’acteur à l’écran propose, à son insu, une expérience du monde et exalte là un pouvoir de type normatif faisant ainsi l’objet d’une identification plus ou moins durable et qui s’extériorise avec plus ou moins de force. Il y a là quelque chose qui relève pleinement de la construction d’un soi social qui passe, plus ou moins fugitivement, par le mode de la ressemblance avec des personnages de fiction qu’on aime, allant souvent jusqu’à en stigmatiser des attitudes vestimentaires ou physiques. Il faut noter qu’à Cannes, ce trait ne se combine qu’exceptionnellement avec une volonté de rencontrer, en chair et en os, celui ou celle qui est l’objet de l’identification.

En effet, cette volonté de rencontre s’appuie généralement à Cannes sur des arguments de raisons qui reposent rarement sur la simple curiosité : ce qui anime les spectateurs cannois peut se résumer dans le désir de confronter la représentation qu’ils se font d’un acteur à sa réalité propre. Il faut remarquer que ce désir de rencontre est loin d’être patent chez tous les spectateurs du Festival. La plupart se contentent du “ voir ”, car il faut bien saisir que “ rencontrer ” effectivement quelqu’un que l’on admire, ou pour qui l’on a de la sympathie, peut parfaitement mettre en péril le système de représentations qu’un individu a échafaudé à distance, et dans lequel il puise une certaine stabilité de référence. La rencontre, en réduisant la distance, est en passe d’ébranler les affects qui supportent ce système de représentations : ceux qui la souhaitent en sont totalement conscients et c’est précisément cet “ ébranlement ” qu’ils espèrent, et auquel ils se sont préparés. Les expressions - “ il est mieux dans la réalité ”, “ elle est moins bien que dans les films ”, “ ils sont abordables ”, “ ils sont simples ” ou “ ils sont comme tout le monde ” - définissent la palette la plus communément utilisée par nos festivaliers lorsqu’ils rapportent leur rencontre avec un acteur. En ce sens, ou peut dire que la mesure qui est prise dans le temps de cette rencontre repose les termes d’une relation faite de distance et de proximité qui exprime, en premier lieu, la relativité de la position du spectateur face à l’acteur. L’acteur est préservé, le spectateur, aussi.